Avec cet ouvrage, Alan Murray signe la première étude entièrement consacrée au règne de Baudouin de Bourcq, comme comte d’Édesse puis roi de Jérusalem. Le livre comporte trois parties. Dans la première l’auteur s’intéresse aux origines familiales de son héros et à sa participation à la première croisade. La seconde porte sur son règne dans le comté d’Édesse (1100–1118) et la troisième sur ses années comme roi de Jérusalem (1118–1131).
Rien ne destinait Baudouin à jouer un rôle aussi important en Orient dans le premier tiers du XIIe siècle. Fils du comte de Rethel, Hugues, parent de Godefroy de Bouillon, il choisit, mû par une grande piété, de répondre à l’appel de la prédication de la croisade dans le nord-est de la France et de rejoindre la troupe de son cognatus, Godefroy. Son rôle paraît quelque peu effacé au cours de la croisade: une ambassade auprès du basileus Alexis Ier Comnène, une participation aux principaux événements militaires de l’expédition – Nicée, Dorylée, sièges d’Antioche et de Jérusalem – aucune responsabilité pendant le court règne de Godefroy de Bouillon. Ce n’est qu’au cours de l’été 1100 que Baudouin Ier, créateur du comté d’Édesse pendant l’hiver 1097, puis roi de Jérusalem à la mort de Godefroy, lui propose de prendre la direction du comté, un choix sans doute imposé en raison du retour en Occident de ses principaux compagnons d’armes.
Peuplé en majorité d’Arméniens, le comté d’Édesse était entouré de toutes parts par des puissances musulmanes: le sultanat de Rûm (Konya), l’émirat danishmendite (Sivas), l’émirat artuqide à Mardin et les atabegs de Mossoul. Sa sécurité reposait en grande partie sur l’aide que pouvaient lui apporter le royaume de Jérusalem et la principauté d’Antioche. Valeureux chevalier, Baudouin de Bourcq s’appuya largement sur les notables arméniens comme soldats et administrateurs de son comté, épousa Morfia, fille de Gabriel, seigneur de Mélitène, qui lui donna quatre filles, et ne cessa d’organiser des expéditions en Mésopotamie, tout en confiant en fief une partie du comté à son cousin Joscelin de Courtenay. Saruj en 1101, Mardin en 1103, Raqqa et Harran sont tour à tour attaqués, mais les troupes de Mossoul remportent une large victoire en mai 1104 et font prisonniers Baudouin et Joscelin. Bohémond d’Antioche confie alors la régence d’Édesse à son neveu Tancrède, mais lorsque Baudouin de Bourcq est relâché contre une forte rançon de 70 000 dinars après trois ans de captivité, il doit lutter avec l’aide de l’émir de Mossoul contre Tancrède qui ne veut pas restituer le comté à son titulaire: premier exemple d’une alliance entre chrétiens et musulmans! Baudouin Ier doit intervenir pour réconcilier les deux princes francs. Entre 1108 et 1118, Baudouin de Bourcq ne cesse de consolider son comté en repoussant, avec l’aide de contingents d’Antioche et de Tripoli, les tentatives d’invasion par les armées de Mossoul, de Damas, d’Hamadan et de Mayyafariqin. En avril 1118, le roi de Jérusalem, Baudouin Ier meurt au retour d’une expédition dans le Sinaï, au moment même où le comte d’Édesse arrivait à la Ville sainte pour ses dévotions pascales et un entretien avec le roi, dépourvu d’héritier direct.
Le choix du nouveau souverain de Jérusalem posait un problème: ou bien, en s’en tenant au principe héréditaire, nobles et haut-clergé feraient appel à Eustache de Boulogne, frère du défunt, ce qui demanderait des mois pour le faire venir d’Occident; ou bien, dans l’urgence d’un royaume menacé, on choisirait Baudouin de Bourcq, fort de son expérience militaire dans le comté d’Édesse. Un concile réuni en avril 1118 se prononça pour la seconde solution et Baudouin reçut l’onction royale dès le 14 avril, le couronnement étant différé en attente des réactions d’Eustache de Boulogne. Alan Murray dresse un panorama du royaume: une population de Francs, de Syriens orthodoxes, d’Arabes musulmans, de Juifs et de Samaritains; un domaine royal géré par des vicomtes, quelques grands fiefs (Césarée, Tibériade, Toron, Beyrouth, Haïfa), une Église latine dirigée par le patriarche Arnoul de Choques puis par son successeur Gormond de Picquigny, comprenant un archevêché (Césarée) et quatre évêchés, et une cour royale composée essentiellement de croisés venus du nord et de l’est de la France. À Noël 1119, Baudouin est finalement couronné à Bethléem par le patriarche Gormond.
