Jacques de Lalaing (ca. 1421–1453) était un chevalier modèle, symbole par excellence de la culture chevaleresque caractéristique de la cour des ducs Valois de Bourgogne. Cette réputation posthume est le résultat d’une biographie écrite au début des années soixante-dix du XVe siècle. La vie de Jacques de Lalaing, rejeton d’une famille noble hennuyère originaire de la châtellenie de Bouchain en Ostrevant (une partie du comté de Hainaut située sur la rive gauche de l’Escaut à une dizaine de kilomètres de la ville flamande de Douai) incarne en effet les valeurs chevaleresques très appréciées en ce Moyen Âge tardif. La cour des ducs de Bourgogne, comtes de Hainaut, mais aussi de Flandre et de Hollande-Zélande offrait des possibilités à un noble d’origine régionale doué pour les aspects militaires inhérents au statut nobiliaire de briller et de devenir un symbole de courage et de chevalerie. D’autant plus que son père Guillaume et surtout son oncle Simon de Lalaing occupaient des positions importantes et influentes à la cour du duc Philippe le Bon. Le premier avait gravi différents niveaux hiérarchiques au service du duc: grand-bailli de Hainaut en 1427–1434 avant de devenir gouverneur de Hollande-Zélande, lieutenant du duc. Cette dernière fonction étant au-delà des compétences de Guillaume de Lalaing qui se montrait incapable de maîtriser les conflits incessants entre deux factions rivales (Cabillauds et Hameçons) le duc n’eut d’autre choix que de le révoquer en 1445. Cette perte de grâce princière a dû compter beaucoup dans la carrière de son fils ainé, appelé à redorer le blason familial. L’oncle Simon par contre se maintenait plus facilement dans l’orbite du prince, ayant été reçu comme chevalier dans l’ordre de la Toison d’or en 1431, l’organisation chevaleresque par excellence de la construction bourguignonne.

L’auteur du »Livre des faits de messire Jacques de Lalaing« reste inconnu, malgré les efforts des éditeurs de la publication dont il est question ici et d’autres avant eux de l’identifier. Ils se limitent à la supposition fort acceptable qu’il doit être cherché parmi les nombreux hérauts actifs à la cour, avec comme suggestion la plus probable qu’il s’agirait du héraut Toison d’or Gilles Gobet († 1492). Le nombre de copies du texte conservées est important: douze manuscrits datant du XVe au XVIIe siècle (la plupart datant de la fin du XVe–début XVIe siècle) dont aucun n’a pu être identifié comme autographe. Ce nombre est tout à fait exceptionnel pour un texte qui appartient au genre de la biographie chevaleresque! Un autre texte bien connu, la biographie de Jehan le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France, ne nous est, par exemple, parvenu que dans un seul exemplaire. Les éditeurs-auteurs de la traduction anglaise mettent en avant de façon convaincante que la motivation pour rédiger le texte ne doit pas être cherchée dans le souhait de s’attirer l’attention du duc lui-même (aucun exemplaire ne faisait d’ailleurs partie de la bibliothèque bien fournie de la dynastie des Valois de Bourgogne) mais plutôt dans la nécessité pour la famille de Lalaing (et du lignage des Brederode à laquelle ils étaient liés par mariage) d’affirmer leur origine, leur séniorité et finalement leur statut de nobles de premier rang face aux familles nobles concurrentielles, en premier lieu en Hainaut et en Hollande-Zélande et par extension dans l’état composite bourguignon. Le »Livre des faits de Jacques de Lalaing« suit la trame narrative de la biographie d’un chevalier: plusieurs thèmes inhérents à la vie d’un chevalier passent en revue. L’enfance et l’éducation intellectuelle et chevaleresque en forment le premier thème, suivi par le thème de la carrière martiale avec une énumération des joutes, tournois et pas d’armes auxquels il a participé et des exploits militaires au service de son prince. Troisième thème, celui de l’amour courtois, n’est abordé que de façon épisodique avec l’attention de la part de deux nobles dames lors du tournoi à Nancy auquel Jacques de Lalaing a participé. Par contre le quatrième thème, celui de la relation avec le prince dont il est le vassal, est très élaboré; ainsi on suit Jacques de Lalaing dans plusieurs missions diplomatiques surtout en péninsule Ibérique dans les années 1447–1448 où il se fait le héraut des idéaux de croisade de son prince le duc Philippe le Bon, et dans les commandements militaires pendant la guerre que ce dernier a mené contre la ville de Gand dans les années 1449–1453. C’est dans le contexte de cette guerre que survient le dernier thème, celui d’une mort héroïque. La mort inopinée de Jacques de Lalaing, finalement peu chevaleresque car provoquée par un tir d’artillerie gantoise lors du siège du château de Poeke, devient l’occasion d’évoquer la stupeur et la tristesse que cette disparition suscite, avant de terminer par une description de la mise au tombeau dans l’église Sainte-Aldegonde à Lalaing et d’évoquer dans une épitaphe fort détaillée la valeur et l’exemplarité de la vie de Jacques de Lalaing.

La traduction anglaise de la biographie chevaleresque de Jacques de Lalaing, s’accompagne d’une introduction très fouillée d’environ soixante-dix pages, illustrée par des cartes, tables généalogiques et reproductions de miniatures tirées des manuscrits du texte. L’introduction offre un survol très complet de ce que la science historique a pu rassembler concernant la famille de Lalaing, elle le complète fort heureusement d’une analyse financière du vivre noblement d’une famille au sommet de la hiérarchie nobiliaire. On en retiendra un style de vie qui frôle la banqueroute à chaque instant. Digne d’une édition classique, le texte anglais s’accompagne des identifications des personnages et des lieux mentionnés. Bien sûr les deux éditeurs ont dû faire des choix concernant l’adaptation du texte (et des phrases très longues si typiques d’un texte du XVe siècle) et des noms de personnes et de lieux à une langue étrangère, d’autant plus que la construction bourguignonne elle-même se situe dans un contexte linguistique pluriel. L’utilisateur est donc invité à prendre bien connaissance de ces choix dans une note sur la traduction. Des index fort utiles complètent la publication. Sans aucun doute cette publication fera le bonheur de ceux et celles qui sont attirés par la culture chevaleresque de ce Moyen Âge finissant ou qui l’étudient. On peut toutefois s’étonner et regretter qu’une édition principale et scientifiquement justifiée n’existe toujours pas à ce jour, hormis celle contenue dans une thèse de doctorat datant de 1982 non publiée et que les traducteurs Brown-Grant et Damen ont d’ailleurs amendée sur base de leur connaissance des manuscrits.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marc Boone, Rezension von/compte rendu de: Rosalind Brown-Grant, Mario Damen, A Chivalric Life. The Book of the Deeds of Messire Jacques de Lalaing, Woodbridge (The Boydell Press) 2022, 390 p., 11 fig., ISBN 978-1-78327-721-6, GBP 75,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94509