En 1969, J. J. Saunders contribuait aux Mélanges Bertie Wilkinson par une étude de dix-sept pages, sur »Matthew Paris and the Mongols«1. Aujourd’hui Z. Papp Reed nous offre quatre-cent-soixante-neuf pages sur un sujet encore plus restreint, seulement sur Matthieu Paris et l’invasion mongole en Europe. Il est vrai que son ambition est tout autre: l’événement sujet du livre n’est pas l’invasion mongole de l’Europe, mais la version de Matthieu Paris, et la méthode va être, en s’inscrivant dans le »tournant linguistique«, d’employer aussi bien l’histoire que la métahistoire, ainsi que les études sur la réception et sur la mémoire et la narratologie, sans oublier la codicologie et l’histoire du livre. L’objet d’étude est donc la »Chronica Majora« avec les »Additamenta« et sa réception jusqu’à nos jours, dans le but de déconstruire et de reconstruire la mémoire textuelle de l’invasion mongole en Hongrie en 1241–1242 (cf. »Introduction«, p. 15–24).
Dans le premier chapitre, »Inside the Book« (p. 25–53), Z. Papp Reed relève que les notations sur les Mongols s’étendent de l’année 1237 à l’année 1257 et s’intéresse à la manière dont Matthieu Paris a composé son grand œuvre, en se posant la question: »What is history and how did Matthew Paris view his duty as historian?« Et elle résume : »Matthew creates a fractal-like narrative that is holistically pleasing«. Elle se penche aussi sur la cartographie qui accompagne les écrits du chroniqueur, en relevant la place centrale de la Hongrie. Le chapitre 2, »Outside the Book« est beaucoup plus long (p. 55–122) et est consacré au monde entourant le moine bénédictin: le scriptorium de son abbaye de Saint-Albans et sa manière de travailler, le scriptorium en Angleterre (qui recouvre les informateurs de Matthieu Paris, qui lui-même avait voyagé: parmi ces informateurs, Z. Papp Reed s’attarde sur John Mansel, conseiller du roi Henri III, et elle traite des réseaux cléricaux et universitaires), la place de l’Angleterre dans les réseaux européens (le nord de l’Empire, le concile de Lyon I en 1245).
Après avoir ainsi tracé le cadre, dans son troisième chapitre, »Fright. Mongols in the North and East (1237–1240)« (p. 123–158), Z. Papp Reed étudie comment ont été rapportées l’invasion et la dévastation mongoles dans la Perse et l’Arménie (1237), la Grande Hongrie (sur la Volga), en rappelant le témoignage de fr. Julien de Hongrie (1238), la Dacie (Danemark), Gothie et Frise (1239), ce qui était erroné, et terminant pour 1240 par une »fausse alarme« d’une invasion danoise, mais aussi une »irruption« des Tartares (leur origine). Dans le quatrième chapitre, de nouveau un long chapitre, »Fight. Mongols in the Middle (1241)« (p. 159–223), elle s’intéresse à l’invasion de la Hongrie: d’abord comment Matthieu Paris parle de la »guerre sainte« (en fait la croisade) proclamée par le pape contre les Mongols, puis comment il insère la matière des Mongols dans deux »clusters« (groupes de documents) à l’intérieur de l’histoire du pape et de celle de l’empereur. Toujours jouant sur les mots, le cinquième chapitre est intitulé »Flight. Rivalling Stories of Retreat (1243–1248)« (p. 225–280), et il y est traité des mentions relatives aux Mongols d’origines diverses dans la »Chronica Majora«, avec une focalisation sur le concile de Lyon en 1245. Y sont rappelées l’histoire incroyable de l’Anglais au service du souverain mongol fait prisonnier par le duc d’Autriche d’après le témoignage d’Yves de Narbonne, réécrit par Matthieu Paris, la victoire de l’empereur Frédéric II en 1244, la relation du soi-disant Pierre archevêque de Russie, et la »fin de partie« avec la disparition progressive des Mongols de la chronique dans les années 1245‑1248.
Matthieu Paris avait prévu d’arrêter celle-ci à l’année 1250, à laquelle un nouveau monde devait apparaître, mais il n’a pu s’empêcher de composer un »Liber Addimentatorum«, dans lequel il a recopié des lettres, dont certaines touchaient aux Mongols, objet donc du sixième chapitre, »Letters from the Afflicted Lands in the »Addimenta« (p. 281–311).
Le septième chapitre, qui est aussi une grande conclusion, est consacré à »The Afterlife of Matthew’s Mongol Story« (p. 313‑368). La »Chronica Majora«, qui elle-même se plaçait dans une continuité, a été reprise dans des œuvres postérieures, notamment les »Flores Historiarum« et ses continuations jusqu’en 1326, dont les manuscrits ont été heureusement conservés à l’époque élisabéthaine et publiés au XIXe siècle.
Suivent six appendices (p. 369–407): sur les histoires de 1237 (Frédéric II, le légat Otton en Angleterre, la Terre sainte), une comparaison de phrases décrivant les Mongols, l’alternance de l’histoire de Frédéric II et de l’histoire de l’Angleterre, les entrées sur les Mongols en 1241, les événements face aux rumeurs en 1241 et en 1244, une liste des manuscrits (p. 387–407 pour cette dernière); deux autres appendices sont à consulter en ligne. La bibliographie est bien fournie (p. 409–451), guère rationnelle par le mélange des entrées par prénom ou par surnom ou nom de lieu pour les auteurs médiévaux (parmi lesquels il manque Jean de Plan Carpin) et l’index a de bons renvois (p. 453–469).
Bien que plaçant son travail dans une cangue post-moderne (en concluant que la »Chronica Majora« est »a diligently compiled and annotated meta-chronicle«), Zsuzsanna Papp Reed nous offre un travail qui n’est pas obscurci par le jargon, dont la lecture, par ses aperçus neufs, attire toujours l’attention du lecteur. Si à la fin de son livre elle appelle à lire la chronique de Matthieu Paris, on ne pourra le faire qu’à l’aide de son livre.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Zsuzsanna Papp Reed, Matthew Paris on the Mongol Invasion in Europe, Turnhout (Brepols) 2022, 470 p. (Cultural Encounters in Late Antiquity and the Middle Ages, 38), ISBN 978-2-503-59552-8, EUR 120,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96761