L’ouvrage de Daniel Hadwiger est la publication d’une thèse de doctorat soutenue en 2019 à l’université de Tübingen et récompensée par le prix de thèse du comité des historiens franco-allemands. Il s’intéresse aux deux organisations française et allemande de solidarité durant la Seconde Guerre mondiale – la Nationalsozialistische Volkswohlfahrt (NSV) et le Secours national. Si l’histoire de ces organisations a déjà été étudiée au cours des trois dernières décennies, Daniel Hadwiger propose toutefois une approche renouvelée par la méthode comparative et une histoire transnationale s’intéressant notamment aux transferts entre les deux organisations. S’inspirant de la tradition et des publications récentes concernant l’étude régionale du national-socialisme en Allemagne, il prend également le parti d’une focalisation locale sur le département du Nord-Pas-de-Calais et l’Alsace pour la France, le Gau de Westphalie et la Sarre pour l’Allemagne.
L’ensemble s’appuie sur un travail d’archive vaste et minutieux, tandis que l’approche comparative permet avant tout de mettre en évidence la spécificité des réponses apportées aux défis sociaux suscités par la guerre respectivement par le régime nazi et celui de Vichy. En déplaçant l’intérêt historiographique de la comparaison classiquement centrée sur l’action des organisations criminelles vers l’instrumentalisation des organisations sociales, il apporte un utile complément à la comparaison des régimes autoritaires et à l’analyse de l’émergence des politiques sociales en Europe. La comparaison est toutefois limitée par l’ampleur différente de l’adhésion à ces organisations dans la population des deux pays, un cinquième des Allemands ayant en effet adhéré à la NSV qui fut ainsi la deuxième organisation du pays en termes d’effectifs.
En dépit d’une instrumentalisation commune des structures de solidarité privées au service du régime, la thèse met d’ailleurs surtout en évidence les différences entre l’approche sociale et le fonctionnement du régime de Vichy et du régime nazi, à la fois à travers la biologisation radicale et la militarisation du social côté allemand. Si l’activité des deux organisations apparaît similaire dans leurs tâches – aide aux populations bombardées, aux évacués, aux orphelins, conseil et soutien financier aux familles et aux pauvres –, elle se différencie dans leurs fonctions dans la mesure où la NSV demeura prioritairement centrée sur la propagande politique au service de l’idéologie nazie. Surtout, la NSV prit une part très active dans la politique raciale du régime à travers une différenciation des populations ciblées, tandis que les populations juives et les ennemis politiques ne furent pas systématiquement exclus de la solidarité nationale côté français. Le Secours national reflétait ainsi la volonté de Vichy de démontrer la solidarité d’une nation en souffrance (»Leidgemeinschaft«) envers les plus faibles dans la logique de la charité chrétienne, alors que la NSV mettait en scène la solidarité envers les »forts« au sein d’une »communauté du peuple« orientée vers l’efficacité individuelle au service du collectif (»Leistungsgemeinschaft«). L’ouvrage souligne ainsi clairement les limites de la comparaison des régimes autoritaires avec le régime nazi, de même que la faiblesse des transferts et des circulations faute d’une véritable concordance des projets politiques qui les sous-tendaient. Il propose en conclusion un élargissement bienvenu de la comparaison à d’autres organisations européennes qu’il paraîtrait utile de développer dans un ouvrage spécifique.
La comparaison permet également de nuancer le tournant de la guerre dans le fonctionnement de l’action sociale, dans son financement principalement par dons comme dans sa déconfessionnalisation assez partielle. Dans ces différents domaines, les deux organisations ont essentiellement conservé les pratiques et les méthodes héritées des années 1930 ou de la Première Guerre mondiale. Si la guerre ne fut évidemment pas dans le domaine social un »laboratoire de la modernité«, on pourrait toutefois objecter à l’idée d’une »régression de l’assistance« défendue par l’auteur que la centralisation croissante et le monopole qui lui fut attribué n’en constituent pas moins une mutation majeure dans le domaine de la solidarité qui s’explique à la fois par la nature des régimes et par l’ampleur nouvelle des réponses sociales à apporter en temps de guerre. On peut également se demander s’il n’aurait pas été utile d’élargir l’empan chronologique du sujet en amont comme en aval afin de mieux éclairer les tournants pris par le social dans chacun des deux pays et le rôle spécifique de la guerre. De ce point de vue, le dernier chapitre sur les épurations, la dépolitisation, la déconfessionnalisation et les continuités du personnel et des pratiques apporte une intéressante ébauche d’explication. On regrettera enfin le choix éditorial d’une bibliographie présentée sans réflexion analytique minimale comme c’est malheureusement le cas dans la plupart des ouvrages édités en Allemagne.
De par l’apport de sources et d’approches méthodologiques nouvelles, l’ouvrage de Daniel Hadwiger offre ainsi une lecture fort utile pour l’historien du social, mais plus largement pour l’appréhension des régimes autoritaires en Europe durant la Seconde Guerre mondiale.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Mathieu Dubois, Rezension von/compte rendu de: Daniel Hadwiger, Nationale Solidarität und ihre Grenzen. Die deutsche »Nationalsozialistische Volkswohlfahrt« und der französische »Secours national« im Zweiten Weltkrieg, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2021, 405 S., 4 s/w Abb., 4 s/w Abb, 6 s/w Tab.,(Schriftenreihe des Deutsch-Französischen Historikerkomitees, 18), ISBN 978-3-515-13025-7, EUR 64,00., in: Francia-Recensio 2022/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92299