Dans ce petit livre, le lecteur ne trouvera pas un nouvel exposé de l’histoire des croisades, mais plutôt une réflexion personnelle de l’auteur sur les perceptions de l’événement, les lieux et quelques personnalités qui se sont distinguées au cours des deux siècles d’existence des États latins d’Orient. Non sans humour, avec parfois des comparaisons osées, l’auteur navigue du passé au présent et du présent au passé, avec l’idée que l’histoire se répète et que les différences entre nos ancêtres et les hommes de notre temps sont bien minces.
Adrian Boas entremêle sa réflexion d’éléments biographiques, partant de son Australie natale pour arriver à son travail d’archéologue à Montfort, la grande forteresse de l’ordre Teutonique en Israël, au sein d’une nature préservée. S’appuyant sur les témoignages de Rorgo Fretellus et de Burchard du Mont Sion, il fait revivre l’inconfort du voyage maritime médiéval entre l’Italie et le Proche-Orient, décrit l’apparition d’animaux fantastiques dans les récits des croisés, avant de s’intéresser à la guerre entre chrétiens et musulmans. La comparaison entre les opérations navales des communes italiennes au XIIe siècle et la bataille de Midway entre Américains et Japonais au cours de la Seconde Guerre mondiale surprend quelque peu le lecteur qui retrouve ses habitudes lors du récit des échecs croisés: la croisade de 1101 ou la conquête avortée de Damas en 1148. La découverte d’un monde nouveau suscite l’étonnement des Occidentaux devant des plantes inconnues, des fruits exotiques ou les splendeurs de la mer Morte au coucher du soleil, que l’auteur ose rapprocher de la vision nocturne d’une raffinerie aujourd’hui.
Avec l’évocation des lieux, on retrouve un récit plus classique. La défaite des croisés à Hattin (1187) est expliquée par les erreurs stratégiques de Guy de Lusignan et de ses conseillers; elle laisse sur le champ une multitude de cadavres et est commémorée par un monument à Saladin, dont les ruines sont encore en place. Suivent de belles descriptions des majestueuses forteresses du Crac des Chevaliers et de Belvoir, dont la rude beauté n’est égayée que par de sobres décorations du hall et de la chapelle. L’auteur en vient ensuite à Jérusalem où la tour de David, improprement appelée ainsi par les Byzantins et les musulmans, est symbole d’autorité, comme le montrent les disputes entre Raymond de Toulouse et Godefroy de Bouillon, ou entre Baudouin III et sa mère, la reine Mélisende. Adrian Boas décrit l’éclectisme artistique du Saint-Sépulcre, reconstruit en 1149, où se croisent les influences romane, byzantine et musulmane. Il donne une explication convaincante du nom de la porte Dung Gate (Porte de la Fiente), qui viendrait du voisinage de tanneries utilisant excréments et urine dans le traitement des peaux.
De Jérusalem on passe à Acre, la capitale du royaume franc au XIIIe siècle, dont le déclin est souligné grâce aux témoignages de Jacques de Vitry et de Burchard: les tensions entre les diverses communautés qui se partagent la ville, l’étroitesse du port, la pollution maritime contrastent avec la puissance du palais des Templiers, dernier réduit à résister aux mamluks en mai 1291. Hors de la zone côtière, les campagnes intérieures de la Syrie franque ne manquent pas d’intérêt: l’auteur évoque le mont Thabor, siège d’une abbaye bénédictine dès 1101, et surtout les »villages-rues«, tels Aqua-Bella ou el-Kurum, où des Francs s’installent, comme l’avait montré le regretté Ronnie Ellenblum.
La dernière partie du volume évoque quatre personnalités qui ont marqué l’histoire des États francs. Guy de Lusignan, roi faible et indécis, responsable du désastre de Hattin, mais réhabilité par l’organisation de la résistance à Acre, face aux troupes de Saladin, et par l’établissement d’une nouvelle dynastie à Chypre, est comparé, dans ce va-et-vient entre passé et présent auquel se complaît l’auteur, à Winston Churchill, responsable malheureux de la bataille des Dardanelles en 1917 mais héros de la résistance à Hitler. Puis, l’auteur évoque Marino Sanudo l’Ancien, auteur en 1321 d’un plan ambitieux d’une nouvelle croisade qu’il défend sans succès toute sa vie durant. Ensuite Germain, créateur vers 1185 d’un petit barrage près de Jérusalem, avec la préoccupation écologique de préservation des ressources hydriques. Enfin, Saladin, dont l’auteur, après quelques réflexions sur l’attitude des hommes politiques à travers les siècles, souligne les vertus morales et la profonde humanité, sauf envers son ennemi Renaud de Châtillon, décapité après la bataille de Hattin.
Dans cet ouvrage, qui se termine par une courte bibliographie thématique, Adrian Boas, excellent connaisseur de l’histoire des croisades, invite le lecteur à une réflexion sur ce temps de conflits souvent comparés, parfois avec audace, à des événements de notre époque. Bien écrit, émaillé d’incises personnelles, le livre d’Adrian Boas se lit d’une traite et ne s’oublie pas.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Michel Balard, Rezension von/compte rendu de: Adrian J. Boas, The Crusades Uncovered, Leeds (Arc Humanities Press) 2022, 112 p., 12 fig. (Past Imperfect – ARC), ISBN 978-1-64189-478-4, EUR 14,82., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94506