Depuis quelques années, les cours européennes attirent de nouveau l’intérêt de la recherche historique notamment en raison de leur capacité à s’adapter à des bouleversements politiques, comme le montre le projet de recherche »Monarchy in Turmoil. Rulers, Courts and Politics in The Netherlands and Germany, c.1780–c.1820«1. La troisième série des »Acta Borussica nouveaux«, publiés depuis les années 1990, est consacrée à l’histoire de la culture politique et notamment aux stratégies d’adaptation d’une monarchie tardive d’Europe centrale. Le volume 1 de cette série s’inscrit dans la tradition des recueils de sources historiques de la monarchie prussienne, »Acta Borussica«, publiés depuis la fin du XIXe siècle. Strictement parlant, il s’agit d’une combinaison d’une monographie rédigée par Anja Bittner, forte de 214 pages, et d’un recueil de documents d’archives. Ce livre présente donc à la fois un état de la recherche fondé sur une vaste bibliographie et un apport historiographique proprement dit, précédant les documents.

Dans son introduction, Wolfgang Neugebauer part du constat d’une renaissance de la forme d’état monarchique dans le dernier tiers du XIXe et au début XXe siècle diagnostiquée dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni par exemple. Les grandes monarchies de l’époque moderne, structurées régionalement et souvent assez hétérogènes, auraient disposé d’un potentiel d’intégration grâce à leur symbolique politique, à laquelle s’intéresse l’histoire culturelle et celle des émotions. Ce potentiel d’intégration de la monarchie dans la construction de l’État n’aurait pas été moins important au courant du XIXe siècle et ceci en dépit des bouleversements provoqués par la Révolution française et les transformations sociales liées à l’industrialisation. Le maintien de la monarchie dans la majeure partie de l’Europe permit à une forme sociétale ancienne, la cour, un renouveau splendide.

La monographie consacrée aux cours de la Prusse de 1786 à 1918, à leurs acteurs et leurs actrices ainsi qu’à l’univers de travail du personnel curial est divisée en trois parties. La première décrit le cadre institutionnel des cours, à savoir les principales charges de cours, les institutions et leur personnel ainsi que les cours parallèles, notamment celles des princes royaux, des veuves des monarques décédés. La deuxième partie explore le travail et la vie aux cours prussiennes de la prise de fonction des personnes à l’autoreprésentation en passant par leurs possibilités d’ascension et l’évolution de leurs carrières, les réseaux sociaux à la cour. La troisième partie traite des évolutions de la cour entre 1786, la mort de Frédéric II de Prusse et 1918, l’abdication de l’empereur Guillaume II. Dans l’ensemble, malgré des modifications et des tentatives de réformes, les actrices et acteurs des cours prussiennes restèrent attachés à la tradition et l’organisation; les structures ainsi que les procédures auraient peu changé au cours des 132 ans de la période d’étude. La cour était une entité stable. Une réorganisation complète telle qu’elle a été observée dans les monarchies britannique et autrichienne au cours du XIXe siècle n’a pas eu lieu. Les modifications mineures ne coïncidaient généralement pas avec les grandes césures de l’histoire politique de la Prusse comme la révolution de 1848/1850 ou la fondation de l’empire en 1871. La seule exception étaient les réformes après 1815.

La descendance nombreuse de Frédéric-Guillaume III et de Louise a conduit très tôt à une multiplication des cours parallèles. Anja Bittner observe un élargissement quantitatif de la cour royale surtout à partir de 1861.

Des tentatives de réformes avaient été faites par l’empereur Frédéric III. Déjà avant l’accès au trône, Frédéric III avait développé des projets pour une réorganisation complète de la cour, visant à donner à celle-ci une image qui tenait compte des transformations de la société industrielle. Mais au lieu de suivre la société dans sa recherche de plus en plus de confort, que les progrès des sciences et techniques rendaient possible, la cour devait se distinguer par l’exemple de son austérité. Il se serait inspiré directement de son ancêtre Frédéric-Guillaume III, que Talleyrand avait qualifié de cénobite. Pourtant, cette image d’une cour sobre ancrée dans la tradition prussienne présentée à la société devait cacher une rationalisation administrative et financière interne de la cour. Mais cette vision de l’organisation et du rôle de la cour n’aurait-elle pas été une adaptation aux valeurs d’une haute bourgeoisie, qui achetait ou bâtissait des châteaux pour montrer sa réussite sociale, mais qui en privé préférait la simplicité2? Que les critiques de Frédéric III au sujet de l’inefficacité de l’organisation du travail à la cour royale et son coût aient été justifiées ou non reste une question ouverte de même que celle de savoir si les réformes auraient amélioré le fonctionnement du travail à la cour. Après son règne célèbre par sa courte durée de 99 jours, son fils Guillaume II, en opposition à ses parents et plus proche de son grand-père Guillaume Ier, révoqua immédiatement les mesures de réformes de son père. Il n’y avait qu’un aspect où Guillaume II partageait davantage les idées de son père que celles de son grand-père. Pour Guillaume Ier, après 1871, sa cour est toujours restée sa cour royale de Prusse et il a toujours insisté sur la distinction entre les fonctions impériales et royales. Pour Frédéric III et Guillaume II, la cour devait être davantage une cour impériale (Reichshof) pour tout l’Empire allemand.

L’objectif de cette édition est de fournir du »matériel prussien« pour des recherches d’histoire comparée. Les résultats du travail révèlent qu’il n’y eut pas un modèle de cour unique qui aurait inspiré les rois de Prusse. Que le modèle français de la fin du XVIIIe siècle ne soit pas source d’inspiration pour les Hohenzollern n’est peut-être pas une nouveauté et aurait été surprenant après les guerres napoléoniennes et le discrédit des Bourbons en Prusse. Quant à la mode vestimentaire, notamment les livrées, Frédéric-Guillaume III s’est inspiré de la cour de François Ier de Habsbourg. Le recrutement pour des hautes charges de la cour se limitait à un cercle de familles de la haute aristocratie et ceci jusqu’en 1918. Le peu d’ouverture à ces milieux de cour à la grande bourgeoisie d’affaires avait déjà été soulevé.

Le recueil de sources est présenté par Bärbel Holtz. Les documents sont regroupés par thème selon les indications de la monographie et numérotés de 1 à 194. Le nombre de documents est plus élevé dans la mesure où souvent plusieurs écrits d’un échange sont publiés. La majeure partie des documents provient des archives de l’État prussien (Geheimes Staatsarchiv à Berlin-Dahlem). Ces documents sont complétés par des correspondances privées et des sources d’autres archives allemandes et étrangères. Étant donné la qualité de ce travail, qui atteindra sans doute son objectif, on attend la publication des volumes suivants de cette série avec impatience.

2 Dolores L. Augustine, Arriving in the Upper Class: the Wealthy Business Elite of Wilhelmine Germany, dans: David Blackbourn, Richard J. Evans (dir.), The German Bourgeoisie: Essays on the Social History of the German Middle Class from the the Late Eighteenth to the Early Twentieth Century, New York, London 2015, p. 46–85.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Nicola Todorov, Rezension von/compte rendu de: Anja Bittner, Bärbel Holtz (Hg.), Der preußische Hof von 1786 bis 1918. Ämter, Akteure und Akteurinnen, Paderborn, München, Wien, Zürich (Ferdinand Schöningh) 2022, 940 S. (Acta Borussica. Neue Folge, 3. Reihe, 1), ISBN 978-3-506-70833-5, EUR 239,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94364