Le titre révèle la double ambition de cet ouvrage collectif, fruit d’un colloque tenu en juin 2019 à la faculté de théologie de l’université de Paderborn. Il s’agit de réexaminer la notion de »confessionnalisation« (Konfessionalisierung), que l’on pourrait avoir trop rapidement abandonnée au bénéfice de celle de »cultures confessionnelles« (Konfessionskulturen) et, plus récemment, d’»ambiguïté confessionnelle« (konfessionelle Ambiguität). Il s’agit, d’autre part, d’asseoir ce réexamen sur une étude approfondie des pratiques liturgiques et des stratégies pastorales dans le diocèse de Paderborn, traditionnellement considéré comme un modèle de confessionnalisation catholique. En introduction, les trois éditeurs rappellent rapidement l’état de la réflexion historiographique et indiquent les trois questions qui sous-tendent plus ou moins toutes les contributions: s’agit-il d’un »projet« initié par le sommet ou d’un »processus« favorisant l’émergence d’une culture confessionnelle? Quel est l’objectif visé par le »sommet« et quelle est la réception de la »base«? Peut-on préciser la chronologie du processus de confessionnalisation, notamment par rapport à la guerre de Trente Ans?

Une première partie est consacrée aux »acteurs de la confessionnalisation catholique à Paderborn«. Bettina Braun brosse le portrait de Dietrich von Fürstenberg. Évêque de Paderborn (1585–1618), il est avant tout soucieux de renforcer son pouvoir princier. Cherche-t-il à mieux former et à discipliner le clergé paroissial (notamment en ce qui concerne le respect du célibat), les résultats ne se font sentir que sous l’épiscopat de son successeur. S’efforce-t-il de soutenir les pratiques dévotionnelles, revivifiées ou introduites par les jésuites, et liturgiques, la résistance de la noblesse territoriale ralentit la formation d’une identité confessionnelle. Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, la vie du diocèse de Paderborn est moins »marquée« par la confessionnalisation qu’elle n’est le cadre dans lequel celle-ci prend forme. Pour étudier l’attitude de la noblesse territoriale, Gesine Dronsz prend pour source les oraisons funèbres (Leichenpredigten), répandues plus particulièrement chez les protestants. Au XVIe comme au XVIIe siècle, elles sont l’ultime occasion de professer la foi évangélique manifestée par le défunt durant toute sa vie. A contrario, on ne trouve pas d’oraison funèbre catholique typiquement contre-réformatrice, comme si l’environnement catholique dispensait de faire preuve de prosélytisme, voire d’agressivité.

Stefan Kopp inaugure la deuxième partie avec une étude des réformes liturgiques post-tridentines. Trois dates scandent les deux siècles pris en considération: 1513 et le premier bréviaire imprimé, 1586 et la réunion d’un synode diocésain au lendemain des réformes liturgiques tridentines, 1602 et la rédaction d’un agenda diocésain, explicitement référé au concile de Trente et à visée catéchétique. Sa mise en œuvre se heurte à la résistance de la noblesse protestante. Elle se réalise lentement tout au long du XVIIe siècle et ne s’achève qu’au XIXe siècle. Jürgen Bärsch complète cette première étude par une analyse de la »baroquisation« des pratiques liturgiques, notamment celles réservées aux malades et celles organisant les processions à la chapelle dite de Rome, incorporée dans le collège des jésuites en 1606. Pour l’auteur, cette importance donnée aux »représentations« et à la théâtralité est au cœur de la confessionnalisation et de la culture confessionnelle catholique. Albert Gerhards se concentre sur l’espace intérieur des églises qui s’organise en fonction des autels – et plus spécialement du maître-autel – et des lieux de conservation des reliques. Tout en ménageant les déplacements processionnels, latéraux et verticaux (crypte, jubé), la mise en place de bancs accentue la dimension théâtrale.

L’article de Joachim Werz porte sur le recueil de sermons, rassemblé par le bénédictin Albert Egginck en 1594 et demeuré manuscrit. Si la dimension polémique contre le protestantisme y est nettement marquée, l’influence du concile de Trente reste faible. La confessionnalisation ne fait que débuter. Elle apparaît d’ailleurs comme un processus bien plus polymorphe que planifié. Consacrée aux ouvrages de dévotion (Andachtsbücher), la contribution de Nicole Priesching met en évidence le positionnement confessionnel encore indécis du monde de l’édition. Il n’y a pas véritablement de censure et c’est la volonté de pouvoir obtenir un privilège qui pousse les imprimeurs à la prudence. Arrivé à Paderborn en 1595, Matthäus Pontanus n’est pas un modèle d’orthodoxie. Son ancrage catholique ne se précise qu’en 1604, l’année même où les jésuites – dont il devient proche – fondent leur collège. Il meurt en 1622, l’année où l’armée luthérienne de Christian von Braunschweig s’empare de la ville. Le rétablissement de la situation en faveur du catholicisme n’intervient qu’en 1627/1628. Même après la guerre de Trente Ans, le monde de l’imprimerie n’est pas confessionnellement monolithe! Le contenu des livres de dévotion atteste longtemps l’influence de la Devotio moderna et l’existence d’une religiosité qui exalte l’homme intérieur et peut transgresser les frontières confessionnelles. Ces livres jouent un rôle important mais nuancé dans la formation des cultures confessionnelles, en particulier après la guerre de Trente Ans. Le dernier article traite de l’historiographie au XVIIe siècle et plus particulièrement des »Monumenta Paderbornensia« publiés durant l’épiscopat de Ferdinand von Fürstenberg (1661–1683). Tilman G. Moritz souligne leur fonction de légitimation au lendemain des traités de Westphalie, le caractère transconfessionnel que leur donne leur prétention scientifique, mais aussi la dimension programmatique qu’ils pouvaient avoir pour celui qui en était l’instigateur. Il publie d’ailleurs en annexe, assorti d’une traduction en allemand, l’écrit autobiographique – »Commentariolum« – rédigé en latin, de Ferdinand von Fürstenberg.

L’ouvrage, malheureusement dépourvu d’index, se termine avec les propos conclusifs d’Andreas Holzem, soucieux de préciser le sens, pas toujours explicité, des concepts utilisés, de rappeler la dimension sociale des pratiques religieuses et de signaler silences et omissions. Les trois éditeurs esquissent de leur côté les perspectives que peuvent encore offrir de nouvelles recherches sur la notion de confessionnalisation, dans la mesure même où, selon eux, la pluralité est au cœur des identités chrétiennes, le processus confessionnel apparaissant comme un possible élément de stabilisation.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gérald Chaix, Rezension von/compte rendu de: Stefan Kopp, Tilman G. Moritz, Nicole Priesching (Hg.), Katholische Konfessionalisierung in Paderborn? Religiöse Prozesse in der Frühen Neuzeit, Münster (Aschendorff) 2021, 270 S., 11 s/w Abb., ISBN 978-3-402-24820-1, EUR 29,80., in: Francia-Recensio 2023/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94381