L’intérêt pour Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire et Isabelle de Bourbon et duchesse de 1477 à 1482, ne fait que grandir: en 2000 l’exposition »Bruges à Beaune. Marie, l’héritage de Bourgogne«, à Beaune, aujourd’hui ce livre. Il est vrai qu’il y a un vide historiographique à remplir.

Ce volume rassemble les actes du colloque tenu à Bruxelles et Bruges du 5 au 7 mars 2015, »Marie de Bourgogne. Le règne, la figure et la postérité d’une princesse européenne«, avec l’ajout de quelques textes complétant les trois axes de la rencontre. Les vingt-deux contributions sont publiées en français (quatorze) et en anglais (huit, auxquelles il faut ajouter l’introduction et la conclusion), ceci sans doute dû à la question linguistique en Belgique.

Dans leur introduction, »Mary of Burgundy. Agency, Government, and Memory«, les éditeurs marquent leur volonté de combler un manque historiographique (il est vrai que Marie de Bourgogne n’a été l’objet d’aucune biographie sérieuse, universitaire), et ils ont voulu le faire selon trois directions: le gouvernement d’une femme, la construction de l’État à la fin du Moyen Âge et la mémoire et ses buts politiques.

La première partie, »Construire l’autorité et la légitimité d’une princesse naturelle«, regroupe neuf textes. Jean Devaux étudie la poésie de circonstance – de propagande – des années 1477–1479, pour justifier le mariage autrichien, la guerre et la résistance contre la France, en s’appuyant notamment sur le débat poétique entre poètes bourguignons et tournaisiens (français). Jonathan Dumont et Élodie Lecuppre-Desjardin s’intéressent à la construction de la légitimité du pouvoir féminin de Marie à partir du mémoire du juriste Jean d’Auffay, composé en 1477–1478: à travers l’étude lexicale, les auteurs montrent que ce texte donne un état des luttes pour le pouvoir dans les anciens Pays-Bas et présente la nouvelle duchesse comme une figure de compromis.

Kathleen Daly présente, elle, le mémoire de la partie adverse, dont l’auteur était plutôt que Michel de Pons, Guillaume Cousinot. Les arguments sont fondés sur les notions d’État dynastique (avec l’apanage: fief, arrière-fief …), d’État féodal (sujétion et souveraineté), d’État juridique (droit et coutume royaux), d’État affectif (appel à l’émotion). Lisa Demets lit l’»Excellente Cronike van Vlaenderen« – dont la tradition manuscrite est complexe – afin de dégager la représentation »genrée« de la »Pucelle de Bruges«: la faible jeune femme avait besoin de la protection d’un futur époux, mais surtout de celle de son peuple de Flandre. Le thème de la Pucelle est présent dans les trois tableaux vivants de la joyeuse entrée de la princesse à Bruges en 1477, présentés par Olga Karaskova, dont la signification était l’attente d’un héritier (mâle), la succession légitime du duc Charles assortie de la fidélité de ses sujets, le désir d’une alliance entre la nouvelle duchesse et la ville. Une nouvelle duchesse avait besoin d’un sceau: le modèle était celui, répandu, du souverain à cheval, mais la représentant à la chasse au faucon; Andrea Pearson étudie l’utilisation du sceau, resté le même durant le règne, mais aussi son image vue par les personnes qui avaient à co-sceller les actes ou qui en avaient l’utilisation.

Ann J. Adams rappelle qu’un aspect de la légitimité était offert par la commission de tombeaux, sur le modèle de son grand-père Philippe le Bon: pour Marie de Bourgogne, celui de sa mère Isabelle de Bourbon († 1465) dans l’église de l’abbaye Saint-Michel à Anvers et celui de son oncle Jacques de Bourbon († 1468) dans la collégiale Saint-Donatien de Bruges. Les »Heures« de Marie de Bourgogne, conservées à la Bibliothèque nationale d’Autriche sont l’objet de deux contributions. Sherry C. M. Lindquist les regarde à nouveau, dans la perspective d’une machine genrée, posthumaine et identitaire, tandis qu’Erica O’Brien se focalise sur le portrait d’Isabelle de Bourbon qui y est inséré.

