Depuis 2016, la Forschungsstelle Weimarer Republik de la Friedrich-Schiller-Universität à Iéna publie, sous la direction de Michael Dreyer et Andreas Braune, la collection »Weimarer Schriften zur Republik«. Après un seul volume en 2016 puis en 2017, l’activité éditoriale de la collection a pris de l’ampleur depuis le début du centenaire de la république de Weimar, avec la publication, en moyenne, de trois à quatre ouvrages par an. La collection offre, par ce biais, un panorama intéressant des recherches contemporaines sur l’Allemagne de l’entre-deux-guerres.

Le présent volume (le treizième) est consacré aux »personnalités démocratiques sous la république de Weimar« et rassemble les actes de la 3e conférence pour jeunes chercheuses et chercheurs organisée par la Forschungsstelle en août 2018. La remarque est d’importance, car (comme le soulignent les éditeurs eux-mêmes), cela explique un certain éclecticisme dans les thématiques et les approches des articles rassemblés.

L’intention fondamentale du volume est de porter le regard des historiens au-delà du premier rang des personnalités politiques démocrates de la république de Weimar pour envisager la Transformationsgesellschaft weimarienne dans toute sa complexité et, par-là, d’en finir avec le lieu commun »obsolète« – mais encore largement colporté aujourd’hui – d’une »république sans républicains«. Cet élargissement de la perspective aux acteurs et actrices du deuxième, voire du troisième rang se fait dans une double démarche: d’une part, en sortant de la focalisation exclusive sur la scène nationale et en s’intéressant aussi aux acteurs régionaux et communaux; d’autre part, en élargissant la question de la démocratisation de la société weimarienne au-delà de la seule sphère politique pour également prendre en compte la mobilisation de la société civile, du monde de l’éducation et de la culture.

Dans l’introduction qui accompagne le recueil, les trois éditeurs – Sebastian Elsbach (lui-même l’auteur d’une étude de référence sur le Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold dans la même collection), Marcel Böhles et Andreas Braune – reviennent sur le concept de »personnalité démocratique« qui (parallèlement aux interrogations sur la »personnalité autoritaire« restées en mémoire) fut vivement débattu en tant que problème de psychologie sociale dans les années 1950 et 1960, avant d’être supplanté et remplacé par les réflexions sur la »culture politique«. Pour autant, les trois éditeurs considèrent que la question de savoir »par quelles transformations psychologiques une personne en vient à développer une conviction démocratique« a gardé toute sa pertinence, même si les réponses des années 1950 (différenciant entre la »saine« conviction démocratique et le refus »pathologique« de celle-ci) doivent évidemment être modernisées. Mais même si l’on envisage de manière critique la capacité de l’historien à reconstituer la structure psychologique individuelle d’un personnage du passé, l’interrogation sur »ce qui fait la ›personnalité démocratique‹, sur la manière dont elle se socialise, interagit (politiquement) avec ses contemporains et sur la réaction qu’elle provoque chez les acteurs non-démocrates« reste d’actualité.

La première partie du volume fait renaître des personnages politiques qui ne furent pas forcément de premier plan (sans pour autant être secondaires), comme le républicain de l’aile gauche du Zentrum, Karl Spieker, ou la femme politique, Katharina von Kardorff-Oheimb, députée du DVP, militante de l’éducation citoyenne pour les femmes de la bourgeoisie, organisatrice d’un salon politique très couru à Berlin, chasseuse et présidente du Damen-Automobilklub. Desiderius Meier retrace avec subtilité l’évolution politique de Hermann Dietrich tout en problématisant la complexité du rapport libéral à la démocratie alors que Sebastian Elsbach attire l’attention sur Hubertus Prinz zu Löwenstein, militant du Zentrum, mais surtout républicain de conviction et militant engagé du Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold à partir de 1930, sans pour autant être totalement insensible, notamment pendant son exil en Autriche après 1933, à un certain organicisme communautaire.

