À la suite d’une thèse de master sur le fief de Tibnin (Toron) dans le royaume latin de Jérusalem (2015), l’auteur s’est intéressé à la fameuse légende du Prêtre Jean entre Orient et Occident et à son impact sur le conflit et les rencontres entre croisés et musulmans aux XIIe et XIIIe siècles. Dans sa préface (p. 1–2), il présente rapidement son plan et dans son introduction (p. 9–36) les sources, l’historiographie (surtout en langue anglaise1), son objectif: l’étude de cette légende dans les histoires arabo-latines entremêlées et les relations entre musulmans et chrétiens, enfin sa méthode: l’analyse des sources arabes et chrétiennes orientales montrant des imaginaires communs, l’examen de la légende entre l’Orient et l’Occident durant l’époque des croisades, et le plan en six chapitres est donné plus en détail.

Dans son premier chapitre, »Setting a Geographic and Mythico-historical Stage for the Prester John Legend« (p. 37–64), l’auteur définit les termes géographiques, religieux, ce qu’est un mythe, une légende, l’histoire, et établit la préhistoire de la légende du Prêtre Jean à partir de l’Apocalypse biblique, celle du Pseudo-Méthode2, les prophéties sibyllines. Ensuite, dans le chapitre 2, »Between Transmission and Reception: The Birth of the Prester John Legend and the Crusader-Muslim Conflict, 1122‑1145« (p. 65‑102), il dégage l’origine du Prêtre Jean. Il y a d’abord la relation de la visite de Jean, patriarche des Indes à Rome en 1122, et la légende de saint Thomas comme évangélisateur des Indes (les chrétiens sont présents dans l’actuel Malabar, mais l’auteur ne semble pas savoir que le tombeau du saint est situé à Mylapore (Madras, sur la côte de Coromandel). À la suite de la chute d’Édesse en 1144, l’évêque Hugues de Gibellum (aujourd’hui Jableh en Syrie) envoyé demander des secours fit un rapport au pape Eugène III sur un Prêtre Jean très puissant à l’Est, rapport transmis dans la chronique d’Otton de Freising. Sa figure viendrait de saint Jean d’Édesse, »Mâr Yûhannâ«, dont le récit des miracles circulait et sa puissance des échos de la bataille de Qatwân (vers Samarcande) gagnée en 1141 par les Qara Khitai bouddhistes sur les Turcs seldjoukides musulmans.

Le contexte de l’apparition de la légende est l’objet du chapitre suivant, »The Prester John Letter and its Perception between the Crusading Crisis in the Levant and Imperial-Papal Schism in the West« (p. 103–151). L’auteur se penche sur l’émergence et les premiers témoignages de la lettre du Prêtre Jean à l’empereur de Constantinople Manuel Ier Comnène, mais dont les seuls témoins sont latins, dans le contexte de l’Orient latin et de la querelle entre le pape (qui en 1177 envoya une lettre au Prêtre Jean) et l’empereur Frédéric Ier Barberousse (dans la chancellerie duquel la lettre a sans doute été forgée).

Après cette présentation historique, l’auteur se focalise sur les sources orientales dans le chapitre suivant, »Imaging the Prester John Kingdom in the Three Indias: The Legend’s Entanglements with Alexander Romance, Jewish and Arab Muslim-Christian Imagination« (p. 153–202). Il étudie les liens de la légende avec le »Roman d’Alexandre«, les récits de voyageurs juifs (Eldad le Danite et Benjamin de Tudèle), les conceptions géographiques arabes du monde de l’océan Indien, les »Mille et une nuits«, la légende copte d’un prêtre-roi (la Nubie et l’Abyssinie avaient des souverains chrétiens dont les Francs d’Orient pouvaient avoir connaissance).

La légende du Prêtre Jean eut une grande influence lors de la cinquième croisade, ce qui est traité dans le cinquième chapitre, »Waiting for King David, Son of Prester John: The Impact of the Legend on Peace and War during the Fifth Crusade (615‑618/1217‑1221)« (p. 203–252). Le siège interminable de Damiette fut un terrain propice à l’apparition de prophéties: le Prêtre Jean n’apparaissant pas (l’auteur montre que l’on a pris des décisions en fonction de lui, pourtant un personnage avec qui on n’avait jamais eu de contact), on attendit son fils, le roi David. Les sources de la légende arabe de celui-ci sont à chercher dans les prophéties apocalyptiques nestoriennes, coptes et éthiopiennes, mais aussi dans la progression des Mongols vers l’Ouest, ce qui est l’objet du dernier chapitre, »The Mongol Figure of Prester John: Remembering the Legend and the Enterprise of Latin-Mongol Crusade(s), 1222–1300« (p. 253–294). L’auteur rappelle la croisade de Frédéric II et le traité de Jaffa (1229), les missions papales auprès des Mongols (1245–1248), la croisade de Louis IX (1248‑1254), la mission de Guillaume de Rubrouck (1253–1254), la figure d’Ong Qan, souverain nestorien des Kereyit († 1203), les plans d’une expédition conjointe entre Francs et Mongols contre les Mamelouks. Dans sa conclusion (p. 295–304), l’auteur revient sur l’importance des apports orientaux à la légende du Prêtre Jean. Suit une bibliographie assez copieuse (p. 305–347) et un index (p. 349‑357).

Le grand mérite d’Ahmed M. A. Sheir est effectivement d’attirer l’attention du lecteur occidental sur les textes principalement écrits en arabe, de musulmans ou de chrétiens orientaux, en rapport avec la légende du Prêtre Jean, dont on s’explique difficilement le succès durable. Cependant le livre n’est pas sans défauts: mineurs comme d’écrire »monk« à la place de »friar« quand il s’agit de membres des ordres mendiants, ou encore la confusion entre jacobites et coptes, il vaut mieux écrire »Franks« que »Crusaders« (les Latins des États d’Orient n’étant pas des croisés), mais ce qui est inadmissible est le nombre incalculable de coquilles et de noms tronqués (par exemple, celui d’Albéric de Trois-Fontaines, amputé trop souvent de »Fontaines«), de mots en italiques et non en romain, etc. L’éditeur n’a pas rendu service à son auteur en n’ayant pas procédé à une relecture de son manuscrit.

1 Je mentionne deux titres non cités, au hasard: Jacqueline Pirenne, La Légende du »Prêtre Jean«, Strasbourg 1992, et István Bejczy, Pape Jansland en Utopia. De verbeelding van de beschaving van middeleeuwen en renaissance, Nimègue 1994.
2 Aurait pu être cité Jean Flori, L’Islam et la fin des temps. L’interprétation prophétique des invasions musulmanes dans la chrétienté médiévale, Paris 2007.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Ahmed M. A. Scheir, The Prester John Legend Between East and West During the Crusades. Entangled Easter-Latin Mythical Legacies, Budapest (Trivent Publishing) 2022, 367 p. (Mediterranean Studies in Late Antiquity and the Middle Ages, 1), ISBN 978-615-6405-28-9, EUR 144,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96763