Cet ouvrage contient, comme son long titre l’indique, l’édition scientifique de deux textes se rapportant à un même épisode de la fin du Moyen Âge: la célèbre et catastrophique »croisade de Nicopolis« de 1396. Ces deux textes, proches par le sujet traité, ont toutefois été rédigés à des époques différentes et sont séparés dans le temps par deux siècles: le premier est une relation du »voyage de Hongrie« de Jean de Bourgogne, comte de Nevers, futur duc Jean sans Peur, composé au XVe siècle par un auteur anonyme à partir des »Chroniques de Jean Froissart«, alors que le second est un récit historique dû à Prosper Bauyn (1610–1687), maître des comptes à Dijon; cet auteur utilisa les ressources des archives qu’il inventoria pour rédiger un certain nombre de mémoires sur l’histoire de Bourgogne, dont un »Mémoire du voyage de Hongrie fait par Jean comte de Nevers en l’an 1396, sa prison, sa rançon et son retour en France«. Le cœur du présent ouvrage est constitué par l’étude et l’édition du premier de ces deux textes, l’édition du second étant un complément.

Le livre s’ouvre sur une »introduction historique« de Jacques Paviot qui offre au lecteur une mise au point sur le contexte et les événements et un bilan historiographique (p. 1–56); ce rappel est suivi d’une brève présentation faite par Marie-Gaëtane Anton du rôle joué par Jean Froissart dans l’élaboration d’une »mémoire« du »voyage de Hongrie« (p. 57–65). Elle montre comment le chroniqueur a conféré un »aspect mythique« à une défaite devenue, écrit-elle, »une sorte d’élément fondateur du pouvoir et du prestige de la cour de Bourgogne«. Elle indique ensuite que la diffusion du récit de la croisade a été assurée non seulement par le succès de l’œuvre de Froissart, mais aussi par des »commandes partielles« dont la »Relation de la croisade« composée à partir de différents chapitres du Livre IV des »Chroniques«, est un bon exemple.

M.-G. Anton et J. Paviot donnent ensuite le catalogue des cinq manuscrits contenant cette »Relation« (p. 67–78): le plus ancien des manuscrits conservés est daté du milieu du XVe siècle et se présente comme un recueil de textes concernant l’Angleterre, la France et la guerre civile des Armagnacs et des Bourguignons; il a appartenu à la bibliothèque des ducs d’Arenberg et fait aujourd’hui partie des collections de la Newberry Library de Chicago. Un autre manuscrit, qui se trouve aujourd’hui dans une collection particulière, composé vers 1460–1470, ayant appartenu à Jean de Gruuthuse, fils du célèbre Louis de Bruges, ne contient que le texte de la »Relation«; il en va de même pour un troisième manuscrit, produit au début du XVIe siècle, conservé à la Bibliothèque nationale de France (nouv. acq. fr. 7508); un quatrième manuscrit (manuscrit Ashburnham), non localisé, n’est connu que par une description succincte d’un catalogue de vente de 1901, dans lequel il est daté du XVe siècle; enfin un cinquième manuscrit (n° 3098 de la bibliothèque municipale de Dijon) est une copie du XVIIe siècle de la »Relation«. Ce catalogue des manuscrits est suivi d’une étude littéraire due à Giovanni Palumbo, qui, grâce à une comparaison attentive des textes, en reconstitue la tradition (p. 79–95). Il met ainsi en lumière le »processus de réécriture« de l’œuvre à partir des chapitres du Livre IV des »Chroniques de Jean Froissart«, et écarte une attribution communément admise du texte de la »Relation« à un serviteur de Guy de Blois. Il montre aussi que, vraisemblablement, le manuscrit Ashburnham, aujourd’hui introuvable, transmettait un texte plus fidèle à l’original que les manuscrits subsistants. Suit l’édition critique du texte donnée à partir du manuscrit Arenberg de la Newberry Library de Chicago (p. 97–248). Comme nous l’avons dit, ce travail historique et littéraire est complété par l’édition du »Mémoire de Prosper Bauyn« présenté et édité par J. Paviot (p. 249–287). Le volume est en outre doté, comme il se doit, d’une bibliographie et d’un index.

En conclusion, cet ouvrage, fruit d’une belle approche pluridisciplinaire d’un texte littéraire, présente le double intérêt de rendre accessible une source du »voyage de Hongrie« et d’attirer l’attention sur une œuvre qui révèle l’intérêt que des lecteurs, issus de la noblesse de cour, ont manifesté par leurs commandes, pour cet événement. Ce phénomène rappelle que la maison ducale de Bourgogne a réussi à transformer cette »mortelle déconfiture« en une »glorieuse défaite« et à en faire un élément de leur politique de prestige. Par ailleurs, l’édition du »Mémoire de Prosper Bauyn« vient nous rappeler combien les archives des anciennes chambres des comptes de Dijon et de Lille ont, depuis longtemps, inspiré et nourri la recherche historique.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Bertrand Schnerb, Rezension von/compte rendu de: Marie-Gaëtane Anton, Giovanni Palumbo, Jacques Paviot (éd.), Relation de la croisade de Nicopolis (XVe siècle). Mémoire du voyage de Hongrie fait par Jean comte de Nevers en l’an 1396, sa prison, sa rançon et son retour en France, Paris (Académie des inscriptions et belles-lettres) 2021, 335 p. (Documents relatifs à l’histoire des croisades, 24), ISBN 978-2-87754-399-6, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92085