Composé d’une rapide introduction, de quatorze articles, d’une riche bibliographie en anglais et d’un index très utile, cet ouvrage est divisé en trois sections: »Children in Medieval Religion«, »Children in Medieval Law and Justice« et »Vulnerable Children«. Cette tripartition ne me paraît pas la plus judicieuse car les parties 1 et 3 se recoupent beaucoup et la partie 2 ne contient qu’un seul article sur la justice, s’appuyant bien davantage sur des sources littéraires. Peut-être une division par type de documentation aurait-elle été plus efficace ou le regroupement thématique que j’ai choisi pour cette recension.

Cinq articles abordent le thème de l’enfant prophète ou médiateur privilégié entre Dieu et les chrétiens. Dès le haut Moyen Âge, à cause de sa forte valeur spirituelle, l’enfant, surtout l’infans, est choisi par Dieu pour dire aux hommes le message évangélique. Saint Augustin écrit que les premiers pleurs de l’enfant sont comme une prédiction et une prophétie des misères qui l’attendent: »il ne parle pas encore et le voilà qui prophétise«. Dans ce volume, Sophia Germanidou scrute l’entrée à Jérusalem de Jésus dans la peinture byzantine des XIIe–XVe siècles (images, d’excellente qualité, reproduites en couleur). Dans la partie basse de la composition, près des jambes de l’âne, un jeune garçon enlève sa cape et la pose par terre pour que le Christ marche dessus, laissant souvent apparaître ses fesses ou ses génitoires. Cette nudité crue, rare dans l’art byzantin religieux, rappelle celle, sans honte, d’avant la Chute et symbolise le dépouillement de celui qui jette les oripeaux de ses anciennes croyances pour épouser la vraie religion. Dans cette scène, l’enfant représente tous les juifs qui reconnaissent et acclament le Christ. Dans le massacre des Innocents, étudié par Daniel T. Kline dans six drames rédigés en moyen anglais, on remarque le contraste entre le froid pouvoir patriarcal d’Hérode et la terrible douleur des mères à qui les bourreaux arrachent leur enfant et, par conséquent, l’expression d’un fort antijudaïsme. Mais surtout, ces petits enfants préfigurent le Christ. Morts non seulement »à la place« du Christ mais »pour« le Christ, ils sont les premiers martyrs de l’histoire chrétienne. Gavin Fort s’intéresse à la fête des Saints Innocents en Angleterre (Londres et Salisbury en particulier). Ce jour-là, le 28 décembre, l’enfant habillé en évêque qui prononce un sermon, lui aussi, est une métaphore du Christ. Paul A. Broyles se penche sur les qualités de Bevis, puer senex âgé de sept à onze ans selon les versions, dans le roman éponyme anglais du début du XIVe siècle, »Bevis of Hampton«. Enfin, Maire Johnson montre que les enfants saints irlandais, par les miracles qu’ils réalisent, procèdent à une imitatio Christi.

Trois contributions utilisent les sources hagiographiques. Ruth J. Salter étudie la manière dont les enfants, des deux sexes (qui représentent entre 15 et 48 % des guérisons: tableau p. 67), ont cherché à obtenir une guérison miraculeuse dans sept recueils de miracles anglais du XIIe siècle. Danielle Griego, à partir des récits de miracles anglais du XIIe au XVe siècle, montre le rôle prépondérant du voisinage qui aide, voire se substitue aux parents, partageant avec eux leur chagrin. Jenni Kuuliala exploite les procès de canonisation des XIIIe et XIVe siècles pour s’intéresser aux enfants handicapés.

Quatre articles portent sur l’enfant en famille. Melissa Raine étudie la manière dont Jack, le héros d’un poème comique et scatologique anglais du XVe siècle, »Jack and his Stepdame«, se venge de la maltraitance que sa belle-mère lui inflige: à chaque fois que la marâtre lui jette un regard noir, grâce aux pouvoirs magiques qu’il a reçu d’un vieillard, la méchante femme ne peut plus s’arrêter de péter. À partir de quelques sagas islandaises, Lahney Preston-Matto s’intéresse au fosterage masculin qui permet de renforcer les liens entre la famille natale et la famille »d’adoption« du jeune »nourri« et qui profite bien davantage aux pères d’accueil sur le plan matériel et affectif. Eve Salisbury analyse la vulnérabilité du corps de l’enfant dans »Havelok le Danois«, un roman de chevalerie anglais composé vers 1270 dans lequel les petites sœurs du héros, Swanborow et Helfled, sont impitoyablement égorgées et leurs corps démembrés par l’horrible Godard. La contribution de Mary A. Valante porte sur le non-désir d’enfant, l’infanticide, l’abandon, les accidents et les maltraitances à l’égard des enfants dans la documentation irlandaise du haut Moyen Âge.

