Dans cet ouvrage, issu d’une thèse en histoire du cinéma soutenue en 2018, Perrine Val nous livre le cadre et l’envers du décor des relations cinématographiques entre la France et la République démocratique allemande (RDA). En étudiant les circulations et les réseaux entre professionnels du cinéma à l’aide d’archives d’institutions, de coupures de presse et d’entretiens, elle nous amène à nous interroger sur l’articulation entre le contexte national et international dans la (re)construction des cinématographies françaises et est-allemandes ainsi que sur les liens entre cinéma et identité nationale. Ces relations cinématographiques sont étudiées sous le prisme de la transvergence1 qui, à l’inverse de la convergence, souligne les »déraillements« afin de ne pas aplanir les »différences irréductibles entre des films, des cinéastes«. Dans quatre parties chrono-thématiques qui se suivent et parfois se chevauchent, Perrine Val revient sur les grandes étapes des relations cinématographiques entre les deux pays, depuis la fondation de la Deutsche Film AG (DEFA) en 1946 à sa disparition en 1992.

Dans une première partie, l’autrice revient sur la période allant de l’après-guerre à la veille de la construction du Mur. Impulsée par les autorités soviétiques, la création de la DEFA précéda de trois ans la création de la RDA. Les premiers films est-allemands cherchaient à montrer une société faisant face à son passé dans des films tels que »Die Mörder sind unter uns« (Wolfgang Staudte, 1946), premier film allemand de l’après-guerre. Quant au cinéma français en RDA, Perrine Val met en avant le concept de francité, incarnée par des acteurs tels que Gérard Philippe, Jean Marais et Simone Signoret, pour expliquer la réception des films français et les représentations stéréotypées de la France dans les films de la DEFA. Les quatre seules coproductions franco-est-allemandes furent tournées entre 1956 et 1960. Décevant autant les critiques que le public, l’historienne les présente néanmoins comme des espaces de proxémie, c’est-à-dire des espaces de rencontre et d’expérience, entre l’Est et l’Ouest durant la guerre froide.

Dans une deuxième partie, Perrine Val traite de la période allant de 1955 à 1969 avec le thème des passeurs et des lieux de passage internationaux entre le cinéma français et est-allemand. Les festivals de film furent également des espaces de proxémie Est-Ouest, même si les films est-allemands ne furent jamais en compétition officielle au festival de Cannes en raison de la doctrine Hallstein. Les festivals secondaires et d’Europe de l’Est permirent toutefois aux films de la DEFA d’être présentés officiellement. Quelques »cinéastes-passeurs«, tels que Joris Ivens ou René Vautier, animés par leur engagement communiste, jouèrent un rôle important dans le rapprochement entre la France et la RDA. Ces cinéastes tournèrent essentiellement des films documentaires parfois dans le cadre de co-productions franco-est-allemandes. L’Algérie en lutte contre la colonisation française fut également un espace de proxémie cinématographique entre la France et la RDA (»Algérie en flammes«, René Vautier, 1961). Des coproductions entre la DEFA et des pays socialistes traitant de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah connurent également un certain succès critique et commercial en France, même si l’origine est-allemande était souvent effacée.

Dans une troisième partie, Perrine Val explore les collaborations cinématographiques transnationales à l’heure de la »guerre fraiche«, entre 1970 et 1980. On peut toutefois s’étonner de l’utilisation du terme »guerre fraîche« pour l’ensemble de la décennie alors que cette expression semblerait plutôt désigner le regain de tension dans la deuxième moitié des années 1970. Alors qu’Unifrance Film, la compagnie d’exportation des films français, et la DEFA-Außenhandel, établirent des contacts en 1965, le régime est-allemand encouragea l’organisation d’une semaine du film français la même année. En retour, une semaine du film de la RDA en France fut organisée en 1971, qui permit de faire connaître la RDA en France. L'équipe de Camera DDR tourna par ailleurs de nombreux documentaires assez courts à destination du public français et qui étaient diffusés grâce aux réseaux de l'association d'amitié franco-est-allemande Échanges franco-allemands, renommée France-RDA en 1973. Ils n’eurent toutefois de loin pas le même succès que les films du Studio H&S, notamment ceux sur le Chili après le coup d’État du général Pinochet. Deux films documentaires tournés par des Français à dix ans d’intervalles témoignent de deux représentations françaises différentes de la RDA. Alors que »Derrière le Mur« (Jacqueline Mepiel, Mario Merret, 1967) donnait la parole à la fois à des intellectuels et à des quidams, le film »Vivre en paix – RDA 1974« (Daniel Karlin, 1974), tourné à Karl-Marx-Stadt, fut très encadré par Camera DDR et donnait l’image d’une RDA factice.

Dans une dernière partie, Perrine Val traite d’une longue période allant de 1976 à 1992. L’historienne voit dans cette période un changement de logique chez les acheteurs est-allemands qui privilégièrent cette fois le côté divertissant à la dimension politique des films français diffusés en RDA, participant à une occidentalisation de la culture est-allemande. L’ouverture du Centre culturel de la RDA à Paris en décembre 1983 et du Centre culturel français (CCF) à Berlin-Est en janvier 1984 marquèrent la véritable normalisation des relations culturelles entre les deux pays. Dans les années 1980, le public français porta davantage d’attention au cinéma est-européen, en particulier polonais. Une vision plus »auteuriste« de ce »cinéma d’auteur sans auteurs«2 qu’étaient les films de la DEFA fut de mise en mettant en avant quelques figures célèbres telles que Konrad Wolf ou le documentariste Jürgen Böttcher. Au moment de la Wende, trois cinéastes français, Chris Marker, Marcel Ophüls et Jean-Luc Godard réalisèrent des documentaires au ton assez mélancolique pour la télévision.

Dans cet ouvrage foisonnant, Perrine Val explore ainsi sous un angle nouveau l’histoire du cinéma est-allemand et les relations culturelles entre la France et la République démocratique allemande. L’historienne analyse, à l’aide de différents concepts novateurs, les coopérations fructueuses mais également les chemins tortueux de ces relations cinématographiques, entravées par les tensions géopolitiques et des logiques de productions différentes. On peut toutefois regretter le fait que Perrine Val aborde trop peu les relations entre le cinéma français et ouest-allemand durant cette période, notamment les productions du »nouveau cinéma allemand«, qui influencèrent forcément les relations cinématographiques entre la France et la RDA. Par ailleurs, des références aux relations entre la RDA et d’autres pays occidentaux, l’Italie ou le Royaume-Uni par exemple, auraient pu permettre quelques points de comparaison intéressants.

1 Will Higbee, Beyond the (trans)national: towards a cinema of transvergence in postcolonial and diasporic francophone cinema(s), dans: Studies in French Cinema 7,2 (2007), p. 79–91, DOI: 10.1386/sfci.7.2.79_1.
2 Perrine Val, Un cinéma d’auteur sans auteurs?, dans: Trajectoires 8/2014, DOI: 10.4000/trajectoires.1447.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Franck Schmidt, Rezension von/compte rendu de: Perrine Val, Les relations cinématographiques entre la France et la RDA. Entre camaraderie, bureaucratie et exotisme (1946–1992), Villeneuve-d’Ascq (Presses universitaires du Septentrion) 2021, 390 p. (Mondes germaniques), ISBN 978-2-7574-3360-7, EUR 30,00., in: Francia-Recensio 2023/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94497