En 2020 le musée Rolin à Autun et le musée Vivant-Denon à Chalon-sur-Saône ont organisé en partenariat avec le musée du Louvre une exposition dédiée au mécénat artistique des fonctionnaires des ducs Valois de Bourgogne. Par l’origine de l’initiative et des instances qui ont permis que l’exposition (reconnue d’intérêt national) ait lieu, l’accent a été mis bien évidemment sur la partie méridionale des possessions des ducs. Et en effet, le catalogue qui en résulte et qui dépasse de loin le niveau de beaucoup de catalogues qui se limitent souvent à offrir au visiteur un souvenir d’une visite plus ou moins inspirée, se concentre sur l’héritage artistique que les fonctionnaires ducaux ont laissé derrière eux dans le duché (et comté) de Bourgogne. La notion de fonctionnaire ouvre la voie à des interprétations larges ou étroites comme on veut, force est de constater que ce sont les grandes familles souvent impliquées dans la gestion de biens de l’Église qui dominent. Les objets commandés dans un contexte ecclésiastique ont d’ailleurs eu une plus grande chance d’être conservés et de parvenir jusqu’à nous.
Comme on pouvait s’y attendre la qualité des objets d’art (et de leurs reproductions, résultat du travail d’édition de la maison Snoeck à Gand dont la qualité mérite d’être soulignée) a permis de publier un livre qu’on consultera autant pour les illustrations que pour les textes qui les accompagnent. Les collaborateurs qui ont signé les textes et les descriptions des objets sont tellement nombreux qu’il est impossible de les énumérer tous et toutes. Il importe toutefois de mettre en exergue l’apport de Jacques Paviot, auteur de plusieurs considérations générales autour de la cour de Bourgogne et du milieu de ses dignitaires qui ont, à l’instar des ducs et en imitant les investissements des membres de la dynastie, investi à leur tour dans l’art et dans les objets de luxe.
Le catalogue est divisé en quatre parties: servir le prince, à l’image du prince, les réseaux des commanditaires et des artistes, et les artistes et leurs ateliers. La chronologie se limite à en croire le titre du catalogue aux années 1425–1510, ce qui ne coïncide pas avec un principat spécifique mais couvre plus ou moins les règnes des ducs Philippe Le Bon et Charles le Téméraire, mais également, ce qu’il importe de souligner, la période troublée qui a suivi la grande crise provoquée par le décès du duc Charles sur le champ de bataille de Nancy en 1477. La chronologie du catalogue dépasse donc la chronologie traditionnelle qui a tendance à se limiter au terminus de 1477. En prenant soin d’incorporer le retour du duché dans l’escarcelle du roi de France ou, en ce qui concerne les territoires qui n’ont pas connu ce sort, d’évaluer la poursuite de l’aventure »bourguignonne« sous les successeurs et héritiers habsbourgeois des ducs, on a pu évaluer le comportement des hauts fonctionnaires face aux changements de régime.
Si la date du terminus post quem n’est pas vraiment justifiée on peut toutefois supposer que le mariage d’Agnès de Bourgogne avec Charles de Bourbon célébré à Autun en août 1425 est à l’origine de ce choix. Tout comme l’accent mis sur les villes d’Autun et Chalon a privilégié l’attention portée au mécénat de véritables dynasties de serviteurs des ducs que furent les Rolin (père et fils) et les Clugny, deux familles originaires d’Autun. Il n’est pas anodin non plus de noter qu’une grande partie du mécénat en Bourgogne proprement dite s’est effectuée dans un contexte ecclésiastique. Si la littérature abondante sur les ducs Valois de Bourgogne se concentre en très grande partie sur leurs principautés septentrionales (Flandre, Brabant, Hainaut, Hollande-Zélande), véritables pépinières de talents artistiques et dotées de réseaux d’artisans spécialisés dans la fabrication d’objets d’apparat et de culte, les commanditaires bourguignons ont jusqu’ici reçu moins d’attention. Un chapitre consacré aux carrières des évêques bourguignons, d’Auxerre, Autun et Langres et plus modestes de Nevers, Mâcon et Chalon-sur-Saône (de la main de Delphine Lannaud) est donc très utile, ne fût-ce pour nuancer et équilibrer la thématique de l’insertion des évêchés dans la construction étatique des ducs, qui met à juste titre l’accent sur les évêchés de Tournai, Arras, Cambrai, Utrecht ou Liège.
Autre chapitre qui a le mérite d’attirer l’attention du monde scientifique sur un aspect moins élaboré de l’histoire bourguignonne: celui qu’Hervé Mouillebouche a consacré aux châteaux et hôtels des serviteurs ducaux. Il démontre à quel point la mainmise sur le territoire se faisait toujours sur base des possessions de places fortes féodales qui parsemaient duché et comté. La carte (p. 78) des forteresses aux mains de Nicolas et Jean Rolin et de Guigone de Salins est à ce titre exemplaire et démontre si besoin en était à quel point le couple Rolin-de Salins était en mesure à la fois d’exercer une pression certaine sur les affaires du duché et d’en tirer des moyens qui leur ont permis d’investir dans une entreprise sociale et culturelle de premier plan que fut (et reste d’ailleurs) l’hospice de Beaune.
Si les différents chapitres et contributions à cette publication méritent l’attention du chercheur qui s’intéresse à l’histoire des ducs Valois, les aspects financiers et économiques des investissements et trains de vie évoqués ici mériteraient une approche plus approfondie. Une remarque similaire peut être formulée concernant les liens artistiques et autres du duché avec les principautés septentrionales dont étaient originaires un nombre non négligeable d’artisans et d’artistes qui ont été mis à l’œuvre dans les duché et comté. Ce lien devient bien évident dans le cas de la célèbre »Nativité« commanditée par le cardinal Jean Rolin auprès de Jean Hey, peintre formé dans l’atelier gantois de Hugo Van der Goes, et qui est maintenant l’objet le plus en vue du musée Rolin à Autun.
Comme c’est souvent le cas, la sélection des objets d’art disponibles pour les expositions a déterminé la teneur des notices et descriptions. Nos connaissances concernant les fastes et les investissements des hauts fonctionnaires des ducs à l’œuvre dans les principautés méridionales s’en trouvent sans aucun doute enrichies. Bien que certains aspects, tel le devoir de mémoire et l’importance des fondations funéraires des ducs et l’attachement familial à la mémoire (traité dans une notice de la main d’Alain Marchandisse), mettent bien évidemment l’accent sur le rôle de modèle joué par la chartreuse de Champmol, il ne faut pas que cela cache d’autres possibles influences. Ce thème précis aurait également gagné en profondeur en creusant davantage les pratiques et investissements effectués en parallèle ou en modèle – la question reste ouverte – dans les principautés septentrionales.
La dénomination d’»État« pour désigner la construction bourguignonne reste sujet de discussion entre historiens. On constate toutefois que la notion de »Grande principauté de Bourgogne« (proposée par Élodie Lecuppre-Desjardin dans sa monographie »Le royaume inachevé« de 2016) fait une apparition timide au moins dans une des nombreuses préfaces et autres avant-propos de ce catalogue, elle n’est pas anodine car elle reflète à la fois la nature hybride de la construction des ducs Valois et le malaise intellectuel et conceptuel qui plane toujours sur leur œuvre.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Marc Boone, Rezension von/compte rendu de: Brigitte Maurice-Chabard, Sophie Jugie, Jacques Paviot (dir.), Miroir du prince. 1425–1510. La commande artistique des hauts fonctionnaires à la cour de Bourgogne, Gand (Snoeck) 2021, 256 p., ISBN 978-94-6161-613-5, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92122