Enfin, deux articles sont centrés sur la fin de l’enfance. À partir de la documentation judiciaire irlandaise de 1295 à 1314, Bridgette Slavin étudie les dangers auxquels sont confrontés les enfants, dans le ventre maternel et dans les rues où errent les cochons et de potentiels violeurs. Elle interroge aussi l’âge de la responsabilité pénale de l’enfance. Si dans la Common Law, les petits voleurs ayant dépassé l’âge de treize ans doivent verser une amende équivalente à celle des adultes, dans la pratique, on leur reconnaît, au moins jusqu’à l’âge de dix-sept ans, de nombreuses circonstances atténuantes qui allègent leurs peines. La contribution de Sarah Croix porte également sur cette période de transition si cruciale entre l’enfance et l’âge adulte à travers les pratiques mortuaires du début de la période viking dans le Danemark actuel. Les fouilles menées dans les cimetières de Ribe, Kaupang, Birka et Hedeby attestent que, là comme ailleurs, les petits enfants sont peu présents (de 12 à 19 % des sépultures). Soit leurs os si fragiles n’ont pas résisté au temps, soit ils ont été inhumés ailleurs, soit encore ils n’étaient pas présents dans ces ports aux cotés de leur père venu commercer. Le traitement de leur tombe atteste un soin évident qui prouve que les vivants n’ont pas été indifférents à leur disparition. Dans le cimetière de Ribe (700–début IXe siècle), on constate que les infantes (avant l’âge de sept ans) sont presque tous brûlés tandis que les pueri (entre sept et quatorze ans) sont, comme ceux qui ont dépassé l’âge de quatorze ans, pour moitié brûlés, pour moitié inhumés.

Paru en 2022,»Kids Those Days« est enfant de son temps: il propose une très grande variété de sources (littéraires, hagiographiques, judiciaires, archéologiques, etc.), s’intéresse à l’agency des plus jeunes, aux émotions, à la maltraitance ou encore s’inscrit dans les disability studies. Le grand regret cependant que l’on peut formuler, comme très souvent, est l’incapacité de tous les contributeurs à s’appuyer sur des travaux produits dans d’autres langues que l’anglais, pourtant si pionniers, abondants et riches sur le sujet depuis les années 1990–2000. La méconnaissance totale de ces études donne toujours l’impression que les auteurs défrichent des sujets qui sont pourtant explorés en profondeur depuis des décennies. C’est vrai des travaux sur les groupes d’âge, sur la sainteté ou l’adoption et le fosterage1. C’est également vrai des récits de miracles. Ruth J. Salter a raison de porter une attention soutenue au vocabulaire utilisé par l’hagiographe pour désigner les enfants (parvulus, puella, virgo, puellulus, etc.), aux personnes qui les entourent au moment de leur guérison (tableau p. 73) ou aux distances parcourues pour se rendre au sanctuaire (tableau p. 75). Mais toutes ces conclusions sont connues depuis longtemps de l’autre côté de l’Atlantique. L’auteure constate que 80 % des guérisons des »jeunes« dans les miracles de William de Norwich sont réalisées sur la tombe du saint (p. 85). Pour enrichir ce constat, il est essentiel de procéder à une nette distinction des âges de l’enfant car plus celui-ci est petit, plus le miracle a lieu loin du sanctuaire. Ce dernier, comme l’a montré Pierre-André Sigal dès 1985, constitue le centre de sacralité maximale et, comme je l’ai proposé en 1997, l’infans, à l’instant du miracle, se trouve plus souvent dans une zone périphérique, peu chargée de sacré, comme s’il portait en lui l’espace sacré qui le fera guérir2. L’ignorance des travaux rédigés dans une autre langue que l’anglais est d’autant plus regrettable que depuis plus de vingt ans des liens internationaux ont été établis sur de très nombreux thèmes abordés dans ce livre. Malgré nos échanges (toujours en anglais) féconds lors des nombreuses rencontres qui se sont déroulées, la recherche anglo-saxonne sur l’enfance demeure complètement renfermée sur elle-même.

1 Ilaria Taddei, Fanciulli e giovani: crescere a Firenze nel Rinascimento, Florence 2001; Anna Benvenuti Papi, Elena Giannarelli (dir.),Bambini santi, rappresentazioni dell’infanzia e modelli agiografici, Turin 1991; Maria Clara Rossi, Marina Garbelloti, Michelle Pellegrini (dir.), Figli d’elezione. Adozione e affidamentò dell’età antica all’età moderna, Rome 2014.
2 Pierre-André Sigal, L’Homme et le miracle dans la France médiévale (XIe–XIIe siècle), Paris 1985, p. 61; Didier Lett, L’enfant des miracles. Enfance et société au Moyen Âge (XIIe–XIIIe siècle), Paris 1997, p. 73–77. Ces deux ouvrages français sont cités en bibliographie mais ne sont pas utilisés.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Didier Lett, Rezension von/compte rendu de: Lahney Preston-Matto, Mary A. Valante (ed.), Kids Those Days. Children in Medieval Culture, Leiden (Brill Academic Publishers) 2021, XIV–362 p., 12 fig., 7 tabl. (Explorations in Medieval Culture, 13), ISBN 978-90-04-31517-4, EUR 134,00., in: Francia-Recensio 2022/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92126