C’est un très bel ouvrage que nous offre Olivier Mattéoni. Non seulement il a dirigé la publication à laquelle il a associé les meilleurs spécialistes, mais il est aussi l’auteur, individuellement, de huit chapitres sur quatorze, sans compter l’introduction et la conclusion.

Dans son introduction (p. 5–10), O. Mattéoni replace le livre princier dans le contexte français des derniers siècles du Moyen Âge et rappelle l’absence d’étude sur la »librairie« des ducs de Bourbon à Moulins, pourtant riche d’environ six cents livres. Dans le premier chapitre (p. 11–29), il retrace l’histoire de la seigneurie, puis duché-pairie en 1327, de Bourbon. Ensuite Marie-Pierre Laffitte donne une édition des inventaires de Moulins (1523) et d’Aigueperse (1474 et 1507) (p. 31–69), en ayant localisé, d’après les recherches de la regrettée Célia Condello, la salle dans le château de Moulins (on regrette dans l’édition le manque de renvoi aux armoires indiquées sur le plan fig. 11). L’édition elle-même est un modèle, avec identification des manuscrits conservés, renvois entre les inventaires et références de notices dans des catalogues; un tableau en annexe indique les livres hors inventaires.

Le cadre ayant ainsi été posé, les chapitres suivants sont consacrés aux figures, le plus souvent de couples ducaux, qui ont enrichi la bibliothèque. Marc-Édouard Gautier s’attache à reconstituer la formation de la bibliothèque depuis les premiers sires de Bourbon au XIIe siècle, à travers les couples successifs de seigneurs et dames et ducs et duchesses, jusqu’à Louis II (duc de 1356 à 1410), prince lettré qui, avec notamment des traductions d’auteurs antiques comme Cicéron, Tite-Live, Sénèque et même Boèce, l’a vraiment établie (p. 71–106). Puis O. Mattéoni évoque les couples de 1410 à 1523. Pour celui de Jean Ier, duc de 1410 à 1434, et Marie de Berry (p. 107–137) le fait essentiel est l’héritage de manuscrits (dont la liste est donnée p. 136–137) de Jean, duc de Berry, père de Marie, elle-même proche de Christine de Pizan. Sous Charles Ier, duc de 1434 à 1456, et Agnès de Bourgogne (p. 139–153), il y eut la commande d’un manuscrit célèbre aujourd’hui, l’»Armorial« de Guillaume Revel (achevé après 1456) et la duchesse Agnès fit entrer entre autres des œuvres de Christine encore, des romans, tel »Les Trois fils de roi«, et le »Paradis de la reine Sibylle« d’Antoine de La Sale. Jean II, duc de 1456 à 1488, et sa première épouse Jeanne de France († 1482), fille de Charles VII et Marie d’Anjou (p. 155‑180), ont été de véritables bibliophiles, qui appliquaient leur ex-libris sur leurs livres; la duchesse a acquis seize manuscrits, à teneur spirituelle ou morale, tel un Boccace, »Des Cas des nobles hommes et femmes«, tandis que son mari, à côté d’intérêts assez classiques, avait le goût de l’astronomie et de l’astrologie. Pierre II, duc de 1488 à 1503, et Anne de France, fille de Louis XI et Charlotte de Savoie (p. 181–235), ont considérablement augmenté la bibliothèque. Pour Pierre II par ses commandes (seulement dix) et par les saisies sur Jacques d’Armagnac, en histoire et littérature (Jean Robertet était à son service), pour Charlotte par les livres hérités de sa mère (livres religieux et de dévotion, et cinq manuscrits de littérature), par ses commandes (elle était particulièrement attachée à un volume de louanges à la Vierge et à saint Louis, à un traité sur les douze articles de la foi et à un traité sur la messe), relevons aussi la présence de livres imprimés. Enfin, Suzanne, duchesse de 1503 à 1521 et Charles III, son cousin Bourbon-Montpensier, duc de 1505 à 1523 (p. 237–254), ont peu enrichi la bibliothèque: sept ou huit ouvrages de morale pour elle, six pour lui dont un imprimé, mais il avait hérité de la bibliothèque d’Aigueperse.

À la suite des couples ducaux, sont traités les membres de la famille et ceux de l’entourage ducal. Louis, fils illégitime de Charles Ier et de Jeanne de Bournan, demoiselle d’honneur de la reine de France, amiral de France et comte de Roussillon, et son épouse Jeanne de France, fille illégitime de Louis XI et Phélise Regnard, ont constitué leur bibliothèque ex nihilo, dont subsistent treize livres, présentés par Claire Dechamps (p. 255‑264). Charles II (1433–1488), deuxième fils de Charles Ier et d’Agnès de Bourgogne, cardinal et archevêque de Lyon, fut duc quelques mois en 1488: sa figure de mécène est retracée par Mathieu Deldicque et Maxence Hermant, et il est à noter sa possession de livres imprimés (p. 265-274). En ce qui concerne les officiers des ducs, Olivier Mattéoni se penche sur la bibliothèque de deux d’entre eux (p. 327–352), celle du noble Guichard Dauphin (qu’il avait déjà traitée) et celle de l’homme de loi Michel de Chamelet (déjà traitée par Pierre Aquilon et Denise Hillard).

Parmi les catégories d’ouvrages, O. Mattéoni s’attarde sur ceux d’histoire (p. 307–326). En effet, celle-ci tenait une grande place dans la culture nobiliaire et en France elle était »sollicitée dans le discours de justification et de légitimation du pouvoir«. Deux ducs ont eu droit à une biographie, Louis II par Cabaret d’Orville (1429) et Charles III par Guillaume de Marillac (v. 1521–1522) et d’autres ouvrages historiques ont été acquis au cours du temps (une liste est donnée p. 324–326).

Pour en revenir aux manuscrits eux-mêmes, M. Deldicque et M. Hermant s’intéressent aux ducs et duchesses de Bourbon et leurs enlumineurs (p. 275–305). Selon la personne, les commandes ont été faites à l’extérieur du duché, mais sous Jean II on distingue un foyer bourbonnais, à Moulins, pour la réalisation d’un »Arbre des batailles«, d’un »De regimine principum«, d’une »Vie de saint Julien du Mans« … Le livre est clos par un choix de manuscrits les plus importants, dans les différents genres, littéraire, historique, moral, religieux, pédagogique, politique, sans oublier l’»Armorial« de Revel, »Trésors de la librairie ducale«, par M. Deldicque, M. Hermant, M.-P. Laffitte et O. Mattéoni (p. 353–375).

Dans sa conclusion (p. 377–382), O. Mattéoni revient sur la composition par accumulation de la bibliothèque des ducs et duchesses de Bourbon et l’écho entre les textes et la politique ducale. Suivent une riche bibliographie (p. 383–407) et les index des noms de lieu, de personnes et des manuscrits et imprimés.

Après avoir lu ce livre, on voit combien il comble un manque sur le duché de Bourbon. Soulignons aussi la qualité de l’édition: un grand format avec des reproductions en couleur en pleine page, qui en font un plaisir de le consulter aussi bien pour les textes que pour les images.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Olivier Mattéoni (dir.), Les Bourbons en leur bibliothèque (XIIIe–XVIe siècle), Paris (Éditions de la Sorbonne) 2022, 424 p., 135 ill. (Histoire ancienne et médiévale, 183), ISBN 979-10-351-0794-9, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96758