Les travaux réunis par Sulamith Brodbeck, Anne-Orange Poilpré et Ioanna Rapti dans ce volume publié dans la collection »Byzantina Sorbonensia« sont »le fruit d’une réflexion collective sur l’image chrétienne entre l’Antiquité tardive et la fin du Moyen Âge« centrée sur la question de la »narration en images« (p. 1). Non seulement l’approche est large d’un point de vue chronologique, ce qui permet de mettre en lumière des effets de continuité ou de rupture, mais elle prend en compte aussi bien le versant de l’Occident latin que celui du monde byzantin tout en étant interdisciplinaire, de l’histoire de l’art à la littérature en passant par l’exégèse et la théologie. L’ensemble est issu d’une série de rencontres qui ont eu lieu entre novembre 2017 et octobre 2018 et ont été l’occasion de réunir »trois générations de chercheurs formés selon des méthodes et des traditions diverses« (p. 1). En outre, le sujet abordé, celui de la narration en images, se rattache au programme »IMAGO-EIKΩN. Regards croisés sur l’image chrétienne médiévale entre Orient et Occident«, mené par S. Brodbeck et A.-O. Poilpré en collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art au sein d’un programme porté par Isabelle Marchesin. D’ailleurs, ce volume vient à la suite d’un premier, publié en 2019, intitulé »Visibilité et présence de l’image dans l’espace ecclésial. Byzance et Moyen Âge occidental«et édité par S. Brodbeck et A.-O. Poilpré.
Divisé en trois parties thématiques, le livre est constitué de seize contributions internationales rédigées en français ou en anglais. Outre S. Brodbeck, A.-O. Poilpré et I. Rapti les contributeurs sont Marcello Angheben, Bertrand Billot, Licia Buttà, Mary B. Cunningham, Ivan Foletti, Barbara Franzé, Liz James, Henry Maguire, Charis Messis, Maud Pérez Simon, Héléna Rochard, Maria Alessia Rossi, Judith Soria et Nicolas Varaine. Les supports textuels et iconographiques sont variés et comprennent aussi bien de l’homilétique, des récits bibliques et hagiographiques, des textes apocryphes, des textes liturgiques, de la littérature courtoise, mais aussi des papyrus magiques et autres amulettes; des peintures murales, des enluminures, des décors peints de plafond, des mosaïques, des tapisseries ou bien encore des sculptures. Les contributions sont émaillées d’un grand nombre d’illustrations en couleurs et en noir et blanc, de bonne qualité, insérées directement dans le texte, ce qui rend la lecture agréable et permet de suivre aisément les réflexions. On relève aussi un certain nombre de schémas, outils bienvenus et précieux pour visualiser l’agencement spatial et narratif des images, reproduits d’après des ouvrages antérieurs ou produits par les auteurs eux-mêmes. Le tout est suivi de deux index répertoriant d’une part les personnes (auteurs cités et personnages représentés) et les lieux (localisation des œuvres étudiées et lieux représentés) d’autre part. Leur présence est louable dans un ouvrage collectif.
Le livre repose sur une riche introduction d’une vingtaine de pages qui revient sur les problématiques essentielles tout en synthétisant les principales idées mises en exergue par les contributions. En trois temps, les autrices qui ont dirigé l’ouvrage introduisent ce dernier efficacement et de manière rigoureuse. Au passage, on peut noter la publication en 2020 d’un autre volume collectif dirigé par Marcello Angheben sur les stratégies de la narration, issu de rencontres qui ont eu lieu en 2015 et 2016 et auquel ont pris part plusieurs auteurs du présent ouvrage1. L’approche était différente, concentrée sur la tradition vétérotestamentaire et s’interrogeait davantage sur les modèles. À partir du constat qu’il est nécessaire de distinguer narration et narrativité et de s’affranchir de la distinction d’un ordre chronologique et de la question du modèle, les trois enseignantes-chercheuses entendent travailler davantage sur »les procédés visuels du récit plutôt qu’au sujet lui-même« avec une »intention holistique« (p. 3). De fait, l’ouvrage a pour visée de »réhabilite[r] la narrativité des images chrétiennes comme un domaine de réflexion scientifique« (p. 21).
Après avoir retracé les contours des grandes orientations historiographiques de la question de la narration dans les images entre Orient et Occident et souligné les évolutions de la définition de l’image narrative, les approches adoptées dans les contributions sont mises en relief à partir de trois grands axes de réflexion, non hermétiques et qui sous-tendent l’organisation tripartite de l’ouvrage. Il s’agit de »la composition du récit en images et la structure des cycles, la fonction et la finalité de l’histoire […] et, enfin les temporalités de l’image« (p. 19).
Au fil des contributions, la question du rapport entre textes et images est examinée. C. Messis pointe et interroge la notion d’asymétrie qui avait été mise en avant par H. Maguire dans ses travaux antérieurs sur les rapports entre littérature et iconographie. Dans le même ordre d’idées, l’approche d’I. Foletti nécessite de décentrer le regard, puisqu’il cherche à situer les plus anciennes traces documentées d’un cycle narratif dans la nef d’une basilique et propose de positionner la tradition mise en place à Milan à partir des années 380, en amont de la tradition développée à Rome à partir de la toute fin du IVe siècle. À de nombreuses reprises, les travaux accordent une certaine attention à la rhétorique de l’image narrative, voire à son éloquence (p. 205, L. Buttà et M. Pérez-Simon). Il ressort des contributions que la sensibilité propre à l’époque de production de l’image narrative peut être source de renouvellement et conjointe à un processus de réappropriation. Différents enjeux – liturgiques, ecclésiologiques, politiques, etc. – de la narration sont analysés.
Dans le sillage du premier volume »Visibilité et présence de l’image dans l’espace ecclésial«, l’appréhension de »la logique spatiale de l’image« (p. 12) est montrée comme incontournable. Des dynamiques circulaires (B. Franzé p. 189; I. Rapti p. 270), centripètes (S. Romano p. 117) ou bien encore des jeux de »vis-à-vis thématiques« (B. Billot p. 160) et plus largement une »mise en espace« (A.-O. Poilpré) des séquences enrichissent la narration et enclenchent des jeux de temporalités inscrites dans l’espace. Dans ce sens, les schémas et autres projections proposés sont des solutions adéquates pour rendre compte à la fois de l’organisation visuelle de la narration, mais aussi de son ancrage spatial et de sa distribution dans l’espace construit. Les articulations entre spatialité, narrativité et temporalités sont au cœur du volume et on ressent l’élan méthodologique donné notamment par les travaux de Jérôme Baschet sur les peintures de Bominaco, de San Giminiano et de Saint-Savin. Au-delà du carcan réducteur d’une évaluation de la chronologie de la narration, le phénomène d’imbrication temporelle entre récits, histoire(s) et Histoire, ainsi qu’entre différents types de temporalités se fait jour à travers les contributions réunies. Ainsi, l’ouvrage renouvelle le regard porté sur la narration en images et ouvre des pistes de réflexions aussi bien pour les spécialistes de Moyen Âge occidental que du monde byzantin.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Angélique Ferrand, Rezension von/compte rendu de: Sulamith Brodbeck, Anne-Orange Poilpré, Ioanna Rapti (dir.), Histoires chrétiennes en images: espace, temps et structure de la narration. Byzance et Moyen Âge occidental, Paris (Éditions de la Sorbonne) 2022, 335 p. (Byzantina Sorbonensia, 33), ISBN 979-10-351-0805-2, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94508