Les recherches et les publications sur les cartulaires se poursuivent, comme en témoignent les actes d’un colloque réuni à Lisbonne et portant sur les cartulaires ibériques et italiens. Au fil des 15 communications rassemblées, c’est un beau portrait de la pratique du cartulaire au sud de l’Europe qui est ainsi dressé.

Les premières communications portent, logiquement, sur les becerros góticos, les plus anciens cartulaires ibériques, écrits en écriture wisigothique. À Valpuesta, le »Becerro« est très original puisque c’est un cartulaire factice, réunissant des feuillets isolés et des cahiers constitués, dont trois petits cartulaires: le premier copie des documents en mauvais état, le deuxième est étranger à Valpuesta mais a peut-être été adressé à l’évêque du lieu par des plaignants, en l’occurrence le monastère de Buezo de Bureba, qui connaissait une crise profonde dont il ne se relèverait pas; le troisième est un petit cartulaire privé, comprenant des actes d’achats opérés par un laïc (José Manuel Ruiz Asencio). Le »Becerro de Cardeña«, lui, a été rédigé presque entièrement en une phase, en 1086, et contient, outre quelques actes royaux et comtaux, de très nombreux actes privés, mais pas d’actes pontificaux (José Antonio Fernández Flórez). Ce cartulaire est riche en dessins de monogrammes, de chrismes et de signes de souscription. Le scribe reproduit-il ce qu’il a vu dans les originaux (perdus aujourd’hui), ou est-il créatif? Sonia Serna Serna ne peut répondre entièrement à cette question, mais privilégie la piste de la créativité. Le »Becerro de Sahagún«, le plus tardif de ceux dont l’écriture est wisigothique (1110), a lui aussi été rédigé presque entièrement par un seul scribe, avec peut-être, à l’intérieur, quelques mini-dossiers, qui font penser à autant de cartulaires-dossiers ou de ce qu’on pourrait appeler des pancartes (Marta Herrero de la Fuente).

Les trois communications suivantes, présentées conjointement, interrogent la confection de plusieurs cartulaires par une même institution: chacun d’eux répond à des préoccupations différentes, mais lesquelles? Trois cartulaires ont été rédigés à la cathédrale de Worcester au XIe siècle: le premier dresse un inventaire de la propriété monastique, le deuxième le sacralise en le liant à une Bible, le troisième fait le point après la tempête de la conquête normande (Francesca Tinti). L’abbaye de Sahagún a rédigé un cartulaire à la fin du XIe siècle, qui recense les propriétés monastiques dans un contexte qui semble paisible, alors que le second, deux siècles plus tard, est un outil défensif face aux revendications de l’évêque de León (Leticia Agúndez San Miguel). À l’abbaye San Millán de la Cogolla ce sont trois cartulaires qui ont été établis aux XIIe–XIIIe siècles. Le premier, le »Becerro Gótico«, est attaché aux origines prestigieuses, vraies ou inventées, du monastère, tandis que le second est plus dispersé, plus ambitieux, bien que les conflits avec l’évêque de Calahorra y occupent une large place (David Peterson). C’est en fin de compte la même question qu’aborde Marta Calleri au sujet des trois registres de l’abbaye de Chiaravalle Milanese, datant tous des environs de 1300. Si l’un est un cartulaire assez classique – à ceci près, tout de même, que les actes sont condensés, voire réécrits – les deux autres ont été conçus pour un usage quotidien, ce que montre l’espace prévu pour, et occupé par, les nombreuses annotations.

Bianca Fadda et Mariangela Rapetti décrivent le contenu du cartulaire, du condaghe dit-on en sarde, du monastère camaldule de Santa Maria de Bonacardo, datant de la première moitié du XIIIe siècle, et attirent l’attention sur les spécificités de la diplomatique en Sardaigne. À Saint-Ambroise de Milan, des manuscrits factices ont été composés, réunissant d’autres manuscrits sous le nom de »Chartarium«; le premier, reprenant des manuscrits du XIIIe siècle, reprend la documentation existante mais sans intention de la modifier, alors que les suivants, du XIVe siècle, visent à remplacer les archives (Marta Luigina Mangini). La collégiale Santa Maria delle Vigne de Gênes a sans doute été fondée à la fin du Xe siècle, mais n’a commencé un processus de cartularisation qu’au milieu du XIIIe siècle; ce fut cependant un tournant pour cette église, pour qui la mise en registre devint de plus en plus importante (Sandra Macchiavello). Dans la première moitié du XVe siècle le chapitre cathédral d’Evora réalisa deux registres, un inventaire de ses archives et un cartulaire, celui-ci davantage concerné par les archives épiscopales, afin de répondre à une volonté royale de dresser un inventaire des biens ecclésiastiques; l’existence, dans le cartulaire, d’un index est à signaler (Hermínia Vasconcelos Celar). Le lancement de la construction de la cathédrale gothique, en lieu et place de la mosquée christianisée, a amené le chapitre cathédral de Séville à sécuriser ses finances, et cela passa par la rédaction de deux livres, le »Libro Blanco« et le »Libro de dotaciones«, qui sont tous deux à la fois cartulaire et obituaire (Diego Belmonte Fernández). Le »Libro Verde« est le seul témoignage conservé de la politique de mémoire archivistique de l’université de Coïmbra; terminé en 1471, il a constitué un outil pratique, abondamment utilisé, mais qui n’a pas encore livré tous ses secrets (André de Oliveira Leitão).

Néstoir Vigil Montes s’intéresse à une question rarement traitée: celle des (d’ailleurs très peu nombreux) cartulaires de diplomatie. Si les exemples français sous Philippe le Bel sont connus, ce n’est pas le cas des deux cartulaires établis pour la diplomatie de la dynastie portugaise d’Avis, l’un concernant l’alliance anglaise, l’autre la délimitation des frontières avec la Castille; c’est-à-dire l’un dans le cadre d’une paix, l’autre de conflits.

Le titre de cet ouvrage collectif est en anglais, mais il ne faut pas que le lecteur s’y trompe: trois communications seulement ont été rédigées dans cette langue; il y a sept communications en espagnol, quatre en italien et une en portugais. L’ensemble se termine par un précieux – et riche – index des manuscrits cités, mais est malheureusement dépourvu de tout index des noms propres ou des matières. Il n’en constitue pas moins une belle publication, qui permettra de mieux intégrer les cartulaires ibériques et italiens dans la réflexion globale sur la diplomatique médiévale.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Rodrigo Furtado, Marcello Moscone (ed.), From Charters to Codex. Studies on Cartularies and Archival Memory in the Middle Ages, Basel (Fédération internationale des instituts d’études médiévales) 2019, XVI–328 p., 6 b/w, 24 col. fig., 10 b/w tabl. (Textes et études du Moyen Âge [TEMA], 93), ISBN 978-2-503-58556-7, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94518