Richard Griffiths, professeur émérite de l’université de Londres (King’s College), a derrière lui une longue carrière distinguée dont l’effort de recherche s’est largement focalisé sur l’histoire et sur la culture de l’extrême droite en France, depuis ses premières publications sur la »Reactionary Revolution. The Catholic Revival in French Literature, 1870–1914« (1966), et sa biographie du Maréchal Pétain (1970). Parfois, il est parti en excursion dans des domaines britanniques parallèles pour explorer comparativement, par exemple, les »compagnons de route de droite« dans la période avant la Deuxième Guerre mondiale (»Fellow Travellers of the Right: British Enthusiasts for Nazi Germany, 1933–39«, 1980).

Depuis lors, il a poursuivi des recherches dans d’autres domaines, toutefois il a continué de produire des articles sur l’extrême droite. Ce livre regroupe une douzaine de chapitres, dont quatre font des »élaborations« à partir d’articles déjà publiés. Pour orienter le lecteur tout-venant pourtant, les chapitres 1 et 6 offrent des survols de l’arrière-fond de la droite française d’avant 1914, alors que le chapitre 6 fait de même pour la droite extra-parlementaire de l’entre-deux-guerres. Richard Griffiths identifie avec raison l’affaire Dreyfus comme l’événement-catalyseur pour les trois figures principales de l’extrême droite naissante, c’est-à-dire Maurice Barrès, Édouard Drumont et Charles Maurras, ce dernier créant l’Action française (AF) en 1899.

Pour Griffiths, l’AF s’est caractérisée par deux traits »apparemment contradictoires«, d’abord un intellectualisme élaborant sa doctrine autour du »classicisme, l’ordre, l’anti-romantisme et l’anti-émotionalisme« opérant également dans les sphères littéraire et politique, pour ensuite identifier dans l’AF »un culte de la violence« à la fois langagière voire rhétorique, mais aussi physique, qui s’est surtout manifestée chez les »Camelots du Roy« (p. 11–12). On aurait pu brièvement retracer plus loin et plus fort la continuité de l’influence intellectuelle de l’AF après la Première Guerre mondiale sur de nouvelles générations d’écrivains, tels que Robert Brasillach, Thierry Maulnier et Lucien Rebatet. Ceci dit, l’importance est tout de même notée (au chapitre 8) de mentors tels que André Bellessort et Henri Massis, ce dernier en particulier dirigeant – dans le paysage intellectuel des années 1920 et 1930 – la pépinière de talents que fut »La Revue universelle«, rivale sur la droite de la plutôt libérale et radicalisante»Nouvelle Revue française«.

Au chapitre 3, Richard Griffiths offre une discussion sur »A Kind of ›torysme français‹. Action française and English Cultural Life«. Ici, il explore avec éloquence et parfois avec un humour ironique (l’auteur possède une voix qui engage) dans quelle mesure l’AF a pu influencer la vie culturelle anglaise – culturelle, parce que l’auteur ne voit guère d’influence politique à cet égard. Parmi les écrivains britanniques ouverts aux influences de la nouvelle droite française des premières décennies du XXe siècle se trouvent Hilaire Belloc et G. K. Chesterton. De bonne heure, Belloc se trouvera longuement envoûté par les doctrines de Charles Maurras. Belloc tenait à l’idée avancée par Maurras que même si »Dreyfus avait été innocent«, les intérêts de la nation et de l’armée ne continueraient qu’à être servis par le verdict de sa culpabilité (p. 38). Selon Griffiths, Belloc a certes fait écho de l’antisémitisme de l’AF; mais aussi il a »dévoré« les livres d’Édouard Drumont (»La France juive«) à l’époque de l’affaire Dreyfus. Suivent des paragraphes sur T. E. Hulme, et les »Imagists« des années 1907–1917, où l’on découvre un Hulme admirateur du »brillant groupe d’écrivains néo-royalistes autour de l’AF« (p. 40), pour y déceler et approuver le poids politique des termes culturels »romantisme« et »classicisme«; il approuvait la condamnation de Jean-Jacques Rousseau par Maurras et Lasserre.

Finalement, dans quelques paragraphes fort intéressants, Griffiths expose l’influence de Maurras et de l’AF sur le grand poète anglo-américain, T. S. Eliot. Dans son périodique »The Criterion«, Eliot a fréquemment exprimé son admiration et sa dette envers Maurras, défendant l’écrivain français contre la condamnation du Vatican en 1926. Et Eliot d’expliquer sa conception de son »Torysme«: c’est-à-dire qu’il s’agit moins d’un conservatisme modéré et »traditionnel« que d’une version bien plus radicale – et continentale – d’une politique de droite. Eliot a affiché enfin un antisémitisme guidé surtout par son antipathie envers »le monde moderne«, en y voyant la prétendue destruction par les Juifs de la civilisation européenne (p. 46).

En passant, on pourrait ajouter à un bilan des influences réciproques une autre inspiration, celle d’un écrivain britannique et cette fois-ci pour Maurras lui-même. En 1928, Maurras a rendu public son hommage personnel à J. E. C. Bodley, auteur de la fameuse radioscopie »France«, ouvrage publié déjà en 1898 et traduit en français en 1902. Dans une mince brochure, le leader de l’AF loue comment la lecture des célèbres tomes de Bodley – à son tour fort influencé par les idées d’Hippolyte Taine – l’avait renforcé dans la formation, l’évolution, enfin l’affirmation des doctrines maurrassiennes. Remarquablement, préfaçant son écrit, Maurras célèbre la découverte après-coup (dans ses lectures des recherches de Bodley) une pièce justificative pour soutenir l’élaboration de ses propres doctrines de la »réaction française«: »je trouvai ce beau livre si plein de vérifications et de suggestions décisives que je laissai éclater mon enthousiasme dans un petit travail destiné à le résumer plus qu’à le juger … Ces pages qu’on va lire datent de vingt-cinq ans«1.

Loin d’être une compilation de chapitres disparates, ce livre de Richard Griffiths offre une analyse des »fournisseurs de la haine« de l’extrême droite française et son influence. Pour l’auteur, la caractéristique dominante de cette diversité d’acteurs, infusant leurs formations et leurs politiques (malgré les apparences parfois), est celle de la haine. Haine multiforme dont les cibles comprennent les étrangers, les démocrates, les républicains, les capitalistes, les francs-maçons, mais dont la cible principale est le peuple juif. Griffiths révèle avec élégance, et parfois à la lumière de pertinentes comparaisons, combien l’antisémitisme est protéiforme, construisant enfin une arme avec laquelle les chefs de la droite politique se sont battus pour miner les structures du régime de l’État français. Quant aux batailles autour de l’altérité qui sévissent aujourd’hui, ce livre sur les haines de l’extrême droite française nous apprend beaucoup sur leurs origines.

1 Charles Maurras, L’Anglais qui a connu la France, Paris 1928, p. 8.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Martyn Cornick, Rezension von/compte rendu de: Richard Griffiths, France’s Purveyors of Hatred. Aspects of the French Extreme Right and its Influence, 1918–1945, London, New York (Routledge) 2021, 244 p., ISBN 978-0-367-25584-8, GBP 120,00., in: Francia-Recensio 2022/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92298