L’»Histoire de la justice au Luxembourg« éditée par Vera Fritz, Denis Scuto et Elisabeth Wingerter s’inscrit dans un courant historiographique majeur consacré à l’étude des fondements et des évolutions du pouvoir judiciaire dans les États-nations. Ce courant s’est profondément renouvelé depuis trente ans. Il a donné lieu à plusieurs synthèses collectives récentes parmi lesquelles, en 2015, l’»Encyclopédie historique de la justice belge« (sous la direction de Margo De Koster, Dirk Heirbaut et Xavier Rousseaux) et, en 2016, la 5e édition de l’»Histoire de la justice en France« (sous la direction de Jean-Pierre Royer, Jean-Paul Jean, Bernard Durand, Nicolas Derasse et Jean-Pierre Allinne). La parution en 2022 de l’»Histoire de la justice au Luxembourg« vient par conséquent opportunément nourrir une réflexion sur la construction de la justice contemporaine menée dans les pays limitrophes. À l’initiative du projet se trouve le ministère de la justice qui en confia la direction au Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History C2DH de l’université du Luxembourg.
L’ouvrage se divise en deux parties. La première consiste en une étude chronologique (1795–2020) de l’histoire contemporaine de la justice luxembourgeoise. La seconde se compose d’analyses thématiques visant à problématiser plusieurs aspects spécifiques de cette histoire (justice pénale, acteurs de la justice, justice internationale). En l’absence de travaux historiques de fond sur la plupart des sujets traités, le livre se veut une synthèse originale fondée sur l’exploitation inédite de fonds d’archives. Si le projet trouve immanquablement certaines limites compte tenu de l’état initial de la recherche, il convient de se féliciter du résultat final qui constitue une avancée réelle pour l’étude de la justice luxembourgeoise. Parmi les contributions les plus innovantes, citons celles relatives à la justice internationale et à son impact sur les institutions politiques du Grand-Duché. Ces recherches sont d’autant plus remarquables qu’elles sont restées à l’état de friche dans les synthèses belge et française précédemment citées.
Si les avancées produites par l’»Histoire de la justice au Luxembourg« sont importantes, les choix éditoriaux nous amènent à nous interroger sur deux points. Comme nous l’avons souligné, le présent ouvrage a été précédé de travaux menés par toute une communauté scientifique active dans le champ de l’histoire de la justice. Or, si l’on se réfère à la liste des auteurs, il apparaît qu’aucun chercheur étranger n’a été sollicité pour apporter une contribution. Cette situation est d’autant plus étrange que le Luxembourg ayant été à différentes époques sous la domination d’autres États, certains des meilleurs experts en histoire de la justice se trouvent précisément en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Alors que la participation de ces derniers aurait certainement enrichi le projet, les éditeurs ont préféré confier à Vera Fritz et Elisabeth Wingerter la rédaction de 13 des 22 articles du livre (dont 9 pour la seule Vera Fritz). Le choix éditorial donne dès lors l’impression d’un ouvrage coupé du monde académique international, transformant l’histoire de la justice du Grand-Duché en un domaine de recherche ne pouvant compter que sur ses propres forces. L’introduction ne mentionne d’ailleurs pas la publication des histoires de la justice belge et française et ne situe pas le projet dans un courant historiographique déterminé.
Le second problème posé par la ligne éditoriale réside dans l’absence de justifications relatives au choix des thèmes de la seconde partie du livre, censés problématiser des aspects spécifiques (p. XIII) de l’histoire de la justice luxembourgeoise. On peut notamment s’interroger sur les raisons qui ont mené à circonscrire l’étude de la justice pénale et des prisons au seul régime français. Il est certain que l’état actuel de la recherche ne permet pas d’embrasser l’ensemble des problématiques mais une orientation minimale nous paraît indispensable pour éclairer le lecteur. L’enjeu est d’importance au regard de l’ambition affichée par les éditeurs. L’objectif principal annoncé du livre est en effet de proposer une vue d’ensemble de l’évolution de la justice contemporaine et d’encourager la recherche à s’intéresser à ces sujets non-éclairés pour l’instant (p. XVII). Malheureusement, les éditeurs ne mentionnent pas la nature de ces thèmes et ne présentent pas d’orientations susceptibles de servir de programme pour de futurs travaux. De ce point de vue, s’il faut se féliciter de la publication de cette première histoire de la justice au Luxembourg, l’absence de lignes d’investigation laisse planer un doute sur le futur et la pérennité du champ de recherche.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Emmanuel Berger, Rezension von/compte rendu de: Vera Fritz, Denis Scuto, Elisabeth Wingerter (dir.), Histoire de la justice au Luxembourg (1795 à nos jours). Institutions – Organisation – Acteurs, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2022, 498 p. (Studien zur transnationalen Zeitgeschichte Luxemburgs, 1), ISBN 978-3-11-067953-3, EUR 49,95., in: Francia-Recensio 2022/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92296