L’équipe de Nancy qui a lancé il y a quelques années l’idée d’étudier le phénomène de la »Formule« au Moyen Âge poursuit ses travaux et, fidèle à ses convictions, les mène sans limiter ses horizons par des frontières géographiques ou heuristiques. Le quatrième volume de la série, issu d’un colloque tenu à Poitiers en 2018, réunit des contributions variées, organisées en trois parties.

Dans la première, consacrée à la diplomatique, Maria Cristina Cunha et Maria João Oliveira e Silva analysent avec beaucoup de précision les formules de corroboration dans le cartulaire de l’abbaye de Guimarães, révélant ainsi des influences, mais aussi des choix (la place de la jussio) ou des pratiques (la distinction témoins/confirmantes). Étudiant les prologues des deux cartulaires de Santa Cruz de Coimbra, Leticia Agúndez San Miguel montre les thèmes communs, mais aussi les divergences, car si l’objectif, historiographique et politique, était identique, les contextes économiques et politiques différaient. Adele Di Lorenzo relève dans les préambules des chartes de l’évêque de Laon, Barthélemy (1113–1151), une forte influence de Grégoire le Grand, ainsi qu’une unité thématique au-delà d’une diversité de l’expression. C’est, nous explique Pilar Ostos Salcedo, sous le règne d’Alphonse X (1252–1284), marqué par une forte activité législative, que l’acte notarié castillan a acquis un formulaire élaboré et uniforme, influencé cependant aussi par la diplomatique castillane antérieure et par l’ars notariae italien. À la chancellerie d’Amédée VIII, duc de Savoie (1391–1439), comme chez nombre de ses contemporains, l’expression, de plus en plus nette, de l’autorité princière est exprimée par de nombreuses formules présentes aussi bien dans la titulature que dans l’expression de la volonté ou les mentions hors-teneur (Florentin Briffaz). En diplomatique, la formule n’est pas que textuelle: Adrián Ares Legaspi analyse le langage graphique des documents (actes et livres) des archives du chapitre cathédral de Saint-Jacques de Compostelle aux XIVe et XVe siècles et montre que le choix du type d’écriture, de la disposition de la page, de l’ornementation, est déterminé par plusieurs facteurs, parmi lesquels la formation reçue par les scribes et leur volonté de se conformer à une tradition étaient essentielles.

La deuxième partie, intitulée »Récits«, est plus diversifiée, plus littéraire. Anne Mathieu et Colette Stévanovitch relèvent les expressions caractérisant le héros éponyme dans le poème vieil-anglais »The Alliterative Morte Arthur« (fin XIVe siècle): qu’elles passent par des substantifs ou des adjectifs, elles relèvent bien du genre de la formule par leur caractère fréquemment répétitif; mais elles n’en sont pas moins utilisées avec souplesse en fonction du contexte. Les stéréotypes antijudaïques médiévaux étaient aussi forts que fréquents; Agnès Blandeau montre qu’en Angleterre ils s’exprimaient aussi par des formules, en ce sens que non seulement les idées étaient répétitives, mais leur expression également. François Wallerich relève dans des récits de miracles eucharistiques des exemples de citations bibliques, en particulier un verset de la première lettre aux Corinthiens, particulièrement adapté il est vrai. Natalia I. Petrovskaia souligne que si tout le monde, au Moyen Âge, s’accorde sur l’existence de trois continents, l’ordre dans lequel ceux-ci sont cités peut différer: l’Asie est toujours en tête, l’Europe précède l’Afrique dans les textes encyclopédiques, mais sous l’influence d’Orose elle la suit dans les textes historiographiques; à la fin du Moyen Âge l’Europe prend la tête du trio.

Avec la troisième partie, »Protéger et guérir«, on retrouve une forte homogénéité, même si la protection peut venir d’horizons différents. Valérie Gontero-Lauze se livre à une analyse littéraire du »Livre de Sydrac«, encyclopédie en langue romane du XIIIe siècle, écrite sous la forme d’un dialogue entre le roi Boctrus et le sage Sydrac: l’herbier contenu dans ce livre est rédigé dans une forme plus littéraire que le réceptaire, qui se limite souvent à des simples listes d’ingrédients. Étudiant trois manuscrits médicaux anglais du XVe siècle, Véronique Soreau montre à quel point les formules y sont prégnantes: soit parce que les recettes sont rédigées selon un schéma plus ou moins constant, soit parce qu’outre le recours aux plantes et aux recettes, la santé peut venir de formules magico-religieuses. C’est d’ailleurs sur ces formules apotropaïques que travaille Edina Bozoky, et plus particulièrement sur leurs usages: car elles pouvaient être orales, prononcées par le guérisseur et/ou par le malade, ou écrites, et ce cas constituer un écrit éphémère ou laisser une trace durable; elles pouvaient aussi être intelligibles ou cryptiques.

En guise de conclusion, Charles Garcia analyse la formularité de la liturgie médiévale à la lumière des concepts, des apports et des conclusions des différents auteurs du volume.

Avec ce livre, le concept de »formule« connaît un élargissement qui est aussi, et surtout, un approfondissement, et permet de lire des textes médiévaux avec un œil différent, très sensible à l’analyse diplomatique ou littéraire de la formule.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Charles Garcia, Elise Louviot, Stephen Morrison (dir.), La Formule au Moyen Âge IV. Formulas in Medieval Culture IV, Turnhout (Brepols) 2021, 302 p., 11 ill., 4 tab. (Atelier de recherche sur les textes médiévaux [ARTEM], 31), ISBN 978-2-503-59414-9, EUR 95,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92104