La célébration du neuvième centenaire de la fondation de l’abbaye de Morimond avait donné lieu à une belle publication1; il n’était que justice qu’il en aille de même pour le neuvième centenaire de sa première fille, Bellevaux, fondée en 1119 dans le diocèse de Besançon. L’ouvrage dirigé par Nathalie Bonvalot et Romain Joulia s’inscrit dans cette filiation. Il se compose de deux volumes, un premier rassemblant les contributions des participants au colloque organisé pour célébrer l’évènement à Vesoul en 2019, un second présentant un corpus de sources médiévales éditées et traduites.

Le premier volume rassemble 15 contributions, réunissant archivistes, archéologues, historiens, historiens de l’art et étudiants de ces disciplines. Il est introduit par Gérard Moyse, ancien directeur des archives départementales de la Haute-Saône, qui souligne le contraste surprenant entre un fond d’archives exceptionnel et la pauvreté des vestiges physiques laissés par l’abbaye. Difficilement accessibles jusqu’à récemment, en raison de leur éclatement entre fonds publics et privés, ces fonds archivistiques ont fait l’objet d’une reconstitution patiente qui a permis de les réunir et les rendre accessible depuis 2008. L’auteur présente ensuite les différentes contributions, parmi lesquelles la période médiévale se taille la part d’honneur, puisque neuf s’y rapportent, une seule portant sur la période moderne, souvent délaissée dans les monographies monastiques, une seule aussi portant sur la période contemporaine. Les quatre derniers chapitres s’intéressent davantage aux infrastructures de l’abbaye et à son histoire matérielle (environnement, aménagements hydrauliques, architecture et décoration) dans une dimension diachronique où l’approche archéologique domine largement.

Les premières contributions s’inscrivent dans une approche historique traditionnelle des monographies monastiques: avec un large rappel historique, René Locatelli, ancien professeur d’histoire médiévale à l’université de Besançon, replace l’abbaye et sa fondation et, plus largement, l’expansion de l’ordre cistercien, au sein du mouvement de la réforme religieuse. Cette contextualisation politique, sociale et religieuse, centrée sur les XIe–XIIe siècles, permet d’entrer ensuite dans le vif du sujet. Les débuts de l’abbaye sont étudiés par Nicole Brocard, au moyen d’une analyse statistique des 309 actes issus des deux cartulaires, et qui font l’objet d’une publication dans le second volume. Elle montre le succès rapide de la fondation, activement soutenue par les archevêques de Besançon et l’influente famille de la Roche. Anne Wagner souligne le rôle spécifique joué par la dévotion à Pierre de Tarentaise, en raison de la mort de l’illustre saint évêque survenue en ce lieu en 1174. Benoît Chauvin se penche sur les problématiques liées à la pratique de l’enterrement de laïcs au sein des abbayes cisterciennes à travers la querelle qui oppose l’abbaye cistercienne de la Charité, fille de Bellevaux, à sa maison-mère. Hubert Flammarion et Ernst Tremp s’intéressent pour leur part à l’inscription de Bellevaux dans les relations internes à l’ordre cistercien, s’interrogeant sur les motivations et les circonstances qui permettent à l’abbaye de Morimond d’essaimer en Lorraine et dans le comté de Bourgogne, d’une part, puis à Bellevaux d’établir des filiales dans le diocèse de Bâle (Lucelle) et de Lausanne (Montheron), d’autre part. Laurence Delobette souligne l’importance du rôle, souvent négligé, des femmes de la famille fondatrice, alors même qu’il s’agit d’un monastère masculin. En s’intéressant aux granges de l’abbaye, Nathalie Bonvalot met en évidence l’importance du temporel de Bellevaux, pendant que Patricia Guyard, reprenant le travail du regretté Denis Grisel, s’intéresse à la seigneurie de Bellevaux et aux relations que le monastère tisse avec les habitants et les communautés locales. Paul Delsalle attire l’attention sur le devenir de l’abbaye aux XVIe et XVIIe siècles et sur le système des prébendes qui structure la répartition des pouvoirs et des revenus au sein du monastère. Vincent Bichet se livre à une analyse détaillée du site (environnement, topographie, hydrologie), qui sert de base aux importantes infrastructures hydrauliques du site, remarquablement préservées à Bellevaux, et étudiées en détail par Nathalie Bonvalot. Magali Orgeur attire notre attention sur l’importante collection de carreaux de pavement médiévaux retrouvés à l’occasion de fouilles en 1986–1987, provenant de l’église abbatiale, et aujourd’hui conservés au musée de Vesoul. Félix Ackerman présente une histoire architecturale de l’abbaye, réduite aux restes des bâtiments du XVIIIe siècle qui ont échappé aux destructions. Quelques vestiges épars du mobilier liturgique (stalles, tableaux, retables) peuplent encore les modestes églises paroissiales des environs. Pascal Brunet s’attache à mettre en lumière les décors et l’architecture raffinée du dernier bâtiment subsistant, la maison conventuelle construite en 1786–1788. Ce premier volume se clôt par l’édition des procès-verbaux de visite de 1616 et 1632, réalisée par Angélique Henriot-Boillot.

