Superbe ouvrage … bien que ne correspondant pas tout à fait avec ce que le titre fait attendre. Il ne s’agit pas de la naissance de l’auteur, mais de la reconnaissance du commentateur comme auteur à part entière, dans les manuscrits illustrés de la période monastique. L’auteur travaille à la façon de Grégoire le Grand: en »produisant des témoins«, en proposant des rapprochements avec d’autres images qui lui semblent en résonance avec celle qu’il commente, et à laquelle il ne revient parfois qu’après plusieurs dizaines de pages. Cette démarche n’est pas sans charme mais oblige à de constants réajustements.

Le premier chapitre commente un certain nombre de paratextes picturaux qui placent l’auteur de commentaires bibliques en position d’autorité. Le deuxième est moins bien relié au thème central: sous le titre »Medieval ut pictura poesis«, il étudie un manuscrit d’Horace porteur de lettrines qui renvoient au texte de façon descriptive (probablement pour retrouver un poème par son contenu), et notamment aux monstres hybrides condamnés pour leur invraisemblance au début de l’art poétique, avec des réflexions sur la monstruosité comme repoussoir moral et pourtant attirance esthétique dans l’art post-classique dit barbare. Le troisième chapitre, sur les préfaces polémiques, montre comment les images introductives dévalorisent l’adversaire en affirmant l’autorité de l’auteur. Le quatrième chapitre, sur la rhétorique des images, suit les traces de Mary Carruthers (»The Craft of Thought«, 1998), et envisage certains procédés (la présence d’une architecture signifiante, les oppositions ou rapprochements, le jeu de l’image et du texte sur la page) comme des tropes ou figures de style, en étudiant spécialement un manuscrit autrichien du commentaire de Gilbert l’Universel à Jérémie, le »rhéteur divin«. Enfin le cinquième chapitre s’intéresse à la représentation de visions avec l’auteur rêvant, et s’attache à Rupert de Deutz commentant le »Cantique des Cantiques«, à qui apparaît la Vierge (qu’il identifie à l’Épouse). Le tout est soutenu par une excellente bibliographie.

Demeure un regret: une certaine désinvolture se fait jour dans les transcriptions du latin et une plus grande négligence encore dans les traductions. Or, les excellentes photos permettent généralement de rectifier les lectures; en revanche l’impression fausse demeure sur les traductions. Le caractère rimé de la poésie latine de l’époque n’est jamais exploité, l’ordre des mots et la tendance au parallélisme syntaxique ne sont pas pris en compte pour la compréhension. Généralement cela n’a qu’une importance mineure; mais en certains cas ces inflexions de lecture ont quelque conséquence sur l’interprétation.

On lira donc, p. 19, hoc supplico; p. 20, Venite benedicti patris mei signifie »Venez, vous les bénis de mon père« et non »Come and bless, my father«; et inquid est une graphie médiévale pour inquit, et non un pronom indéfini in quid: »Car, dit-il, c’est à moi de vous accorder de vous asseoir à ma droite« et non »For mine is in that to give you …«; p. 35, lire prologus Venerabilis Bede prespiteri in evangelium; p. 37, il n’est pas exact que le corps et le livre sont interchangeables: corpus est le terme technique pour un recueil de plusieurs œuvres, pas n’importe quel livre. P. 49, l’épitaphe de Geoffroy de Saint-Victor est à comprendre en tenant compte de la valeur des adjectifs verbaux: »Épitaphe de Geoffroi à inscrire mot à mot (secundum litteram) sur son tombeau, pour être rédigée selon le sens secret de ce livre (probablement huius libri)«. P. 51, lire Goffridus; p. 73 l. 2, lire corpore. P. 113, Rex Salomon iuvenes uti ratione volentes / Instruit, informat preceptis, moribus ornat signifie »Le roi Salomon instruit les jeunes gens qui veulent se servir de la raison, les forme par ses préceptes, les embellit par de bonnes mœurs« et non »wishing that the youth employs reason, instructs, informs and adorns them with moral precepts«. La fig. 128 est mal traduite p. 177: ad quantam altitudinem Jheremias conscenderit, unde quasi de speculaconsiderat: de cette hauteur, Jérémie contemple les malheurs du siècle non »as if in a mirror« (qui serait in speculo), mais comme du haut d’un observatoire. Lire, p. 196, nove signacula legis. Enfin, la traduction du graffiti de la figure 150 repose sur une lecture peu sûre, et même en corrigeant pegat du manuscrit en tegat (mais il faudrait le dire), la traduction de sed tegat hec tibi sensum par »but this sense/understanding covered you«, qui ne tient pas compte du subjonctif présent et accouple un nominatif/neutre pluriel à un accusatif masculin, est impossible. Dans le cas présent, la lecture tegat, qui n’est pas vraiment assurée, fait rebondir l’auteur vers le sens d’integumentum d’où involucrum, d’où le rideau qui surmonte la tête de Donat: ce qui permet d’introduire, plutôt artificiellement, la notion d’integumentum, qui n’apparaît pas ailleurs dans l’ouvrage. On proposera, explicitant l’ajout du masque sur la tête de Donat: »Ce n’est pas que je veux te pendre, c’est pour que cela (hoc plutôt que hec, le verbe étant au singulier) te masque le sens.« Déjà avancé dans ses études d’après son écriture, un étudiant se moque du manuel de ses débuts.

De façon légèrement fourvoyante pour le commentaire, p. 131–132, la traduction de l’inscription sur le cadre de la figure de l’Église souffrante des manuscrits d’Erlangen et de Bamberg repose sur une mauvaise ponctuation et aboutit à un contresens: Ecclesiecompatitur Dominus: caput hic est, illaque corpus. / Ecclesie fili pugne precingere tali: fraude, manu, lingua vexaberis intus et extra, »Le Seigneur souffre avec l’Église éprouvée …: il est la tête, elle est le corps. Les fils de l’Église la circonviennent en la combattant ainsi: par la ruse, la violence, en paroles, tu seras harcelée de l’intérieur et de l’extérieur« et non »This is the head of the Holy church, for which the Lord feels pity as her body suffers the bruises of Satan. The lying hand of fraud surrounds the sons of the church with battles …«, qui ne tient aucun compte de la grammaire. Le commentaire en est infléchi: le corps du Christ n’est pas identifiable au corps de l’Église (p. 132). Cette désinvolture par rapport aux textes, chez un auteur qui cherche pourtant à s’en servir le plus possible, risque de jeter le doute sur certains développements.

Mais il est inutile de se gâcher le plaisir: des manuscrits peu connus et souvent étonnants (comme les gloses dessinées comme une dentelle de l’Horace de Cambridge ou l’étonnant »Y de Pythagore« d’Erlangen, fig. 94), des commentaires ingénieux, des rapprochements suggestifs, même si certains sont de l’aveu de l’auteur hasardeux (»far-fetched«), font de cette promenade à travers les manuscrits un champ de découvertes. L’auteur en tout cas a pleinement rempli son but: montrer à quel point ces peintures sont expressives, inventives et intelligentes.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Pascale Bourgain, Rezension von/compte rendu de: Jeffrey F. Hamburger, The Birth of the Author. Pictorial Prefaces in Glossed Books of the Twelfth Century, Turnhout (Brepols) 2021, XXV–301 p., 150 col. fig. (Studies and Texts, 225), ISBN 978-0-88844-225-3, EUR 95,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94525