La tâche de Baudouin II est considérable. Il procède d’abord à un renouvellement de l’administration royale et à une redistribution des fiefs: Joscelin le remplace à Édesse, Guillaume de Bures, Hugues II du Puiset et Romain du Puy deviennent les principaux feudataires. Les dangers extérieurs occupent une grande partie des activités royales: en 1119 Roger, seigneur d’Antioche, est vaincu et tué par les forces artuqides à la bataille de l’Ager Sanguinis, ce qui contraint Baudouin II à organiser une première expédition vers Antioche où il devient régent pour le jeune Bohémond II, auquel est promise en mariage Alice, seconde fille du roi. Avec l’aide de chevaliers d’Antioche et de Tripoli, Baudouin II défait à Tell Danit (août 1119) une coalition des forces armées artuqides et damascènes. Mais au cours de son règne, il lui faudra mener six expéditions en Syrie du Nord (1119, 1120–1121, 1122, 1125, 1126 et 1130–1131) pour protéger la principauté d’Antioche et le comté d’Édesse des attaques musulmanes. Ses absences suscitent dans le royaume de Jérusalem un ressentiment de ses sujets et en particulier des chevaliers, plus soucieux de réaliser des gains aux frontières du royaume que de défendre les États latins de la Syrie du Nord, d’autant que Baudouin II est fait prisonnier à nouveau en avril 1123 par l’émir artuqide Balak et n’est relâché contre rançon qu’en août de l’année suivante.
En son absence, le patriarche Gormond a négocié avec les Vénitiens un pacte d’alliance qui permet en juillet 1124 la conquête de Tyr, restée jusqu’alors enclave musulmane au cœur du royaume. Libéré, Baudouin II se rend à Acre pour imposer aux Vénitiens le »Privilegium Balduini«, obligeant Venise à contribuer à la défense du royaume, en échange de quelques privilèges commerciaux. Ayant retrouvé la confiance des grands feudataires, le roi mène en 1126, puis en 1129 deux expéditions infructueuses contre Damas, et deux autres vers Antioche où il remet le pouvoir sur la principauté à Bohémond II qui ne le gardera que quatre ans, en raison de sa mort à l’été 1130 lors de sa défaite face aux armées danishmendites. En ces dernières années de règne, se pose le problème de la succession à Jérusalem: à la mort de son épouse Morfia en octobre 1127, Baudouin II, père de quatre filles, doit trouver un héritier mâle, seul capable de prendre la tête des armées royales. Son choix se porte sur le comte d’Anjou, Foulques, qui en juin 1129 épouse Mélisende, fille aînée du roi. Épuisé par trois décennies de campagnes militaires, Baudouin II meurt le 21 août 1131, laissant un royaume plus fort qu’en 1118 et une succession assurée par le couple Mélisende-Foulques, couronné un mois plus tard.
Dans sa biographie de Baudouin II, Alan Murray a surtout mis en évidence les prouesses militaires du roi, marquées par une quinzaine de victoires et sept échecs. En revanche l’administration du comté d’Édesse, déjà traitée par l’ouvrage de Monique Amouroux, et celle du royaume de Jérusalem me semblent trop rapidement évoquées, de même que les rapports du roi avec les grands et avec le patriarche, sans doute par manque de documents. L’essor économique du royaume aurait également mérité quelques développements. Il n’en reste pas moins qu’avec l’ouvrage d’Alan Murray nous possédons une synthèse solide sur le destin curieux d’un homme de petite noblesse de l’est de la France, parvenu par ses talents militaires et sa loyauté envers ses supérieurs aux plus hautes fonctions dans un Orient latin qu’il a contribué à puissamment fortifier.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Michel Balard, Rezension von/compte rendu de: Alan V. Murray, Baldwin of Bourcq. Count of Edessa and King of Jerusalem (1100–1131), Abingdon (Taylor & Francis) 2022, 280 p. (Rulers of the Latin East), ISBN 978-0-367-54531-4, EUR 143,70., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94539