Le traité »De predicatione crucis«, composé vers 1266–1268 par Humbert de Romans, le cinquième maître général de l’ordre dominicain, est sans doute l’instruction la plus détaillée pour les prédicateurs de la croix dont nous disposons. L’auteur donne ses commentaires sur les questions qu’il croit être les plus essentielles pour prêcher la croisade, sans pourtant donner des sermons prêts à être prononcés: le prédicateur est censé composer le sermon lui-même en utilisant le traité comme manuel. Il procure aussi des extraits de la Bible et des textes non-bibliques pour le même but.
Le phénomène que nous appelons croisade n’était pas clairement défini au Moyen Âge, aucun terme ne s’imposant avant la fin de la période. La meilleure définition que l’on ait vient de Jean Richard au début de son »Histoire des croisades« en 1996: »La croisade, au sens précis du terme, est une expédition, essentiellement militaire, assimilée par la papauté à une œuvre méritoire et dotée par elle de privilèges spirituels accordés aux combattants et à ceux qui participent à leur entreprise. Si ces privilèges ont d’abord été concédés à ceux qui prenaient la route de l’Orient et plus spécialement des lieux saints, ils l’ont aussi été pour d’autres opérations lancées à l’intérieur de la chrétienté contre des hérétiques ou des ennemis de l’Église de Rome, aussi bien qu’aux frontières de cette même chrétienté contre des païens ou des infidèles.«
La croisade naît de la prédication et le sermon en était un des aspects essentiels;
– au début pour l’annonce, le recrutement et la levée de fonds avant de partir;
– pendant la croisade dans l’objectif de maintenir le moral avant une bataille
– après la bataille pour rendre grâce à Dieu.
Ces sermons étaient donnés à tous les niveaux de la hiérarchie ecclésiastique et dans différents lieux publics.
La prédication des croisades a connu d’illustres personnages de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle: Giraud de Barri, Foulques de Neuilly et Eustache de Fly, mais également Jacques de Vitry et Olivier de Paderborn. Cependant, à la suite du pontificat d’Innocent III, la prédication de la croisade fut confiée aux Frères prêcheurs et mineurs, qui avaient reçu une formation universitaire. Ce fut le cas de deux grands prédicateurs de la croisade: Jean de Capistran et Jacques de la Marche.
C’est ainsi qu’apparut ce qu’il est convenu d’appeler le sermon de croisade qui rapidement engendra l’apparition de modèles. C’est le cas, outre-Manche, de l’»Ordinacio de predicatione sanctae Crucis in Anglia«, de la première moitié du XIIIe siècle. En France, vers 1266, le dominicain Humbert de Romans compose un manuel: le »De predicatione Crucis contra Saracenos«, dans lequel il va proposer aux prédicateurs de se former.
Humbert de Romans est dans le diocèse de Vienne vers l’an 1194. Après avoir étudié à Paris, il rejoint en 1224 les dominicains, et enseigne la théologie à l’école de l’ordre à Lyon en 1226, avant d’en devenir le prieur en 1236. Il est élu provincial de la province de Rome en 1240, puis de la province de France en 1244 qu’il gouverne jusqu’en 1254, date à laquelle il est élu maître de l'ordre des Prêcheurs lors du chapitre général de Budapest. En 1263, lors du chapitre général de Londres, il renonce à ses fonctions pour se retirer au couvent de Valence où il décède probablement le 14 juillet 1277.
Ce traité, qui s’intitule »De la prédication de la sainte croix contre les Sarrasins«, est une sorte de manuel pour les prédicateurs. Le traité est conservé en vingt manuscrits. La comparaison des manuscrits a montré que le meilleur que nous avons est le manuscrit Madrid Bibl. Nac. 19 423. Le traité est structuré dans la manière commode pour les prédicateurs. Il contient beaucoup d’instructions différentes pour les prédicateurs qui étaient supposés composer des sermons eux-mêmes en utilisant ce matériel. Le traité a été écrit dans le contexte de la réforme de l’Église du XIIIe siècle et dans le contexte de l’avancée musulmane contre les États latins. L’auteur du traité utilise beaucoup de sources, bibliques et non-bibliques, dont la majorité a été identifiée dans la thèse. Généralement, les idées que contient le traité sont traditionnelles et peuvent être trouvées dans les sources précédentes concernant les croisades. Le traité contient les composantes de l’idée de la guerre sainte comme le commandement de Dieu sur l’armée des croisés, le soutien assuré de la part des anges et des saints, le martyre des soldats, la récompense, le pèlerinage, et les idées liées au symbolisme de la croix. Pourtant, Humbert de Romans affirme qu’il n’y a aucune espérance de la conversion des Sarrasins. Ce point de vue est différent de la majorité des opinions de cette époque et de l’orientation de l’ordre dominicain.
Le texte latin a été édité dans Humbertus de Romanis, »De predicatione crucis«. Valentin Portnykh en propose ici la traduction du latin vers le français, assortie d’une riche introduction visant à présenter le texte. Des renvois aux pages correspondantes de l'édition sont fournis dans les marges de cette publication.
Il faut ici relever la force de ce travail de grande ampleur et le courage de son auteur de proposer une traduction. L’ouvrage est de très belle facture et servira, sans nul doute, aussi bien aux chercheurs confirmés qu’aux étudiants.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Humbert de Romans, Valentin Portnykh (dir.) Traité sur la prédication de la croisade. De praedicatione sanctae crucis, Turnhout (Brepols) 2022, 235 p. (Corpus Christianorum in Translation, 39), ISBN 978-2-503-59810-9, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94543