L’ouvrage de Marjolaine Lémeillat est le produit de ses travaux de thèse soutenus en 2018 sur les »gens de savoir« en Bretagne à la fin du Moyen Âge. La définition de cette catégorie de personnes, autrefois proposée par Jacques Verger, est précisée, offrant un cadre clair et délimité pour la réalisation d’une prosopographie complète. La définition retenue, celle de professionnels formés ou non à l’université ou exerçant une profession nécessitant des connaissances universitaires avérées, offre d’intéressantes perspectives de travail et de redéfinition de la place de l’enseignement universitaire dans les pratiques professionnelles des individus.

S’il est toujours ambitieux dans un travail scientifique de chercher à mobiliser des sources nombreuses et hétérogènes sur une longue période, force est pourtant de constater à la lecture du descriptif des sources et de la bibliographie, que cette quantité importante de sources (5 238 registres et cartons d’archives!) permet la reconstitution du devenir de nombre de ces gens de savoir, en utilisant l’ensemble des sources exploitables à cette fin. Sources notariales, productions personnelles, actes de la pratique, chartes et suppliques, pour n’en citer que quelques-uns, ont été finement étudiés, permettant non seulement une analyse historique de qualité mais améliorant de manière certaine notre connaissance générale des fonds à disposition en et sur la Bretagne pour la période. Il est particulièrement intéressant de constater qu’une étude aussi exhaustive des sources ne permet pourtant pas de répondre à certaines questions qui restent en suspens: le public de destination ainsi que le contenu réel des cours dispensés par les chapitres cathédraux restent ainsi pour l’essentiel encore dans l’ombre (p. 39). Sur d’autres points cependant, ce long travail d’archives a permis d’atteindre des résultats novateurs, comme un pourcentage relativement haut d’identification du milieu social d’origine du corpus, près du quart du corpus de 1250 à 1370 (p. 141), une information trop rarement connue pour la période.

Le plan établi se divise en deux périodes chronologiques dans lesquelles s’inscrivent des chapitres qui couvrent l’ensemble des aspects de la vie de ces individus. L’ouvrage ne tombe pas dans l’écueil d’une simple opposition chronologique, d’un »avant/après« peu pertinent, mais présente de manière fluide des évolutions ou des continuations des pratiques et profils des gens de savoir en Bretagne.

La première présente les structures de l’enseignement scolaire ainsi que les carrières suivies par le corpus de la période 1250–1370. La diversité de ces dernières est importante pour les gradués, que ce soit au sein du service ducal – grand pourvoyeur de places – ou au service des villes voire au sein de la hiérarchie ecclésiastique. Les gens de savoir bretons rejoignent les tendances observées chez d’autres populations de gradués, qui ont une forte propension à revenir sur leurs terres natives, ainsi qu’à baser leurs carrières sur des réseaux familiaux et de clientèle. Le troisième chapitre présente, outre une analyse des inventaires après décès conservées, une très intéressante analyse de la perception que les gens de savoir avaient d’eux-mêmes.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, les mécanismes de construction d’une carrière sont mis à jour et finement analysés, que ce soit sur le plan du financement – avec les stratégies d’octroi et de cumul de prébendes ecclésiastiques – ou du choix de la discipline d’étude qui révèle une prédominance de la théologie et des droits. Les gens de savoir bretons ne sont pas simplement étudiés de manière statistique mais l’analyse met en avant leurs réalisations personnelles, par la fondation de collèges ou encore la dotation de bourses d’études pour soutenir les études de leurs camarades. Le personnel qui est au service du duché, mis en perspective avec des études semblables, fait l’objet du cinquième chapitre qui montre que ces professionnels sont extrêmement polyvalents, souvent déjà issus de milieux favorisés, nobles ou déjà gens de savoir. Le portrait des gens de savoir bretons se termine par une longue analyse de leurs possessions personnelles, tant mobilières qu’immobilières, de leurs productions et de leurs réflexions à l’approche de leur décès.

Une des principales difficultés des travaux prosopographiques réside dans l’organisation de la présentation des résultats devant mêler statistiques et éléments issus des biographies reconstituées. Après chaque argument, une série d’exemples issus du corpus est donnée sous forme d’énumération qui peut parfois perdre le lecteur mais les index placés en fin d’ouvrage donnent cependant la possibilité de mettre à profit ces riches informations. Ces exemples précis et documentés permettent en outre de donner plus de réel et de matérialité aux mesures quantitatives. Les gens de savoir apparaissent progressivement plus tangibles et, par petites touches, on devine la construction consciente et réfléchie des stratégies personnelles et familiales.

Sur la forme, l’écriture est précise et claire, permettant une compréhension directe du propos et allant à l’essentiel. Si les connaissances élémentaires concernant les universités au Moyen Âge sont rappelées avec justesse, en particulier dans le premier chapitre, il ne faut pas s'attendre à trouver une présentation généraliste. L a littérature spécialisée mobilisée ancre l'ouvrage comme référence sur l'histoire sociale de la Bretagne. Les allers-retours sont constants entre les connaissances déjà acquises sur l’histoire des universités appliquées au cas des gens de savoir bretons et une histoire du duché. Celle-ci doit être maîtrisée en amont de la lecture de l’ouvrage, le propre de ce type d’études visant en premier lieu une meilleure connaissance d’une zone géographique et politique particulière.

L’ouvrage ne se limite pas à présenter une étude de cas sur les gens de savoir bretons. Il vise et améliore grandement les connaissances existantes non seulement sur les universitaires à la fin du Moyen Âge, mais aussi sur les personnels évoluant dans les cours ducales, sur la composition et les profils des différentes strates de la hiérarchie ecclésiastique.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Pauline Spychala, Rezension von/compte rendu de: Marjolaine Lémeillat, Les gens de savoir en Bretagne à la fin du Moyen Âge. Fin XIIIe–XVe siècle, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2022, 460 p. (Histoire), ISBN 978-2-7535-8251-4, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94533