Dans la deuxième partie, »Cour, économie et institutions«, sont abordés divers thèmes, avec huit contributions. Jean-Marie Cauchies s’intéresse à l’entourage politique de la duchesse, ceux issus de son sang, ceux du grand conseil et ceux de la chambre des comptes. Valérie Bessey étudie la composition de son hôtel d’après l’ordonnance du 26 mars 1477, qui s’inscrit dans une continuité avec celui de son père, mais aussi une adaptation aux conditions nouvelles.

Avec Sonja Dünnebeil nous revenons au règne de Charles le Téméraire qui a utilisé sa fille comme »une arme diplomatique à valeur universelle«. Violet Soen se livre à une étude de cas avec les Croÿ: comment réintégrer cette puissante famille nobiliaire à la cour après son exil causé par le duc Charles. L’avènement de Marie a été marqué par la guerre: Michael Depreter analyse comment les armées »bourguignonnes« ont été reconstituées et sur quelles bases après les défaites du règne précédent (commandement, service, utilisation). Jean-Marie Yante replace le règne de la duchesse dans l’économie des Pays-Bas de la seconde moitié du XVe siècle, en nuançant l’expression »terre de promission«. Federica Veratelli retrace le pouvoir du luxe à travers les marchands italiens, qui formaient une »Petite Italie« à la cour de Bourgogne, alors que Giovanni Ricci s’intéresse au mouvement inverse, l’influence franco-bourguignonne à la cour des Este à Ferrare.

Morte, la princesse bourguignonne a été l’objet de »Mémoires contestées«, sujet de la troisième partie, qui se compose de cinq études. Alain Marchandisse, Christophe Masson et Bertrand Schnerb se posent d’abord la question de savoir si elle a reçu des funérailles d’un duc ou d’une duchesse à Bruges, alors que le pouvoir de Maximilien était contesté. Pierre-Gilles Girault montre que l’héritage de Marie de Bourgogne se retrouve dans les commandes et les collections de sa fille Marguerite d’Autriche, où ne se trouvait cependant pas son portrait, mais Marguerite a insisté sur son ascendance bourguignonne au monastère de Brou. Emmanuel Berger se penche sur un fait divers, le vol présumé du cercueil de la princesse sous la Révolution française, en 1796. Dominique Le Page examine la mémoire de Marie dans les anciens duché et comté de Bourgogne du XVIe au XIXe siècle: conflictuelle au début, puis objet d’interprétations concurrentes, enfin son utilisation dans le patriotisme bourguignon. De son côté, Gilles Docquier en fait l’examen en Belgique: une mémoire politisée avant l’indépendance, ensuite toujours présente dans le mouvement romantique et au-delà, la »vraie« Marie n’apparaissant qu’après 1945.

Dans »Tristes plaisirs. Mary of Burgundy in a Turbulent Era«, Éric Bousmar et Jelle Haemers tirent les conclusions de cette rencontre: Marie de Bourgogne entre commémoration et souvenir, la difficulté des temps dans lesquels elle a vécu, l’affirmation de sa personne. Suivent un Index Nominum et un bel ensemble de 66 illustrations en couleurs.

Ce volume est un grand et riche apport à la connaissance de Marie de Bourgogne, à son époque et à sa postérité mémorielle. Espérons qu’il incitera l’un ou l’une des auteurs à écrire une biographie de cette princesse.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Michael Depreter, Jonathan Dumont, Elizabeth L’Éstrange, Samuel Mareel (dir.), Marie de Bourgogne/Mary of Burgundy. Figure, principat et postérité d’une duchesse tardo-médiévale/»Persona«, Reign, and Legacy of a Late Medieval Duchess, Turnhout (Brepols) 2021, 475 p., 66 col. fig., 2 b/w tab. (Burgundica, 31), ISBN 978-2-503-58808-7, EUR 99,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92099