Le 25 octobre 1415, le roi d’Angleterre Henri V (1413–1422) remportait sur l’armée française la bataille d’Azincourt. Six siècles plus tard, la campagne de 1415 continue d’exercer sur les historiens britanniques et, au-delà, sur le grand public, un attrait considérable: »Agincourt made a good story«, note l’auteur (p. 7), en rappelant que le gouvernement britannique a accordé une subvention d’un million de livres sterling au projet »Agincourt 600«, dans le cadre duquel de nombreux travaux ont été menés sur les diverses retenues composant l’armée victorieuse.

Si l’histoire de la campagne et de la bataille qui la clôt a été complètement renouvelée par les travaux d’Anne Curry, la masse documentaire est telle, du côté anglais, que des études très fines peuvent être conduites sur la composition de l’armée réunie par Henri V: il a été ainsi montré que 9 500 combattants (les trois-quarts environ du total) pouvaient être connus par leur nom. Également conduit par A. Curry, un vaste projet, »The Medieval Soldier Team«, s’est attaché par ailleurs à rassembler les informations disponibles sur tous les combattants des armées anglaises de 1369 à 1453. Pour les XIVe et XVe siècles, la »communauté militaire anglaise« (English military community) est donc bien connue.

Le livre captivant de Michael P. Warner, tiré de son PhD s’inscrit explicitement dans ce sillon. Le but est d’analyser les retenues des ducs de Clarence et de Gloucester, deux des frères de Henri V. Au printemps 1415, Thomas, duc de Clarence (1387–1421), et Humphrey, duc de Gloucester (1390–1447), concluent avec leur aîné des endentures par lesquelles ils promettent de recruter respectivement 960 et 800 combattants. Dressées en Angleterre, au moment où le passage de la Manche est proche, les »montres«, c’est-à-dire les listes d’hommes effectivement présents, sont conservées pour les deux retenues. Celle de Clarence comprend un duc, lui-même, un comte, deux bannerets, 11 chevaliers simples, 227 écuyers et 738 archers, soit un total de 980 combattants. Dans celle de Gloucester, un duc, lui-même, six chevaliers, 180 écuyers et 564 archers, pour un total de 751 combattants. Dans les deux cas, les modalités prévues par les endentures sont donc tenues. Chacun de ces groupes est formé de sous-retenues: 61 pour Clarence, 51 pour Gloucester, avec une sous-retenue propre pour chaque duc (pour Gloucester, quatre hommes d’armes et un important corps d’archers). Les sous-retenues vont de quelques hommes à près de 100, avec une moyenne de 16 combattants par sous-retenue pour Clarence, 12 pour Gloucester. Comment recruter autant d’hommes en peu de temps (deux mois)? Il ne pouvait être question de se cantonner à l’entourage proche, notamment pour les archers, même si l’hôtel des princes est mis à contribution. La situation des deux frères, toutefois, est différente. En 1415, Clarence est déjà un chef de guerre expérimenté, alors que Gloucester participe à sa première campagne: le premier fait appel à des combattants qui l’ont suivi dans ses campagnes précédentes et d’autres qui proviennent très souvent des vastes terres qu’il tient en Angleterre. Certaines sous-retenues apparaissent formées de combattants déjà unis par des liens, de fidélité ou d’expériences partagées; d’autres, en revanche, semblent formées pour l’occasion, peut-être à la suite d’un recrutement opéré au dernier moment, à Londres par exemple. En tout cas, les deux ducs, pas plus que les autres chefs de retenue de l’armée de 1415, n’ont de mal à recruter: il existe bel et bien en Angleterre une »communauté militaire« dynamique. Les pertes au cours de la campagne sont relativement importantes. La retenue de Gloucester paraît plus touchée, ce qui s’explique peut-être par la moindre expérience du combat de ceux qui la composent. Parmi les survivants, les capitaines qui ont servi sous les deux ducs en 1415 les ont souvent accompagnés par la suite; pour Gloucester, la campagne a été l’occasion de se créer son propre réseau (ainsi peut-on traduire le terme affinity, familier des historiens britanniques).

Un des aspects les plus intéressants du travail de l’auteur concerne les documents en tant que tels: endentures, listes diverses, documents comptables et financiers, et surtout les montres. M. Warner étudie avec une grande finesse leur présentation, leur confection, leur signification, dans une perspective qui se rapproche de la diplomatique telle qu’on la pratique sur le continent. L’auteur utilise notamment les listes de malades, frappés par la dysenterie au cours du siège d’Harfleur et parfois renvoyés en Angleterre, à l’image de Clarence, qui de ce fait ne prend pas part à la bataille d’Azincourt.

Quelque peu accablé par le récit de la funeste campagne de 1415, le lecteur français se réjouira du destin des protagonistes: Clarence est tué à la bataille de Baugé, en 1421, et l’éditeur a eu la délicatesse d’illustrer la couverture du livre par une miniature des célèbres »Vigiles de Charles VII« représentant la scène; quant à Gloucester, après avoir contribué de façon décisive au délitement de l’alliance anglo-bourguignonne, consacré par le traité d’Arras en 1435, il est finalement arrêté et meurt subitement dans sa prison, en 1447. Sans doute est-il assassiné par un de ses anciens compagnons de 1415, James Fiennes, preuve que le band of brothers célébré par Shakespeare pouvait connaître quelques péripéties. All is well that ends well, et le livre de Michael Warner est aussi substantiel qu’agréable à lire.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Xavier Hélary, Rezension von/compte rendu de: Michael P. Warner, The Agincourt Campaign of 1415. The Retinues of the Dukes of Clarence and Gloucester, Woodbridge (The Boydell Press) 2021, XI–242 p., 10 tab., 3 b/w charts, 7 b/w fig. (Warfare in History), ISBN 978-1-78327-636-3, GBP 60,00., in: Francia-Recensio 2022/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90482