Fondée en 1957 par le liturgiste Anton Hänggi et l’historien de l’Église Gilles Gérard Meersseman, la collection »Spicilegium Friburgense« se consacre pour l’essentiel à l’édition de sources liturgiques, dont un bel ensemble d’ordinaires. Au bout de soixante-cinq ans d’existence, elle accueille pour son 51e volume une édition de nécrologe, celui des prémontrés d’Humilimont, au diocèse de Lausanne, conservé aux archives d’État de Fribourg, sous la cote »Marsens-Humilimont, Nécrologe et martyrologe, 1«. Parmi les seize »beaux manuscrits« conservés dans ces archives et numérisés sur le site »e-codices« figurent ce nécrologe et un obituaire du chapitre cathédral de Lausanne des années 1420 (G. S. 2062) …, qui étaient tous deux jusqu’à présent inédits.
L’abbaye aurait été fondée en 1136, par trois frères, seigneurs de Marsens, dont l’un, Anselme, prit l’habit de Prémontré, mais la notice de fondation est sinon un faux du moins un acte falsifié élaboré entre 1408/1509 et 1525. L’abbaye est en tout cas antérieure à 1141 et aurait peut-être été à ses débuts un monastère double comme le montre la présence dans le nécrologe d’une cinquantaine de sœurs, qui se séparent des hommes une vingtaine d’années plus tard pour fonder le prieuré de Posat.
Le nécrologe est une des sources importantes pour l’histoire du monastère. Il a été écrit en juillet 1338 comme l’indique le colophon, qui suit au f. 81r la règle de saint Augustin: Hic liber est abbacie Humilismontis Premonstratensis ordinis Lausannensis dyocesis scriptus in eadem abbatia anno Domini Mo CCCo XXXVIIIo mense iulio.
Le manuscrit a la forme d’un livre du chapitre classique: martyrologe d’Usuard (f. 1–77r), règle de saint Augustin (regula tertia, avec l’ordo monasterii, f. 77v–83r), nécrologe (f. 83v–113v). L’ensemble des textes a été écrit d’une même main, d’une écriture particulièrement soignée, avec l’emploi de rubriques et d’initiales filigranées. Seul le nécrologe est publié ici et les auctaria éventuels du martyrologe d’Usuard n’ont pas été relevés.
Le nécrologe reprend le texte d’un ancien nécrologe perdu (main A), mais le copiste a pris soin, après avoir reproduit le texte du nécrologe primitif, de laisser plusieurs lignes blanches pour des ajouts. Chaque page compte six jours, certains jours n’ayant aucune mention d’obit. Le nécrologe a servi jusqu’à la fin de l’abbaye en 1580 et l’on relève près d’une centaine d’obits datés (voir le tableau donné p. 19–21). De nombreux obits font aussi état d’une fondation d’anniversaire, de l’institution d’une pitance, et ces fondations ont été marquées en marge d’une croix inscrite dans un cercle, rubriquées (⊕), pratique originale dont nous ne connaissons pas d’autre exemple.
L’édition est précédée d’une ample introduction historique, en quatre chapitres: 1. »Histoire sommaire de l’abbaye«, jusqu’à sa suppression en 1580. Rappelons que Kathrin Utz Tremp avait déjà donné la notice consacrée à l’abbaye dans le volume de l’»Helvetia Sacra« consacré aux Prémontrés en 2002; 2. »Le nécrologe«. Description codicologique du manuscrit, avec le relevé du sanctoral du calendrier sur lequel est construit le nécrologe, le relevé des additions datées, et les sources du nécrologe, notamment la pancarte de 1147–1149; 3. »La mémoire des morts à Humilimont«, en notant que le nécrologe est d’abord un livre liturgique, et montrant comment, selon un schéma bien connu désormais, on passe progressivement du nécrologe à un obituaire, avec la célébration de messes et de pitances assurées par des fondations dont l’assiette est parfois donnée (une carte de localisation de celles-ci aurait été la bienvenue car tous les lecteurs ne connaissent sans doute pas la topographie de la région de Gruyère); 4. »Les prémontrés dans leur environnement« (Umfeld). Le nécrologe renferme les obits et anniversaires de 922 défunts, 681 hommes et 241 femmes; 341 sont des religieux, abbés, chanoines, convers, mais aussi sœurs et converses, 275 étant inscrits de première main (avant 1338) et 66 en addition.
On peut suivre aussi, et cela est bien montré dans l’introduction, les rapports entretenus entre l’abbaye et d’autres maisons de l’ordre, comme, l’abbaye du Lac de Joux (son abbaye-mère), Gottstatt, Saint-Martin de Laon, Prémontré, Bellelay, Corneux, Fontaine-André. Le nécrologe a aussi, comme partout, enregistré les fondations de la noblesse locale (147, du comes au domicellus), avec les comtes de Gruyère, les seigneurs de Marsens et de Vuipers, mais aussi celles de familles de la bourgeoisie. Le nécrologe reflète bien la composition de cette société chrétienne qui cherche à assurer son salut. Certaines fondations apportent quelques précisions sur la topographie du monastère, construction du dortoir, de l’église, reconstruction du clocher, mais aussi construction de certaines granges. Toutes ces notations ont été soigneusement relevées.
L’édition du texte occupe les p. 71–158. Les éditeurs n’ont pas joué sur la typographie pour distinguer le texte de première main (la copie de 1338) et les additions, mais ont systématiquement indiqué »main A«, »main B« ou »main postérieure«, et quand c’était possible la date, »main 1439«, »main 1401/1402«, etc. Une page du manuscrit a été reproduite, p. 14, mais très réduite (le manuscrit mesure 31,5 x 22 cm) et on eut aimé avoir quelques lignes représentatives des mains A et B, sinon de quelques autres additions. 490 notes infrapaginales apportent des précisions sur un certain nombre de bénéficiaires d’obits ou d’anniversaires.
Plusieurs index terminent le volume: liste des abbés, prieurs, chanoines et autres religieux, listes des abbayes citées, index des noms de lieu et de personne, index des matières, tous les renvois étant faits au jour, 19. IV, 14. VIII, etc. Une numérotation continue des notices, à l’instar de ce qui est fait pour les obituaires publiés dans le »Recueil des historiens de la France«, aurait été de nature à faciliter les recherches.
Il faut saluer cette publication, peu de nécrologes ou d’obituaires de communautés monastiques ou canoniales suisses ayant fait l’objet d’édition et beaucoup de textes restent à éditer, comme on peut s’en convaincre en parcourant les manuscrits mis en ligne sur le site »e-codices«, en commençant par la cathédrale de Lausanne, dont un des manuscrits est également conservé aux archives d’État de Fribourg et dont l’édition, annoncée depuis longtemps, n’a toujours pas vu le jour.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jean-Loup Lemaitre, Rezension von/compte rendu de: Ernst Tremp, Kathrin Utz Tremp (ed.), Das Nekrologium der Prämonstratenserabtei Humilimont (Marsens). Edition und Einleitung, Münster (Aschendorff) 2022, 185 S. (Spicilegium Friburgense, 51), ISBN 978-3-402-13821-2, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2023/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.1.94550