Un très beau volume, aussi détaillé qu’intéressant, rassemble les résultats d’un colloque consacré en 2019 à la tête de Cappenberg, image iconique de l’art roman germanique du XIIe siècle longtemps considérée comme le portrait de l’empereur Frédéric Barberousse, ainsi qu’au contexte historique de l’abbaye-château qui l’abrite. Le livre paru en 2022 marque le 900e anniversaire de la fondation que les frères Gottfried et Otton, comtes de Cappenberg, établirent en 1122 en convertissant leur château en une abbaye de chanoines prémontrés. Il s’agit là d’une des toutes premières fondations de l’ordre de saint Norbert avec Prémontré et Floreffe, et la première à l’Est du Rhin.

Disons-le d’emblée, l’examen détaillé de la tête de Cappenberg a révélé son caractère originel de reliquaire avec l’ensemble des inscriptions en l’honneur de saint Jean l’Évangéliste, permettant d’abandonner, après cent-trente ans de publicité autour de la figure présumée de l’empereur, l’identification erronée à Frédéric Barberousse.

Les dix-sept textes sont ordonnés en trois chapitres. Le premier est consacré au contexte historique et politique de la fondation. Le chapitre II concerne le culte de saint Jean l’Évangéliste et le rôle du bassin de Berlin dit du baptême de Barberousse, les reliques trouvées dans la tête et la représentation de la tête. Le chapitre III revient sur la matérialité de la tête de Cappenberg mais aussi sur les inscriptions et des objets de comparaison. Fait notable, l’équipe de recherche fait aussi l’objet d’un chapitre à la fin du volume.

Grâce à K. Görich, on plonge en introduction dans l’aventure historiographique de la célèbre tête et les conditions qui ont permis d’en changer l’interprétation: découverte dans une armoire de l’ancienne église abbatiale de Cappenberg, elle fut rapprochée du testament du parrain de l’empereur et ainsi considérée dès 1886 comme le portrait de l’empereur, que ce soit dans les publications et expositions du XXe siècle comme celle de 1977 (»Die Zeit der Staufer«) mais aussi plus récemment au XXIe siècle. On pensait alors à tort que la tête de l’empereur aurait pu être à l’origine en métal argenté et qu’elle aurait été gravée postérieurement à 1170 d’inscriptions pour devenir un reliquaire au nom de saint Jean.

Si l’on revient aux origines de la fondation des Prémontrés de Cappenberg, elle se caractérise par la conversion d’un château en une abbaye de chanoines réguliers par la volonté des comtes de se repentir après l’incendie de la ville et de la cathédrale de Münster dont ils s’étaient rendus coupables. Leur fondation fut décidée après leur rencontre avec saint Norbert à Cologne.

Après la mort prématurée de son frère aîné en 1127, le cadet, ancien comte de Cappenberg Otton, devint abbé (praepositus en latin, Propst en allemand) de sa propre fondation. Il souhaita inscrire la memoria de son action autour des reliques de saint Jean l’Évangéliste qu’il institua comme saint patron de l’église et légua plusieurs objets vers 1160:                                                                                                               – une croix d’or disparue;                                                                     – une tête en argent (capud argenteum);                                            – un bassin qui est celui dit du baptême de Barberousse (Taufschale Barbarossas), acquis par le Kunstgewerbemuseum de Berlin en 1933.

Examinée une première fois sans publicité en 1978, la tête de Cappenberg, qui porte l’inscription latine Hic quod servetur de crine Johannis habetur, a pu être réétudiée et doit être désormais considérée comme celle de saint Jean l’Évangéliste (âgé et barbu) dont le culte des reliques est à relier à la volonté d’Otton. La tête de Cappenberg en bronze doré, qui peut être datée vers 1160, n’a donc pas de rapport direct avec Barberousse, filleul d’Otton, ni avec la tête d’argent qui était dite ad imperatoris formatum effigiem, ce qui pourrait être traduit comme ayant la forme d’une tête d’empereur, ou bien ayant la forme de la tête de l’empereur. Cette tête perdue pourrait avoir été, en réalité, un petit aquamanile comme celui qui est conservé au trésor d’Aix-la-Chapelle.

