Vienne et l’Autriche actuelles ont une réputation de catholicité sans cesse répétée, jusqu’à oublier qu’y compris dans les terres héréditaires habsbourgeoises, le protestantisme a été une réalité, certes balayée par la réforme catholique et les récits historiques. Au XVIIIe siècle, la capitale de l’Empire est bien un haut lieu du catholicisme mais elle compte également une population protestante à l’histoire presque méconnue et à laquelle s’est attelé Stephan Steiner en s’attachant à l’analyser sous l’angle du règne de Charles IV (1711–1740). L’auteur a donc choisi de porter son regard sur une frange particulière de cette société viennoise. L’on ne peut exactement quantifier cette population, bien que l’auteur ait bien cherché à le faire: plus de 2000 personnes, soit peut-être 2% de la population viennoise au premier quart du XVIIIe siècle. La difficulté à évaluer cette population vient de son profil, conjuguant membres et familles de représentations diplomatiques, comme aussi artisans, valets et ouvriers, dont le nombre peut lui aussi varier au gré des saisons et du contexte politique, comme le montre bien S. Steiner pour la fin des années 1730. L’ouvrage peut donner le sentiment d’une approche un peu impressionniste, renforcée par le découpage en vingt-cinq chapitres de tailles variées, si l’on exclut l’introduction, la conclusion peu développée et la présentation des sources et la bibliographie. Tout en reconnaissant l’intérêt d’ainsi détailler les aspects abordés, le lecteur perçoit cependant bien qu’il y a trois parties qui se dessinent, la première autour des légations protestantes, la deuxième sur le mouvement piétiste à Vienne, la dernière étant consacrée au durcissement catholique qui touche notamment la minorité protestante d’origine très modeste et hors légation. Ce qui est par ailleurs un peu étonnant, c’est qu’à lire l’introduction, on a le sentiment que l’on va principalement aborder la question des cultes protestants à Vienne, essentiellement par le biais des légations princières, et ce n’est qu’en lisant la présentation des sources que l’on devine que le piétisme va tenir une place importante dans le développement. À bien regarder les notes, on remarque en effet que la correspondance avec Halle, la »capitale« piétiste, sert d’appui à l’auteur car elle fourmille de détails qui permettent de donner la chair au texte présenté.

Ces remarques formelles ne doivent pas dissimuler l’intérêt qu’il y a à lire cet ouvrage qui nous permet de plonger dans ce protestantisme viennois. À ce propos, on apprécie les efforts de localisation des légations protestantes (danoise, suédoise et hollandaise) – et donc des chapelles privées – et du cimetière dédié, situé à côté d’un cimetière catholique et du collège jésuite. De même, les pasteurs des légations évoquées donnent lieu à une présentation biographique qui – peut-être – aurait pu ouvrir à davantage développer une approche prosopographique. S. Steiner nous amène à percevoir la vie religieuse de ces protestants, indiquant des prédicateurs qui se remplacent en cas de besoin, tout en nous montrant que ce petit monde se scrute et que l’existence des »informateurs«, des maîtres piétistes allemands – comme le sont aussi les pasteurs d’ailleurs –, n’est pas toujours simple non en raison des catholiques mais des mesquineries internes. Ce monde protestant n’est toutefois pas complètement un isolat dans la Vienne catholique. Nous voyons ainsi un Johann Jakob Moser, bien connu des historiens de l’Empire, qui arrive à Vienne en 1721 et subit de grandes pressions – du vice-chancelier lui-même – pour se convertir et avoir la perspective d’une belle carrière de conseiller au gouvernement. Il ne cède pas et a eu la carrière qu’on lui connaît. À travers d’autres exemples, l’auteur aborde ainsi une réalité: les tentatives de reconquête des élites protestantes dans la perspective de belles carrières. Ce point, qui n’est pas mis en avant dans l’introduction, mériterait en soit un développement plus étoffé.

Le protestantisme à Vienne doit aussi faire face aux attaques de l’archevêque Kollonitsch à la fin des années 1730, avec pour cible première ces artisans et ouvriers qui cherchent à bénéficier de la présence et de la protection des légations étrangères: l’archevêque y voit une greffe dangereuse à laquelle il faut répondre de manière forte. Cela se traduit par le jeu classique des conversions sur le lit de mort, des luttes pour les enfants de couples mixtes, contre un prosélytisme supposé, etc. Ce climat est à appréhender dans le contexte de l’expulsion des protestants de la principauté de Salzbourg (1731/1732), dont certains membres se rendent d’ailleurs à Vienne, comme aussi des fortes pressions effectuées sur les protestants de Hongrie, de Bohême et de Moravie: l’auteur montre d’ailleurs bien que si les légations étrangères sont protégées, il n’en reste pas moins que leurs membres ne manquent pas – à l’exemple du prédicateur »danois« Christian Nicolaus Möllenhoff – de protester officiellement pour tenter d’adoucir le sort de ses coreligionnaires. Au final, cette étude, charpentée notamment par une approche sur les personnalités et la correspondance avec Halle, fourmille de citations de lettres qui abondent en détails et autres indications, mais elle aurait gagné à avoir un axe structurant plus clair.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Jalabert, Rezension von/compte rendu de: Stephan Steiner, »Das Reich Gottes hier in Wien«. Evangelisches Leben in der Reichshauptstadt während der Regierungsjahre Kaiser Karls VI., Wien, Köln, Weimar (Böhlau) 2021, 213 S., 12 Abb. (Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung. Ergänzungsbände, 65), ISBN 978-3-205-21287-4, EUR 49,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92010