La Louisiane, au même titre que le Québec ou l’Acadie, occupe une place importante dans l’affectif des Français. Au-delà de l’émotion, il est aussi important de revenir aux balbutiements de ces fondations. C’est à cette tâche que s’emploie, ici, Raymonde Litalien, archiviste-générale honoraire du Canada et membre de l’Académie de marine, à propos de la première tentative de fondation d’un établissement en Louisiane au travers de son chef d’expédition: René-Norbert Cavelier de La Salle. Pour cela, elle pose une problématique simple: Comment un explorateur autant critiqué par les historiens a-t-il pu obtenir l’appui de Colbert et un financement tant du roi que de ses amis et de sa famille?

Pour cela l’auteure réalise la publication de deux documents. Le premier est le journal de Jean-Baptiste Minet, ingénieur de l’expédition. Écrit entre 1684 et 1685, le manuscrit couvre une période allant du 2 juin 1684 au 7 septembre 1685. Le second, rédigé en 1703 par Henri Joustel, second de Cavelier de La Salle, éclaire une période allant du 9 février 1687 au 18 septembre 1687. Certes il n’y a pas de descriptifs détaillés des manuscrits mais l’éditrice indique clairement ses choix: l’orthographe a été modernisé, la syntaxe préservée, des coupures de paragraphe et des sous-titres ajoutés. À cela, il convient d’indiquer que le début du premier manuscrit n’a pas été publié car il ne s’agit pas d’un témoignage original de l’ingénieur et concerne des évènements antérieurs. À l’inverse, R. Litalien a maintenu le commentaire d’Henri Joustel réalisé en 1703 sur les ébauches de carte de la Louisiane que lui a demandé leur dessinateur, le cartographe Claude Delisle. Ce dernier document précède le journal du second de Cavelier de La Salle dans le manuscrit. Plus classiquement, des notes de bas de page identifient clairement les lieux et les personnes, un index, un catalogue des sources utilisées et une bibliographie finale comportent les livres et les articles essentiels sur la question étudiée.

Afin de montrer l’utilité des documents édités, Raymonde Litalien, réalise un chapitre démontrant l’intérêt de Louis XIV pour le bassin du Mississippi dont on ignore l’existence mais où on suppose la présence de cours d’eau permettant, à partir du Canada, de rejoindre les Caraïbes. Dans une période où la France est en paix avec l’Angleterre, la colonisation de ce bassin présente un risque de conflit limité avec les deux autres puissances coloniales voisines: la Grande-Bretagne et l’Espagne. Ainsi plusieurs missions d’exploration sont favorisées dont celle de René-Norbert Cavelier de La Salle qui atteint l’embouchure du Mississippi, le 9 avril 1682. Ses appuis à la cour de France font, alors, du normand le candidat idéal pour organiser la première expédition de colonisation de la Louisiane dont le récit, tout en sobriété, achève cette mise au point permettant de mieux suivre les documents proprement dits.

Chaque document est précédé d’une notice permettant de connaître les circonstances de sa rédaction et des détails sur le manuscrit. Le second manuscrit est également précédé par un résumé. De la même manière, ces mêmes documents sont suivis d’une synthèse où l’éditrice propose les éléments qui lui semblent essentiels. Ainsi le premier manuscrit permet de suivre rapidement les prodromes de la mission, le départ de La Rochelle, le 1er août 1684, jusqu’au 12 août 1685, départ du Joly, armé par le roi, pour soutenir l’expédition. Ce témoignage à charge de l’ingénieur Minet témoigne que René-Norbert Cavelier de La Salle n’est pas un marin et qu’il n’a pas les qualités d’un chef d’expédition, allant d’erreur en erreur. Le second document rapporte les évènements du 9 février 1687 au 18 septembre 1687. La colonie installée au Fort-Saint-Louis au nord de la baie de Lavaca dans le Texas actuel nécessite des secours. Faute de navires, Cavelier de La Salle décide d’aller en chercher en passant par le Canada. Le texte d’Henri Joustel ne concerne qu’une partie du trajet, la traversée du Colorado, homonyme du fleuve qui se trouve à l’ouest, au départ de Saint-Louis-des-Illinois, et rapporte le meurtre de Cavelier de La Salle, le 20 mars 1687. Au-delà, Raymonde Litalien termine le récit de l’expédition qui s’achève à La Rochelle, le 9 octobre 1688.

De cet ensemble une ligne directrice se dégage de la mission mal préparée au départ qui s’est terminée par le massacre de la population du nouvel établissement par les autochtones entre 1687 et 1689. Malgré l’échec apparent, cette première tentative ouvre le chemin à une seconde tentative, celle de Pierre Lemoygne d’Iberville à la fin du siècle, qui est une réussite. Au-delà, il convient de souligner que ces trois documents contiennent des éléments intéressants concernant les Caraïbes, les Treize colonies anglaises et le bassin du Mississippi.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Raymonde Litalien, La Louisiane, une affaire d’État. Récits de Jean-Baptiste Minet et d’Henri Joustel, témoins de Cavelier de La Salle, 1684–1686, Québec (Éditions du Septentrion) 2021, 160 p. (Collection V), ISBN 978-2-89791-311-3, CAD 24,95., in: Francia-Recensio 2022/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90525