Cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2019, sert un projet ambitieux et novateur: offrir une étude synthétique de l’ensemble du corpus des recueils collectifs de poésies du XVIIe siècle. Genre éditorial, le recueil collectif est le mode de diffusion majeur des pièces poétiques contemporaines. L’objectif de cette étude est de replacer le recueil collectif dans son contexte de publication et d’en mesurer l’importance littéraire et culturelle selon différents points de vue: celui des auteurs et éditeurs, et celui des lecteurs.

En dressant un bilan problématisé des recherches autour des recueils collectifs de poésie, l’introduction montre que les études réalisées jusqu’ici se sont souvent limitées à un simple inventaire, laissant de côté à la fois la question éditoriale et celle de la réception. Or, parce qu’il repose sur un travail éditorial, le recueil collectif doit être pris en compte avec ses particularités matérielles. Le parti pris méthodologique de Miriam Speyer est donc interdisciplinaire, puisqu’il s’appuie sur les outils de l’analyse littéraire, de la sociologie, et de l’histoire de l’édition. Les bornes chronologiques du corpus sont déterminées par l’acte inaugural de Raphaël du Petit Val (1597), dont le recueil collectif transforme le genre pour la suite du XVIIe siècle. Ce principe sera ensuite repris jusqu’en 1671, avec la création du »Mercure galant«, qui concurrence dès lors le recueil collectif par la publication périodique de poésies.

Dans une première partie, Miriam Speyer rend compte de la particularité du recueil collectif de poésies au XVIIe siècle selon trois axes. Elle en réalise d’abord une analyse typologique à partir de ses caractéristiques formelles. Celles-ci sont avant tout matérielles: un recueil est le fruit d’une publication imprimée composée de plusieurs textes indépendants les uns des autres. Différenciant le recueil collectif de l’anthologie ou du florilège, l’autrice dégage comme critères définitoires majeurs la contemporanéité, l’hétérogénéité et la variété des pièces poétiques. Selon un axe historiographique, l’autrice périodise l’évolution des recueils collectifs. Son approche, à la fois quantitative et qualitative, dégage trois moments d’essors éditoriaux: du début du siècle aux années 1630, avec des publications marquant un tournant dans l’histoire du genre éditorial (Raphaël du Petit Val, Mathieu Guillemot et Toussaint du Bray); des années 1650 à 1670, où l’on observe un nombre croissant de pièces galantes; et les années suivant 1670 qui marquent l’essoufflement du genre suite à la concurrence des périodiques. Le troisième axe se concentre enfin sur l’usage que font les libraires-imprimeurs du recueil. Ce chapitre s’appuie ici sur les textes d’accompagnement (avis, épîtres dédicatoires), les tables et les privilèges, et montre la façon dont les libraires deviennent de véritables créateurs littéraires. Le rôle du paratexte n’est pas anodin, puisqu’il renseigne sur la façon dont les éditeurs déploient une logique de la littérature par pièce, défiant ainsi la notion même de »livre«.

La deuxième partie propose une lecture analytique des pièces qui suit un parti pris méthodologique marqué, rendu nécessaire par leur très grand nombre. Ce travail a donné lieu à la création d’une base de données réunissant plus de 10 000 textes, permettant de mesurer quantitativement l’évolution du genre éditorial et d’isoler les pièces les plus représentatives de certaines périodes. Dans une perspective diachronique, Miriam Speyer affine notre connaissance des courants poétiques du XVIIe siècle. Son approche n’a pas peur de certaines formulations anachroniques, mais très efficaces, puisqu’elle qualifie les pièces à succès de »tubes« musicaux, qui permettent d’identifier les goûts du temps et la manière dont se construit la valeur de telle pièce, de tel auteur ou de telle autrice. Tout en réalisant des analyses littéraires détaillées de certaines poésies, elle éclaire les circonstances socio-historiques et culturelles de leur réussite. L’autrice s’attarde notamment sur les »poésies galantes«, à partir de l’exemple de Du Perron et Bertaut, poètes ayant suscité l’engouement des lecteurs durant cette période. Dans la seconde moitié du siècle, l’éventail des genres et les formes d’écritures s’élargissent. Une étude approfondie est alors donnée de l’essor du prosimètre, qui devient emblématique de la galanterie littéraire, tandis que s’affirment l’assouplissement du mètre et une nouvelle forme de l’énonciation poétique.

Dans un dernier temps, Miriam Speyer se situe du côté de la réception en interrogeant la place du lecteur. Elle identifie trois façons de lire les recueils collectifs. La première consiste à voir dans ces ouvrages une histoire de la poésie du XVIIe siècle. La mise en recueil serait alors un mécanisme de canonisation, le compilateur sélectionnant les poètes dignes de passer à la postérité. Une deuxième lecture, retrouvant des intuitions anciennes d’Alain Viala1, envisage le recueil comme une »gazette«, qui s’appuie sur l’actualité pour plaire au public du moment. La dispositio des pièces est à ce titre décisive pour le succès du recueil auprès du public. La troisième lecture, la plus forte, assigne au recueil collectif une visée pédagogique: la thèse de Miriam Speyer est de montrer que le recueil joue le rôle d’une école poétique, indiquant au lecteur les modèles à imiter. Le recueil collectif de poésies se situerait donc entre lecture et écriture, dans la mesure où il donne au lecteur une structure, l’incitant à se lancer lui-même dans la création. Ceci est favorisé par le contexte galant, où les lecteurs des recueils collectifs sont loin d’être des consommateurs passifs. Les jeux d’écriture en société sont nourris par leurs lectures, transformant les recueils en véritables arts poétiques.

Miriam Speyer termine son ouvrage par une conclusion critique, soulignant elle-même les limites de son travail. Bornée géographiquement par les publications parisiennes, elle invite à étendre le terrain vers l’étude des éditions provinciales et européennes. La base numérique n’est pas encore rendue accessible au moment de ce compte-rendu et gagnerait à le devenir. L’ensemble de ce travail représente une avancée essentielle dans l’étude de la poésie du XVIIe siècle, par sa visée synthétique et son approche interdisciplinaire. En particulier, il offre de tous nouveaux cadres de compréhension des enjeux de l’écriture et de la publication poétiques, en montrant de manière concrète comment s’opèrent la circulation et l’appropriation des pièces. La bibliographie monumentale de Frédéric Lachèvre, »Bibliographie des recueils collectifs de poésies publiés de 1597 à 1700«, prise comme point de départ, est ici affinée et corrigée. En offrant un éclairage nouveau sur des auteurs jusqu’ici négligés par la critique, cette étude donne de nouvelles perspectives de recherche, tant sur des œuvres que sur le rôle des éditeurs dans la vie littéraire.

1 Alain Viala, Aux origines de la presse, dans: Id., Naissance de l'écrivain: sociologie de la littérature à l'âge classique, Paris 1985 (Le sens commun), p. 124f.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Caroline Mogenet, Rezension von/compte rendu de: Miriam Speyer, »Briller par la diversité«. Les recueils collectifs de poésies au XVIIe siècle (1597–1671), Paris (Classiques Garnier) 2021, 844 p. (Lire le XVIIe siècle. Série »Voix poétiques«, 9), ISBN 978-2-406-10962-4, EUR 68,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94392