Après des années passées à étudier sous l’œil de l’archéologue de nombreuses cryptes réparties dans toute la France, pour la plupart remontant au haut Moyen Âge et à l’époque romane, Christian Sapin a publié une vaste synthèse1 sur le sujet, il y a de cela un peu moins d’une dizaine d’années. Entre 2002 et 2009, il a parallèlement dirigé un Programme Collectif de Recherches (PCR) afin d’analyser plus en détail les cryptes de l’Île-de-France et de la Picardie, en raison du nombre important d’investigations récentes ou en cours et d’un corpus foisonnant, tout en promouvant l’approche pluridisciplinaire: histoire, anthropologie historique, histoire de l’art, archéologie, archéométrie. Derrière son inépuisable et stimulante énergie s’est ralliée une pléiade de chercheurs travaillant ou ayant travaillé sur les cryptes des deux régions.
Afin de fédérer une trentaine d’auteurs pour cette publication, Christian Sapin s’est associé à Pierre Gillon, pour constituer un duo idéalement complémentaire avec le spécialiste de l’archéologie. Qui mieux que ce dernier pouvait coassurer la direction de l’ouvrage, en mobilisant ses compétences d’architecte et d’historien de l’architecture, en outre parfaitement à l’aise avec les textes médiévaux et, plus particulièrement, les sources normatives monastiques ou liturgiques. Pierre Gillon est d’ailleurs l’auteur de l’une des trois grandes synthèses qui débutent l’ouvrage: significativement, celle traitant du culte des saints et des reliques dans la zone géographique considérée. Les deux autres chapitres introductifs, toujours pour le même espace, concernent l’architecture des cryptes du haut Moyen Âge et de la période romane, par Christian Sapin, puis l’architecture et le décor des cryptes gothiques, par Arnaud Ybert. Effectivement, même si les cryptes correspondent davantage à des pratiques dévotionnelles romanes, surtout celles du XIe siècle, et qui ont donc tendance à être abandonnées par la suite, elles ne disparaissent toutefois pas complètement à l’époque gothique. Citons, par exemple, la crypte de l’ancienne abbatiale d’Argenteuil avec le déploiement d’un pavement coloré au XIIIe siècle, ou bien celle de Saint-Victor d’Autrêche (Oise), profondément remaniée dans la seconde moitié du XVe siècle.
L’ouvrage comporte ensuite 44 notices, classées par départements dans chaque région, conduites selon un même protocole méthodologique mais adapté à chacun des cas: localisation et environnement; cadre historique avec examen des sources écrites et iconographiques; historiographie des recherches; nouvelle lecture du parti architectural, de ses aménagements et de la chronologie; conclusions; sources et bibliographie. On compte 32 édifices conservés en totalité ou partiellement, et 12 édifices disparus, auxquels s’ajoutent 5 »non-cryptes«, des espaces faussement qualifiés de »crypte« par l’historiographie érudite ou l’imaginaire populaire. Le caveau découvert en 1611 à Montmartre et aussitôt interprété comme le lieu du martyr de saint Denis, une parfaite supercherie orchestrée par les religieuses, constitue probablement le plus beau cas de figure. Certains de ces espaces rejetés bénéficient toutefois d’une notice développée, comme l’étage inférieur de la chapelle romane, de plan octogonal, jouxtant au sud la cathédrale de Senlis. Toujours pour Senlis, nous nous demandons s’il ne conviendrait pas de faire basculer Saint-Frambourg dans cette catégorie. Les fouilles conduites dans les années 1970 ont-elles réellement mis au jour une crypte ou bien les bases de l’église construite autour de l’an mil par l’épouse d’Hugues Capet, la reine Adélaïde?
À côté d’ensembles quasiment inconnus ayant fait l’objet d’une investigation et d’analyses très complètes, comme Cormeilles-en-Parisis (Philippe Bilwès), d’autres, bien que beaucoup plus célèbres, bénéficient désormais d’une mise au point salutaire: pour Jouarre (Claude de Mecquenem et Pierre Gillon), le bilan minutieux aboutit à un véritable plaidoyer appelant à la reprise d’une étude de grande ampleur, avec l’ouverture de nouveaux sondages ciblés; pour Saint-Denis (Michaël Wyss, avec la collaboration de Jean-Pierre Gély, Rollins Guild et Werner Jacobsen) le réexamen complet des structures à la lumière des interventions anciennes livre un phasage très rigoureux des parties antérieures au chevet de Suger élevé à partir de 1140. Certains dossiers peuvent toutefois appeler à une interprétation divergente, comme pour la crypte de l’ancienne abbatiale Sainte-Geneviève à Paris (Pierre Gillon et Marc Viré), disparue mais documentée par quelques sources écrites et une série de documents graphiques réalisés au moment de sa destruction. L’analyse de la documentation nous incline, mais c’est une interprétation personnelle, à restituer, non pas une crypte à déambulatoire et chapelles rayonnantes du début du XIe siècle, mais un simple volume hémicirculaire, à l’instar du chevet supérieur primitif, élevé vers 1100, composé d’une vaste abside voûtée en cul-de-four.
Pour donner un aperçu de la riche matière contenue dans ce volume, sur laquelle devront assurément se fonder d’autres recherches, terminons par un dernier exemple, celui de l’ancienne abbaye Notre-Dame d’Argenteuil (Jean-Louis Bernard et Pierre Gillon), mise au jour lors des investigations archéologiques conduites par Jean-Louis Bernard en 1989. La fonction de sa vaste crypte reliquaire interroge. Celle-ci fut réalisée vers la fin du XIe siècle, à une période durant laquelle le monastère se trouvait encore occupé par une communauté féminine avant son expulsion par Suger en 1129. Accueillait-elle déjà la Sainte Tunique du Christ? Le précieux tissu passe pour avoir été miraculeusement découvert par les moines de Saint-Denis en 1156. S’agit-il d’une forgerie complète, comme le pensent certains auteurs, ou bien les moines dionysiens auraient-ils cherché à effacer la mémoire de leurs prédécesseuses en instrumentalisant l’invention d’une relique prétendument oubliée? Ajoutons une pièce à verser au dossier. Le musée d’Argenteuil possède un fragment sculpté, découvert dans les années 1950 dans un mur de l’ancienne abbaye datable comme la crypte autour de 1100, représentant les soldats endormis devant le Saint-Sépulcre gardé par un ange: un thème qui pourrait bien renvoyer à la Sainte Tunique. Par ailleurs, avec ses piles composées, la crypte d’Argenteuil pourrait bien se hisser parmi les monuments romans les plus remarquables de la région parisienne.
Plus généralement, on doit tout particulièrement saluer la qualité de la maquette, ainsi que le soin apporté aux illustrations: photographies actuelles et reproductions de documents visuels anciens. Quant aux nombreux plans et relevés réalisés pour ce volume, ils adoptent un système normatif très efficace de couleurs indiquant les différentes phases chronologiques (par siècle) et s’il s’agit d’une partie existante ou restituée. Les annexes regroupent l’inventaire des cryptes de l’Île-de-France et de la Picardie, les sources et la bibliographie, ainsi que deux très utiles index des noms de lieux puis des saints et reliques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Philippe Plagnieux, Rezension von/compte rendu de: Pierre Gillon, Christian Sapin (dir.), Cryptes médiévales et culte des saints en Île-de-France et en Picardie, Villeneuve-d’Ascq (Presses universitaires du Septentrion) 2019, 526 p., nombr. ill. (Architecture et urbanisme), ISBN 978-2-7574-2852-8, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92109