Comme le montre cet ouvrage, l’histoire confessionnelle allemande poursuit sa dynamique, particulièrement sur le XVIe siècle: cette période fondatrice des protestantismes continue d’interroger les chercheurs, notamment au niveau régional ou local, comme ici avec la ville de Spire. Celle-ci a déjà fait l’objet de travaux sur la thématique, dont le dernier en date – avant le présent livre – est celui de Daniela Blum1. Le titre de cet ouvrage révélait une réalité de cette ville d’Empire qui accueillait certes des diètes d’Empire mais aussi le Reichskammergericht. L’intérêt du travail de Sven Gütermann est bien de s’intéresser, non pas au pluriconfessionnalisme de Spire, mais bien plutôt aux quelques décennies qui ont vu, à compter de la fin des années 1530, cette ville libre d’Empire gagner progressivement à la confession d’Augsbourg. Ce faisant, l’auteur bat en brèche certaines idées reçues, comme celle d’un basculement de la ville à la réforme protestante à partir du moment où il y a une prédication nouvelle soutenue, à partir de 1538 en la personne de Michael Diller, par le magistrat. La date officielle d’introduction communément admise était l’année 1540, au moment où la ville publie une nouvelle Schulordnung … mais qui n’est en rien la preuve d’une adhésion du magistrat à la réforme. En effet, il n’y a pas de sécularisation de biens ecclésiastiques à compter de 1540. Pour cause! La ville reste très prudente car elle se sait surveillée par l’empereur alors que se poursuivent à Ratisbonne (1541) des discussions théologiques qui ont débuté à Haguenau (1539) et à Worms (1540). Si la prédication évangélique est juste tolérée par l’empereur pendant la diète de Spire de 1544, ce n’est que dans le cadre des Stuben et des Herbergen, non des églises. D’ailleurs, alors même que le magistrat de Spire se rapproche de plus en plus du camp protestant, il doit se soumettre à l’ordre impérial de chasser Michael Diller. Cependant, le poids de la nouvelle prédication s’est déjà fait sentir, particulièrement avec la désaffection pour la prédication catholique. Les discussions engagées entre le magistrat et l’évêque de Spire Rudolf von Frankenstein en mars 1555 ne changent rien à la situation: dans la dynamique de la paix d’Augsbourg, la bascule officielle de Spire à la réforme s’effectue entre 1555 et 1557, année où est introduite la »Große württembergische Kirchenordnung«. En 1579, c’est l’ordonnance ecclésiastique palatine de 1579 qui est adoptée (ce n’est qu’en 1699 que Spire produit sa propre Kirchenordnung). L’intérêt de cet ouvrage est, en premier lieu, de nous montrer un processus complexe et long de passage à la réforme, dans un contexte politique où la prudence est de mise: c’est ce que montre bien Sven Gütermann en indiquant que le magistrat ne remet pas en cause, par exemple, la qualité des prêtres mais invoque au début des années 1550 le fait que la majeure partie de la population est à présent habituée à entendre depuis près de vingt années la »pure parole de Dieu« (das reine Gotteswort). Surtout, l’auteur souligne l’idée que la ville doit compter avec l’empereur – lequel doit lui aussi composer avec les princes passés à la réforme – et avec les princes territoriaux, comme l’électeur palatin. En effet, il s’agit pour le magistrat d’obtenir une forme de protection non invasive de la part du palatin, qui d’ailleurs a accueilli à sa cour M. Diller. Toutefois, si Spire est gagnée massivement à la confession d’Augsbourg, ce n’est pas brutalement: la preuve en est qu’en 1565, Frédéric III du Palatinat menace d’entrer dans la ville si le magistrat continue de »protéger« le prêtre Jost Neblich; d’ailleurs, la ville n’est et ne sera pas uniformément luthérienne. Surtout, Spire reste fidèle à la confession d’Augsbourg: l’auteur montre bien dans un long développement les soucis qui existent avec le pasteur calviniste palatin de Saint-Égide, comme aussi que la ville n’est pas à l’abri des discussions et querelles intra-protestantes, ce qui fait que l’empereur peut même devenir un allié de circonstance face au palatin. Spire rejette tout de même la formule de concorde de 1577.

Avec ce travail, nous sommes bien en présence d’une étude fondée sur les sources (du Stadtarchiv notamment), ce qui explique aussi les ajustements chronologiques évoqués plus haut sur l’histoire du passage de Spire à la réforme protestante. S’il en fallait une preuve, elle se trouve certes dans les notes de bas de page mais surtout dans les plus de deux-cents pages d’édition de sources qui suivent l’étude et qui constituent une précieuse documentation qui pourra intéresser les chercheurs au-delà du simple cas de Spire. En revanche, le lecteur est un peu étonné de l’introduction rapide de sept pages qui ne permet pas de bien mettre en perspective cette étude de cas. Par ailleurs, si le cœur du travail est bien la mise en œuvre de ce passage à la réforme et la construction progressive d’un cadre confessionnel protestant, il est dommage que l’auteur n’aille pas plus loin dans la discussion des identités confessionnelles, ce que révèle aussi la quasi absence de données sur les autres confessions dans la ville: or, pour bien appréhender le poids du luthéranisme – et même si les chiffres peuvent être bien aléatoires – il est tout de même dommage d’attendre la fin de l’étude pour avoir quelques données sur les catholiques et les calvinistes.

1 Daniela Blum, Multikonfessionalität im Alltag. Speyer zwischen politischen Frieden und Bekenntnisernst, 1555–1618, Münster 2015 (Reformationsgeschichtliche Studien und Texte, 162)

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Jalabert, Rezension von/compte rendu de: Sven Gütermann, Reformation und Konfessionsbildung in Speyer. Von konfessioneller Unentschiedenheit zum nonkonkordistischen Luthertum im Spannungsfeld von Reichspolitik und bürgerlichem Handeln, Göttingen (V&R) 2021, 449 S., 13 farb. Abb. (Academic Studies, 77), ISBN 978-3-525-53129-7, EUR 120,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92000