Le second volume est une édition de tous les documents concernant le premier siècle de l’abbaye (1119–1220), auxquels a été ajouté l’édition du premier censier du début du XIVe siècle. Ce long et patient travail d’édition et traduction a été réalisé par Gérard Moyse et René Locatelli. Le volume rassemble 309 actes de la pratique, provenant des fonds de Bellevaux (essentiellement les archives départementales de Haute-Saône, Doubs, Jura, Côte d’or), ainsi que quelques textes épars ajoutés en raison de leurs liens avec Bellevaux et ses abbés. L’introduction de ce second volume, brève, retrace l’histoire des fonds et inclut une présentation synthétique des deux cartulaires. Il comporte enfin un livret photographique reproduisant certains des documents et quelques tableaux généalogiques des grandes familles locales.

L’ouvrage est utile, à l’image du volume d’édition de sources qui mettra à portée du lecteur nombre de documents médiévaux. Ce second volume représente un travail considérable, dont les deux auteurs reconnaissent cependant les limites et l’aspect partiellement inabouti. On peut regretter par exemple l’absence d’index systématique, ni dans le premier ni dans le second volume, où l’on trouvera cependant un tableau d’identification des toponymes, toujours utile. Les aspects diplomatiques, en raison de l’ampleur de l’étude que cela aurait représenté, ont aussi été laissés de côté. On peut d’ailleurs s’interroger sur la finalité exacte de ce second volume. La numérisation complète des deux cartulaires et de leurs diverses copies permet d’avoir accès à l’essentiel de la documentation; et on peut se demander si une publication sous forme électronique n’aurait pas pu permettre un accès plus systématique aux originaux et faciliter les recherches par des systèmes d’indexation plus développés.

Le premier volume ne comporte pas de conclusion, mais une simple et courte postface de Romain Joulia. Il ne comporte pas non plus de bibliographie générale, seulement une bibliographie sélective des références relatives à Bellevaux. Si les contributions qui y sont rassemblées permettent de faire le point sur les grandes étapes de la vie de l’abbaye, on peut cependant regretter qu’elles témoignent, au moins pour certaines, d’un état de la recherche et de l’historiographie un peu daté, voire désuet. Elles permettent cependant de faire connaître un ensemble archivistique et patrimonial méconnu, et on peut espérer qu’il nourrira de nouveaux travaux qui viendront approfondir ces premières recherches.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Vincent Corriol, Rezension von/compte rendu de: Nathalie Bonvalot, Romain Joulia (dir.), L’abbaye de Bellevaux. Neuvième centenaire (1119–2019). 1: Bellevaux. Fondation et rayonnement d’une abbaye cistercienne. Actes du colloque (Vesoul, 16 et 17 mai 2019). 2: Bellevaux. Le premier siècle (1119–1220), le premier censier (début XIVe siècle), Besançon (Presses universitaires de Franche-Comté) 2022, 369 p. (Collection Annales littéraires, 1034), ISBN 978-2-84867-920-4, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94507