Prioritairement destiné à un public étudiant, l’ouvrage propose un panorama des différentes hérésies qui se sont succédées dans l’Occident médiéval du XIIe au XVe siècle, en même temps qu’une mise au point sur la naissance et la nature de l’Inquisition. Construit selon une perspective chronologique, l’étude débute, sans surprise excessive, par un premier chapitre consacré à ceux que l’Église a parfois stigmatisés sous le nom de »cathares« mais que l’autrice préfère désigner sous le nom de »bons chrétiens«. Prenant pour une part ses distances à l’égard de la conception historiographique du »catharisme« (lequel envisage depuis le XIXe siècle les cathares au sein d’une Église parallèle dotée d’un corpus doctrinal cohérent ainsi que d’un clergé constitué), l’autrice privilégie la représentation plus nuancée de petites communautés dissidentes, disséminées dans quelques »poches régionales«, localisées surtout dans le Sud de la France et le Nord de l’Italie. Assez curieusement, le fait de récuser initialement le »catharisme« ne l’empêche cependant pas d’exposer ensuite, sur la base de sources réputées »neutres«, l’existence d’une pensée dualiste ainsi que d’une élite spirituelle (les »parfaits«) pratiquant des rituels identitaires, tels le fameux consolamentum. À la conception jugée obsolète d’une contre-Église dualiste unifiée à l’échelle européenne se substitue ainsi celle d’une pluralité de petites »églises cathares« particulièrement structurées et implantées dans l’Europe du Sud, mais dont les idées se seraient plus largement diffusées vers celle du Nord.

Un second chapitre est dédié aux vaudois, depuis l’engagement de Valdès en faveur de la pauvreté évangélique (vers 1170), jusqu’à la fin du Moyen Âge où subsisteraient quelques foyers de résistances, en dépit de la persécution véritablement amorcée à partir de 1230. En entrant progressivement dans la clandestinité, les vaudois seraient parvenus à entretenir, en marge du christianisme romain, leur idéal de pauvreté pour mieux faire la jonction naturelle avec les réformés du XVIe siècle.

Ce n’est qu’avec le troisième chapitre que le deuxième terme du titre de l’ouvrage intervient vraiment dans le déroulement de cette »histoire de l’hérésie médiévale et de l’Inquisition«. Il s’agit de présenter de manière très factuelle les différentes étapes qui ont progressivement conduit à l’instauration, au début des années 1230, de cette juridiction spécialisée dans la lutte contre l’hérésie. La naissance de l’Inquisition est complétée par une série de courts portraits d’inquisiteurs célèbres, d’Étienne de Bourbon à Peter Zwicker. Le chapitre se clôt sur une présentation rapide de la procédure suivie par les inquisiteurs où l’on insiste, à juste titre, sur la nature contrainte des paroles consignées dans les procès-verbaux d’interrogatoire, au point qu’il est légitime de s’interroger sur l’origine véritable de la »voix« que l’on entend dans les procès: celle du juge ou celle de l’accusé?

Dans les pages suivantes, l’histoire panoramique de »l’hérésie médiévale« semble reprendre son cours en donnant au lecteur la possibilité de découvrir autant de catégories d’hérétiques qu’il reste de chapitres: les franciscains spirituels pour une part rejetés dans l’hérésie (chapitre 4); les femmes et prophétesses mystiques, comme Marguerite Porete et Jeanne d’Arc (chapitre 5); les magiciens et les sorcières (chapitre 6), Wyclif et les lollards (chapitre 7) et enfin les »hussites« de Bohême (chapitre 8). En faisant le lien avec la Réforme protestante inaugurée par le »moine Luther«, les hussites marquent la fin de l’hérésie médiévale: il est de ce point de vue intéressant de noter que les mots »hérésie« ou »hérétiques« sont de plus en plus souvent employés par l’autrice avec des guillemets, comme si l’emploi de ce concept devenait problématique en cette fin de Moyen Âge.

Il est difficile de se prononcer sur la valeur d’ensemble d’un ouvrage qui se conçoit d’abord comme un manuel universitaire et dont les prétentions en termes d’analyse scientifique sont par nature limitées. Du point de vue didactique, il ne fait aucun doute que l’ouvrage a ses qualités qui sont d’abord celles de la clarté dans la présentation des faits et de certains problèmes connus, mais aussi dans l’enthousiasme pédagogique (qui inspire des comparaisons audacieuses comme celle de l’université de Paris avec un »think-tank contemporain«, p. 188). L’ouvrage est pourvu d’une petite iconographie en noir et blanc dont le rôle est surtout illustratif ainsi que d’une modeste cartographie dont la lisibilité est très inégale. La piètre qualité de définition des images n’est pas à la hauteur ni de l’ambition pédagogique, ni du prix de vente éditorial.

Pour finir, on ne peut s’empêcher d’ouvrir la discussion sur le plan historiographique: pour un ouvrage qui se présente comme une histoire de l’hérésie et de l’Inquisition, il est préjudiciable de ne pas davantage réfléchir aux relations entre les deux termes. Si chacun des chapitres, pris isolément, constitue généralement une belle synthèse sur le sujet, le cloisonnement des thèmes empêche toute réflexion sur l’évolution de la nature de l’hérésie entre le XIIe et le XVe siècle. C’est ainsi, par exemple, que le problème majeur de l’élargissement constant du champ d’incrimination de l’hérésie, définie dès 1199 comme un crime de lèse-majesté (et non pas seulement de »trahison«), échappe complètement à l’attention du livre. La création du tribunal d’Inquisition au début des années 1230 est essentiellement présentée comme la réponse de l’Église à l’hérésie »cathare«, comme si cette dernière préexistait nécessairement à sa répression. Il importe ainsi de souligner que le premier chapitre de l’ouvrage fait délibérément le choix d’écarter (à l’exception de quelques allusions aux travaux de R. Moore et de M. G. Pegg) tout un pan de la recherche historique récente qui met l’accent sur le rôle dynamique de la monarchie pontificale dans la construction de l’hérésie. En ce sens, il est frappant de constater que cette synthèse, bibliographiquement très anglo-centrée, ignore totalement le tournant critique amorcé depuis les années 1990 sous l’impulsion des écoles de Nice (M. Zerner, U. Brunn, etc.) et de Lyon (J. Chiffoleau, J. Théry, etc.). De ce point de vue, l’horloge historiographique française semble bloquée vers le milieu des années 1970 avec le trop célèbre »Montaillou, village occitan de 1294 à 1324« d’E. Leroy-Ladurie dont les failles heuristiques et méthodologiques sont devenues flagrantes. On nous rétorquera peut-être qu’il s’agit là d’un choix assumé, mais il nous semble que le public visé en 2023 méritait mieux à la faveur de la réédition d’un ouvrage de 2011.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Franck Mercier-Druère, Rezension von/compte rendu de: Jennifer Kolpacoff Deane, A History of Medieval Heresy and Inquisition, Lanham, MD (Rowman & Littlefield) 2022, 328 p. (Critical Issues in World and International History), ISBN 978-1-5381-5293-5, EUR 111,15., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94512