Le thème principal des recherches de Matthew Bryan Gillis, professeur associé au département d’histoire de l’université du Tennessee à Knoxville, porte sur la religion durant le haut Moyen Âge. L’essai qu’il propose sur l’»Horreur religieuse et la guerre sainte dans la France de l’âge des Vikings« entre totalement dans ce champ. L’ouvrage dispose de tous les apparats d’un travail universitaire: notes de bas de page, bibliographie, index, avec quelques manques minimes pour ce dernier. L’ensemble constitue une glose universitaire de qualité dans laquelle il souligne l’apport des travaux des étudiants qu’il met en valeur.
Le fil conducteur du propos est de montrer, au travers de textes de la fin du IXe siècle, tout en s’autorisant quelques débordements antérieurs et postérieurs, que les auteurs de cette période utilisent le registre de l’horreur pour mettre en parallèle les exactions commises par les puissants envers les faibles et celles commises par les Scandinaves. Les vols et les pillages des premiers qui boivent le sang de leurs victimes et dévorent leur chair est similaire à celui des païens qui envahissent l’empire ou le royaume. Mais leurs crimes sont encore plus terribles car, en raison de leurs exactions, Dieu ne protège plus ses fidèles. Les sujets du souverain qui commettent de tels actes sont voués à l’excommunication et aux châtiments divins tant de leur vivant qu’après leur mort. Leur chair pourrit, les vers dévorent sans fin leur corps dans les flammes éternelles de la Géhenne. Pourtant le pêcheur peut sauver son âme par la pénitence ou, plutôt que de s’en prendre à son voisin, il doit combattre les ennemis de la chrétienté, source du salut, qui pourrait faire d’eux des martyrs participant sur Terre à la guerre cosmique opposant le bien et le mal.
Pour réaliser cette démonstration, Matthew Bryan Gillis a divisé son travail en quatre parties: »Les monstres du roi Carloman II et l’horreur religieuse carolingienne«, »Protections spirituelles contre les monstres chrétiens«, »L’héroïsme dans ›Le siège de Paris par les Normands‹ d’Abbon de Saint-Germain« et »La guerre cosmique dans les sermons d’Abbon de Saint-Germain«. Il convient de préciser que les principaux éléments de la démonstration sont énoncés dans la première partie du travail. Les autres parties servent essentiellement à argumenter et à préciser l’ensemble. Pour cela, l’auteur a recours pour chaque partie à un texte de base qu’il complète d’autres sources et d’études antérieures. Ainsi, pour la première partie, le document de départ est le prologue capitulaire de Carloman II qui est émis au palais de Ver en 884. Dans ce dernier ne figure pas l’idée du gain du royaume des cieux en combattant les païens et les infidèles, mais il en rend compte en citant un écrit de 853 du pape Léon IV et des paroles rapportées du pape Jean VIII de 878 qui y ajoutent l’obligation d’excommunier les pilleurs d’église.
Il serait possible de multiplier les exemples. Ainsi la deuxième partie repose sur l’hymne »Dominus caeli rex conditor«, contemporain du capitulaire de 884, et le »Planctus Fulconis archiepiscopi Remensis« de 900. Dans la troisième partie Abbon de Saint-Germain, dans son récit, fait la description d’une guerre juste, source de martyrs et soutenue par les interventions de Saint-Germain. De fait, tout étudiant en histoire apprend dans ses premières années d’études que les descriptions des massacres commis par les Scandinaves sont l’œuvre des clercs, l’une de leurs principales victimes. Cette étude démontre qu’elle a aussi, parfois, d’autres sources, ainsi qu’un autre rôle qui est celui de dénoncer les déprédations commises par les puissants envers les faibles et les églises du royaume pour provoquer, par un réseau linguistique de l’horreur, une catharsis pour les premiers et pour diriger leur violence vers les ennemis de la chrétienté. À la suite de Matthew Bryan Gillis, il est possible d’y voir un discours dont le pape Urbain II s’est, peut-être, inspiré en prêchant la première croisade.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Matthew Bryan Gillis, Religious Horror and Holy War in Viking Age Francia, Budapest (Trivent Publishing) 2021, 158 p. (Renovatio – Studies in the Carolingian World, 1), ISBN 978-615-6405-20-3, EUR 79,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94519