Valérie Dubslaff est maîtresse de conférences en histoire et civilisation du monde germanique à l’université Rennes 2. Dans »›Deutschland ist auch Frauensache‹. NPD-Frauen im Kampf für Volk und Familie 1964–2000«, elle reprend et poursuit les travaux de la thèse de doctorat qu’elle a soutenue en novembre 2017 à l’université Paris-Sorbonne dans le cadre d’une cotutelle avec la Ludwig-Maximilians-Universität de Munich et qui a été distinguée par le prix de thèse 2018 du Comité franco-allemand des historiens. Son objectif est d’écrire l’histoire des femmes au NPD, mais aussi d’examiner celle du parti d’extrême droite lui-même – pour citer l’intitulé de sa thèse de doctorat – »à l’épreuve du genre«.

Suivant un découpage chronologique, l’ouvrage aborde d’abord l’essor du NPD de sa fondation en 1964 aux élections législatives de 1969, puis sa traversée du désert jusqu’en 1989–1990 et enfin l’émergence et l’effondrement du »nouveau NPD« jusqu’en 2020. Comme le montre V. Dubslaff, 1969 constitua une profonde rupture dans l’histoire du NPD parce que l’échec électoral (avec 4,3 %, le NPD resta sous le seuil des 5 %) y fut vécu comme un séisme et en eut aussi l’effet, mais également parce qu’en devenant pour la 1re fois partis d’opposition, la CDU et la CSU comblaient l’absence d’opposition conservatrice dont le NPD avait jusqu’alors profité. Événements évidemment majeurs de la vie politique allemande, la chute du mur de Berlin et la »réunification« placèrent quant à elles le NPD dans une situation d’autant plus particulière qu’elles le privaient de thèmes centraux de son discours depuis sa fondation: la division de l’Allemagne ainsi que le statut provisoire de la RFA et de sa constitution tel qu’il avait été précisément ancré dans la Loi fondamentale. Les modalités de l’unification créèrent en outre, particulièrement dans les nouveaux Länder, des conditions favorables à un retour du NPD sur la scène politique allemande, jusqu’à la fondation de l’AfD en 2013.

V. Dubslaff a veillé à écrire l’histoire du NPD et l’histoire des femmes du NPD dans leurs contextes. En ne se contentant pas de rappels rapides, elle a su restituer et analyser les évolutions du parti, en particulier sur le plan de la présence et de l’action des femmes, en tant qu’éléments constitutifs et le cas échéant en tant que conséquences des évolutions dans la République fédérale d’avant 1989/1990 puis dans l’Allemagne unifiée. L’histoire des femmes au NPD est ainsi traitée au regard de l’histoire du NPD, mais aussi dans ses articulations avec l’histoire des femmes en RFA. Ainsi, V. Dubslaff peut démontrer tantôt la banalité, tantôt l’originalité de la situation et du combat des femmes au NPD, analyser un discours combinant généralement antiféminisme et antisexisme ou faire apparaître un phénomène de double marginalisation des femmes du NPD dans la société de la RFA, en tant qu’extrémistes et en tant que femmes.

V. Dubslaff évoque ponctuellement l’aspect lacunaire des sources ainsi que les limites qu’il impose à son travail, sans renoncer alors pour autant à la formulation d’hypothèses et même de démonstrations, qui s’avèrent souvent originales et la plupart du temps convaincantes. Dans l’ensemble, elle a cependant trouvé, consulté et exploité une quantité et une diversité impressionnantes de documents. Et si les innombrables listes des cadres des instances du parti ou de ses candidats aux élections sont mises à contribution, au même titre que la très volumineuse presse du parti, on découvre aussi avec grand intérêt des documents relevant par exemple de la correspondance, comme la lettre adressée par Gertraude Winkelvoss à Adolf von Thadden lors de l’élection de ce dernier à la présidence du parti ou celle qu’elle a envoyée à ses anciennes camarades de lutte après avoir quitté le parti. Ce travail considérable sur les sources contribue non seulement au plaisir de la lecture, mais évidemment aussi à la vigueur de la démonstration. Il permet en outre de ne pas limiter l’étude à l’échelle fédérale et à celle des fédérations mais de l’étendre à l’échelle locale, de traiter non pas seulement de quelques personnalités, mais de »toutes« les femmes du NPD.

