Cet ouvrage est tiré d’une thèse rédigée en cotutelle à Kiel et Brest, soutenue en 2006, et fait suite à une première publication en allemand (2010). Centré sur le fonctionnement de la base navale de Brest pendant l’Occupation, il s’ouvre sur l’analyse de la place de Brest et de la côte atlantique française dans les conceptions stratégiques des responsables de la Kriegsmarine pendant l’entre-deux-guerres, pour s’achever sur la reddition des forces militaires allemandes de la ville en septembre 1944. Lars Hellwinkel prend appui sur des sources diverses, tant allemandes que françaises, qu’il croise régulièrement pour produire des analyses précises et étayées. Les comparaisons multiples avec d’autres bases navales en France occupée – Bordeaux, La Pallice, Saint-Nazaire, Lorient ou Cherbourg – permettent de mettre en perspective le cas brestois.

Si le fantasme du contrôle de la façade atlantique française nourrit les réflexions stratégiques du haut commandement naval allemand dès les années vingt, c’est seulement en 1938 que l’hypothèse d’un conflit opposant le Reich à la Grande-Bretagne conduisit à faire de Brest la base stratégique rêvée. L’occupation de Brest le 19 juin sembla ainsi une »divine surprise« pour un haut commandement naval croyant alors à la matérialisation de son rêve stratégique, pourtant hors de portée en raison de la faiblesse des moyens dont disposait la Kriegsmarine. Après plusieurs mois d’hésitation entre Brest et Saint-Nazaire, la première fut désignée comme base principale sur la façade atlantique en octobre 1940, en dépit de son exposition aux raids aériens britanniques.

Toutefois, ce rêve fut dès l’origine contrarié par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les destructions multiples opérées par les Français avant l’arrivée des autorités allemandes nécessitaient une longue remise en état pour permettre une utilisation efficace de l’arsenal et du port. Le manque persistant d’équipement et de main d’œuvre qualifiée – en dépit de la collaboration des autorités vichystes et de la mobilisation de tout le tissu entrepreneurial local au service de l’occupant – pesa constamment sur les capacités de l’arsenal, hors d’état, par exemple, de réparer l’hélice endommagée du croiseur lourd Admiral Hipper. En outre, en dépit des moyens alloués à la défense de la base navale – une vingtaine de dragueurs de mines, une défense contre avions toujours plus puissante, des filets de protection contre les torpilles, des dispositifs variés de camouflage (filets, brouillards artificiels, navires-leurres) –, la pression britannique ne se démentit jamais: le premier bombardement intervint dès le 8 juillet 1940, et les actions britanniques se multiplièrent pendant les mois qui suivirent, mettant un terme à l’entêtement de l’amiral Erich Raeder, qui décida finalement en décembre 1941 de basculer les forces navales stratégiques vers le port norvégien de Trondheim. Dès 1941, la base de Brest s’orienta vers l’accueil de sous-marins – deux U-Flottillen sont présentes dès septembre 1941 – et les structures adéquates – abris et ateliers de réparation – furent construites.

Cet échec à faire de Brest une base stratégique de la flotte de surface allemande n’était en rien imputable à la résistance ou à la réticence des autorités françaises. Dès l’été 1940, face aux quelques tentatives d’obstruction de cadres de l’arsenal, les consignes du secrétaire d’État à la Marine, l’amiral Darlan, justifièrent la collaboration: il fallait à tout prix éviter les troubles sociaux qu’engendrerait l’inactivité des ouvriers de l’arsenal, cette dernière étant par ailleurs susceptible de justifier leur transfert en Allemagne; l’arsenal devait donc fonctionner au service de la Kriegsmarine; l’amiral espérait que cette collaboration serait payée de retour. Cette consigne fut anticipée puis strictement suivie par le capitaine de vaisseau, puis contre-amiral, Jean Baptiste Lucien Le Normand, commandant du port de l’arsenal. Tout au long de la période de l’occupation, la Kriegsmarine put recourir aux ressources de l’arsenal où servait un personnel essentiellement local – en janvier 1941, on dénombrait treize à quatorze ouvriers français pour un Allemand. En outre, les marins français, en uniforme, effectuaient diverses missions de balisage ou de remorquage au service des Allemands, y compris après l’occupation de la zone occupée en novembre 1942.

L’auteur fait preuve d’une compréhension marquée envers le positionnement des acteurs français qui optèrent pour l’entente avec l’occupant et cette absolution interroge: si l’on peut comprendre que les ouvriers de l’arsenal, dans le contexte extrêmement difficile de l’occupation, aient avant tout cherché à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, la situation des marins et des officiers de profession, dont la vocation impliquait l’acceptation du sacrifice ultime – à tout le moins, de celui de leur carrière –, ne peut être placée sur le même plan. Les exemples, bien mis en valeur dans l’ouvrage, du vice-amiral Marcel Traub, du contre-amiral Jean-Louis Negadelle, du lieutenant de vaisseau Jean Philippon et des ouvriers de la pyrotechnie Saint-Nicolas, démontrent clairement que d’autres choix étaient possibles et, en particulier, que l’on pouvait continuer à servir dans la marine de Vichy ou à travailler au sein de l’arsenal sans déférer à toutes les demandes allemandes, voire en résistant. Au demeurant, la population brestoise ne s’y trompait pas, qui s’en prenait parfois aux marins français, traités de »vendus« et de »collabos«.

Le récit s’achève sur la mise en place de la Festung de Brest, dans le cadre de l’édification du »mur de l’Atlantique«. À partir du début de l’année 1944, celle-ci entraîna évacuations forcées et réquisitions de populations civiles. Comme ailleurs en France, l’approche des libérateurs à l’été 1944 s’accompagna de destructions, d’exactions des troupes allemandes contre des civils et de la désarticulation progressive – mais jamais complète – du système défensif.

Livre dense, souvent précis, l’ouvrage de Lars Hellwinkel n’est pas toujours d’une lecture aisée. L’absence d’index des noms de personnes et d’organigrammes donnant à voir l’organisation des états-majors et des autorités militaires locales, tant côté français qu’allemand, ne permet pas de suivre les différents acteurs et de les situer les uns par rapport aux autres avec précision. De même, une carte de la côte atlantique faisant figurer les ports mentionnés et un plan de la rade de Brest auraient été précieux. Quelques coquilles et des répétitions (p. 210 et p. 221, par exemple), ainsi qu’une structure du récit parfois confuse où la trame chronologique qui sert de cadre n’est pas toujours respectée (p. 222 et suivantes) viennent obscurcir quelque peu la lecture. Tout cela est d’autant plus regrettable que l’utilisation de nombreuses illustrations et la citation de témoignages variés rendent, par ailleurs, extrêmement vivant le récit proposé, qui suscite de bout en bout l’intérêt du lecteur.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Simon Catros, Rezension von/compte rendu de: Lars Hellwinkel, La base navale allemande de Brest. 1940–1944, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2022, 284 p., ill. en n/b (Histoire), ISBN 978-2-7535-8229-3, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2022/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2022.4.92300