Cette anthologie de poèmes allemands reprend en partie le volume paru en 1993 chez 10/18 et intitulé »Poésie d’amour du Moyen Âge«, édité par Danielle Buschinger, Marie-Hélène Diot et Wolfgang Spiewok. Elle en élargit toutefois le cadre en ne se limitant plus aux chansons d’amour et l’enrichit d’une introduction plus complète ainsi que de plusieurs auteurs absents de l’édition de 1993, qu’il s’agisse de minnesänger du XIIe et de la première moitié du XIIIe siècle, comme Gottfried de Strasbourg, Spervogel, Frauenlob ou le Marner, ou d’artistes plus tardifs à l’instar de Hadlaub ou du roi Wenceslas de Bohême (fin du XIIIe siècle). On notera avec intérêt que les deux éditrices ont également traduit trois strophes du poète juif Süsskint, originaire de Trimberg, ainsi que l’une des deux chansons léguées par Konradin, dernier descendant des Hohenstaufen, décapité sur l’ordre de Charles d’Anjou à Naples en 1268.
Le volume est également augmenté d’un glossaire, d’une bibliographie choisie et de plusieurs index. Il offre un large choix de morceaux lyriques traduits, allant de la chanson d’amour conventionnelle au contre-chant, en passant par l’aube ou encore le discours chanté (Sangspruch).
L’introduction présente en détail le minnesang, qu’il s’agisse du cadre social dont sont issus les artistes, des thèmes abordés, des origines du mouvement, ou encore des différentes phases qui le composent. Plusieurs pages sont également consacrées au genre du contre-chant ainsi qu’au lyrisme du Moyen Âge tardif. La »note sur la traduction« met l’accent sur certains faux-amis que l’on a tendance à traduire en s’inspirant du sens moderne du terme et non du sens médiéval. L’introduction est suivie d’une chronologie qui commence en 1066 et s’achève avec le début de la Réforme en 1517. Le choix assumé de ne pas introduire de mots anciens, que le lecteur – même cultivé – ne connaîtrait pas, peut être discutable. Ainsi, rendre merkære par »espions« (p. 45) n’est certes pas faux, toutefois une note aurait peut-être permis de préciser que ce concept correspond aux lauzangiers de langue d’oc ou aux losengiers du Nord de la France, c’est-à-dire à ceux qui nuisent à l’amour par leur surveillance, leur jalousie et leurs calomnies à l’encontre des amants. Les traductions de l’édition de 1993 ont été revues et amendées, rendant le sens du texte d’origine souvent plus explicite. Cependant certaines corrections peuvent laisser perplexe. Ainsi, dans une aube de Dietmar von Aist, le terme kint, fidèlement traduit dans l’édition ancienne par »enfant«, est-il devenu »ma belle«, sans que l’on comprenne très bien ce qui motive ce choix. De la même façon, le vers de l’empereur Henri ez sî wîp oder man, der habe si gegrüezet von mir, justement traduit en 1993 par »homme ou femme, que par cette chanson il la salue de ma part«, est-il devenu »homme ou femme, que ce lui soit salut de ma part« (p. 52), formulation qui rend la phrase assez absconse. Malgré ces quelques remarques, la grande majorité des traductions restent fidèles aux textes d’origine et sont rédigées dans un style vivant et fluide.
Comme dans l’édition de 1993, les poèmes traduits sont précédés d’une présentation de chaque auteur, évoquant les éléments connus de sa vie ainsi que les principales caractéristiques de son œuvre lyrique. Là encore, les présentations ont été reprises et enrichies. Ainsi la biographie consacrée au plus célèbre des minnesänger, Walther von der Vogelweide, a été complétée par de nombreuses informations biographiques attestées et par une présentation du contexte historique. D’une manière générale, ces présentations des poètes-chanteurs et de leurs œuvres sont succinctes mais vont à l’essentiel, ce qui correspond parfaitement à ce que le lecteur peut attendre d’une telle anthologie. On regrettera simplement que parfois certaines pistes d’interprétation ne soient pas évoquées. Ainsi est-il tout à fait pertinent de souligner l’importance que Heinrich von Morungen accorde dans ses chansons aux effets acoustiques et à la lumière, mais sans doute aurait-on pu aussi souligner l’influence du culte marial que l’on retrouve notamment à travers la comparaison récurrente de la dame à l’étoile du matin ou à la lueur de la lune. À l’inverse, la présentation de Wolfram von Eschenbach établit des parallèles pertinents entre son œuvre lyrique et son œuvre romanesque, notamment le »Parzival«, adapté du »Conte du Graal«.
On peut bien sûr regretter que, contrairement à l’édition de 1993, ces traductions ne soient pas accompagnées d’une édition des textes médiévaux originaux, ce qui en faciliterait l’usage en milieu universitaire. Il semble que cela corresponde à la ligne éditoriale de la collection. Néanmoins, les deux traductrices tentent de pallier cette lacune en renvoyant au folio correspondant du manuscrit de Manesse dont la plupart des poèmes sont extraits. Le lecteur pourra donc se reporter à la version numérisée du codex pour y découvrir la version originale, sous réserve d’avoir les connaissances nécessaires en paléographie pour déchiffrer l’écriture gothique du XIVe siècle. Dans les autres cas, les éditrices indiquent des éditions modernes contenant les œuvres d’origine.
Pour conclure, ce livre présente l’avantage indéniable de mettre à la disposition d’un lectorat francophone, à travers des traductions fiables et agréables à lire, un choix large et pertinent de poésies allemandes médiévales.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Patrick del Duca, Rezension von/compte rendu de: Danielle Buschinger, Sieglinde Hartmann (ed.), Le Lyrisme du Moyen Âge allemand. Choix de poèmes, Paris (Classiques Garnier) 2022, 229 p. (The Middle Ages in Translation, 11), ISBN 978-2-406-12570-9, EUR 29,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92088