Loin de se cantonner à l’analyse de discours et de statistiques, V. Dubslaff écrit ainsi une histoire résolument incarnée des femmes du NPD, ne renonçant jamais à l’évocation d’aspects biographiques, leur consacrant même différentes sous-parties. Elle peut ainsi analyser les évolutions au sein du NPD comme le résultat de débats d’idées, mais aussi d’ambitions et de rapports de force, de relations entre des êtres humains, se distinguant par leurs personnalités et leurs parcours personnels. La prise en compte de la vie et de la situation personnelle des femmes du NPD lui permet plus spécifiquement de traiter des modalités de leur intégration au parti et en particulier d’évoquer certaines limites de leur progression en son sein. Cette approche a en outre l’avantage de faire apparaître la diversité parmi les femmes d’extrême droite en Allemagne après 1945 et en particulier des femmes du NPD depuis 1964, sur le plan de l’idéologie mais aussi sur le plan de la socialisation, qu’il s’agisse du contexte historico-politique ou du contexte familial. V. Dubslaff s’attarde ainsi toujours avec profit sur les questions centrales du rapport au »Troisième Reich« et c’est donc aussi sur cette approche qu’elle fonde efficacement son identification des trois générations qui ont marqué les phases successives de l’histoire des femmes au NPD: les »fondatrices«, les »héritières« et enfin la génération des »converties« (Bekennerinnen) qui contrairement aux précédentes, issues de la génération des »témoins« (Erlebnisgeneration), n’ont pas vécu le »Troisième Reich«.

En retraçant l’histoire des déléguées à la question féminine (Frauenreferentinnen), du Conseil fédéral des femmes du NPD (Bundesbeirat der Frauen der NPD) à la fin des années 1960, des groupes de femmes du NPD (NPD-Frauengruppen) dans les années 1970 ou bien entendu du Cercle des femmes nationalistes (Ring nationaler Frauen) à partir de 2006, V. Dubslaff analyse avec une grande acuité et un grand sens des nuances les formes de représentation, mobilisation, autonomisation et organisation des femmes au NPD. Elle montre entre autres comment les femmes du NPD ont pu obtenir des avancées dans la représentation et la participation au sein du parti lorsque les hommes à la tête de celui-ci ont accepté voire promu certaines aspirations des femmes, parce qu’ils jugeaient que cela correspondait à l’intérêt du parti (en matière électorale, de recrutement d’adhérents …) ou parce qu’ils y voyaient une opportunité de les contenir voire de les contrôler. De façon comparable, V. Dubslaff prend soin de distinguer l’évolution de la position des femmes du NPD à l’échelle locale voire régionale d’une part et sur le plan fédéral d’autre part. Et si elle met bien en évidence le parcours et le succès individuel de certaines femmes au NPD, elle ne les confond pas pour autant avec le statut des femmes du NPD en tant que collectif.

V. Dubslaff fait surgir et analyse avec force et finesse l’histoire des femmes au NPD. Elle montre dans quelle mesure elles ont, malgré la permanence de sa domination par les hommes, contribué à l’histoire du parti. Elle enrichit ainsi considérablement la connaissance de cette histoire et la fait apparaître sous un nouveau jour.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

François Danckaert, Rezension von/compte rendu de: Valérie Dubslaff, »Deutschland ist auch Frauensache«. NPD-Frauen im Kampf für Volk und Familie 1964–2020, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2022, 395 S. (Quellen und Darstellung zur Zeitgeschichte, 131), ISBN 978-3-11-075666-1, EUR 59,95., in: Francia-Recensio 2022/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92294