Les reliques avec leurs textiles, boites, étiquettes ou authentiques d’une part, et les inscriptions de la tête et de son socle, d’autre part, ont été étudiées de façon critique et très minutieuse de la même façon que plusieurs reliquaires germaniques de prestige, comme celui de l’empereur ottonien saint Henri du Louvre, objet contemporain de la tête de Cappenberg1. Il en ressort une lecture complexe mais désormais claire de la tête qui fut dès l’origine conçue comme reliquaire. En particulier, les reliques de saint Jean sont mentionnées sur l’inscription, réalisée dès l’origine au moment de la fonte du métal, qui court sur le col de la tête, tandis que le mot apocalista et le donateur Otto sont cités sur les créneaux de son socle avec le mot apocalista. L’étude matérielle a montré que le socle avait été conçu pour la tête, ce qui n’était pas évident, et les créneaux portés par quatre anges peuvent ainsi être interprétés comme la Jérusalem céleste annoncée par l’»Apocalypse« de saint Jean. Ainsi, ni argenture ni ajout d’inscriptions n’ont été trouvés en 2021, confirmant ce qui avait été constaté dans des rapports antérieurs passés inaperçus de 1978 jusqu’à ce que leur redécouverte donne naissance au groupe de recherche à l’origine du colloque de 2019.

Quant au bassin de Berlin (Taufschale) provenant du trésor de Cappenberg, sa production peut être attribuée à la région rhénane, avec les inscriptions latines et la scène commémorative du baptême de Barberousse immergé dans la cuve (Fridericus imperator) et de son parrain (Otto) réalisées vers 1170 si l’on se fie au style des figures, ou même vers 1180–1190 si on les compare aux inscriptions bien datées de l’atelier de la châsse de saint Annon de Siegburg. L’inscription circulaire extérieure indique qu’il s’agit d’un don de l’empereur en l’honneur de son parrain Otton, mais il faut interpréter les personnages et les inscriptions comme un souvenir ajouté sur le bassin en mémoire du comte et abbé qui était mort en janvier 1171.

L’étude matérielle de la tête de Cappenberg met l’accent sur la couronne disparue qui la ceignait. Le creux qui accueillait cette pièce rapportée disparue a été l’un des points de confusion, à la fin du XIXe siècle, avec la mention de la tête d’empereur en argent, puisqu’on pouvait penser que Frédéric Barberousse, comme un empereur romain, était couronné de lauriers dont seuls les rubans sont représentés sur la nuque de la tête qui est désormais avec certitude celle de saint Jean. La tête est en bronze fondu et doré. Elle relève à ce titre d’une production dont les centres prestigieux se trouvaient en Basse-Saxe au XIIe siècle avec Hildesheim et Magdebourg.

Ajoutons enfin que le volume du colloque a été complété, en particulier pour les domaines artistiques et culturels, par le catalogue de l’exposition »Barbarossa. Die Kunst der Herrschaft« (Petersberg 2022), correspondant à l’exposition tenue au château de Cappenberg et au LWL-Museum de Münster où ont été réunis, successivement en 2022 et 2023, le bassin prêté par Berlin et la tête de Cappenberg.

1 Klaus Gereon Beuckers, Dorothee Kemper (Hg.), Das Welandus-Reliquiar im Louvre. Ein Hauptwerk niedersächsischer Emailkunst in interdisziplinärer Perspektive, Regensburg 2018.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Florian Meunier, Rezension von/compte rendu de: Knut Görich (Hg.), Cappenberg 1122–2022. Der Kopf, das Kloster und seine Stifter, Regensburg (Schnell & Steiner) 2022, 448 S., 208 farb. Abb, 17 s/w Abb., ISBN 978-3-7954-3612-4, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94521