La deuxième partie se concentre sur des figures politiques liées aux problématiques de l’éducation à la démocratie et de l’éducation populaire, comme Albert Rudolph, spécialiste des questions d’éducation au sein du SPD de Thuringe et président du »Conseil des douzes« (Zwölfer-Ausschuss) qui organisa l’unification étatique de la Thuringe en 1920 (Ronny Noak) ou encore Albert Kuntzemüller, socialdémocrate badois, spécialiste des question ferroviaires, lui aussi militant du Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold (Marcel Böhles). Janosch Förster propose une problématisation subtile de la question de l’adhésion à la démocratie (et des ambiguïtés de cette adhésion sous la république de Weimar) à partir de la biographie et de l’action politique de Richard Seyfert, enseignant et militant des questions pédagogiques, fondateur de l’institut pédagogique de la Technische Hochschule de Dresde et co-auteur de l’article 148 sur l’école de la constitution weimarienne – mais aussi: homme politique engagé, membre du DDP dès les premières années de la République, dont la conviction démocratique allait de pair avec une défiance (usuelle à l’époque) par rapport au »pluralisme« politique et l’idéalisation de l’unité au sein de la Volksgemeinschaft. Enfin, Christian Lüdtke entreprend, grâce à un excellent article sur Hans Delbrück (que l’on peine un peu à ne pas considérer comme une personnalité de premier plan sous la république de Weimar), de réfléchir sur la possibilité d’existence et l’espace politique disponible pour un conservatisme modéré, républicain sans être fanatiquement démocrate.

La troisième partie est consacrée au monde de la culture, et le lien à la problématique de la »personnalité démocratique« devient plus ténu, puisqu’aussi bien pour »l’affaire Domela«, que pour la »génération dansante« autour de Klaus Mann, les auteurs admettent que la question se pose surtout de manière »implicite«. Pour autant, Sebastian Rojek montre fort bien comment le scandale autour de l’imposteur Harry Domela (qui se fit passer au milieu des années 1920 pour le Kronprinz) fut mobilisé par la presse de gauche pour dénoncer l’antirépublicanisme de la bourgeoisie et des officiers de la Wehrmacht et Catharina Rüß propose une réflexion intéressante sur la rupture avec l’autoritarisme traditionnel qu’exprime la coolness affichée du groupe d’écrivains qui gravitent autour de Klaus et Erika Mann. En même temps son article montre bien la manière dont le refus de toute soumission aux conventions sociales qu’exprime ce rapport au monde aboutit, au début des années 1930, à deux attitudes contradictoires au sein du groupe: ceux qui prennent clairement position pour la démocratie comme aboutissement de leur envie d’ouverture et ceux qui sont séduits par la promesse d’ordre (voire de simplicité) qu’offre le camp conservateur.

Enfin, Simon Sax et Sebastian Elsbach proposent de tirer de l’oubli le travail militant et engagé du journaliste Walther Gyssling en tant qu’archiviste au sein du Büro Wilhelmstraße, créé par le Centralverein deutscher Staatsbürger jüdischen Glaubens comme fer de lance de la lutte contre le NSDAP. Même si la base documentaire pour toute recherche sur le travail du Büro Wilhelmstraße est ténue (celui-ci ayant détruit ses archives pour éviter qu’elles tombent aux mains du pouvoir après 1933), le travail de propagande de Gyssling dans les dernières années de la République est un exemple impressionnant de mobilisation démocratique et médiatique, qui s’articule, dès le début, autour d’une réflexion intéressante sur la prédominance de l’appel aux émotions politiques plutôt qu’à la raison dans le discours public et politique.

Si les trois éditeurs admettent ouvertement la nature quelque peu »rapide et hétéroclite« de la galerie de portraits ainsi offerts aux lecteurs, ils proposent surtout d’y voir »des sondages randomisés dans les profondeurs de la société weimarienne«. Indéniablement, toutes les contributions ne problématisent pas forcément la question de la »personnalité démocratique« dans le sens de la définition proposée dans l’introduction, mais se présentent souvent comme des mini-biographies de personnalités simplement identifiées comme démocrates ou républicaines. Pour autant cela n’entame guère l’intérêt de la lecture de cet ouvrage, dont le mérite est de tenter de sortir de la Gipfelwanderung à la Meinecke pour aider le lecteur à jeter un regard plus différencié et avec plus de profondeur de champ sur cette société en transformation radicale que fut la république de Weimar.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christian Roques, Rezension von/compte rendu de: Sebastian Elsbach, Marcel Böhles, Andreas Braune (Hg.), Demokratische Persönlichkeiten in der Weimarer Republik, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2020, 241 S., 7 s/w Abb. (Weimarer Schriften zur Republik, 13), ISBN 978-3-515-12799-8, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2022/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.3.90613