Que le gouvernement de la ville et de l’Église de Rome n’incombe pas au pape seul durant le haut Moyen Âge n’est plus à démontrer. En effet, que ce soit à l’échelle urbaine ou à l’échelle de l’orbis christianus, l’évêque de Rome agissait continuellement en étroite collaboration avec de nombreuses personnes. La mise au jour et l’identification de celles-ci durant le IXe siècle – soit entre l’avènement de Léon III (795) et la mort de Jean IX (900) – sont au centre du présent ouvrage de Veronika Unger, réalisé dans le cadre d’un projet de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) (»Personelle Netzwerke im päpstlichen Umfeld des 9. Jahrhunderts«) dirigé à l’université d’Erlangen-Nürnberg par Klaus Herbers. Le choix de la période s’est imposé, d’une part, par l’importante quantité de sources à disposition et, d’autre part, par le traitement avancé de celles-ci dans le cadre des travaux en cours pour la section carolingienne des »Papstregesten« des »Regesta Imperii«, à laquelle l’autrice et le directeur du projet continuent de contribuer activement.

Alors que l’on dispose depuis longtemps d’instruments recensant des personnes au service du pape – notamment les membres de la chancellerie et les légats –, une étude exhaustive et détaillée de toutes les personnes avec lesquelles les évêques de Rome étaient tenus d’interagir faisait jusqu’à présent défaut.

Consciente des limites épistémologiques des sources, qu’elles soient narratives, diplomatiques, épistolaires, synodales ou autres, Veronika Unger ne prétend pas livrer une analyse de réseau; elle s’inscrit plutôt dans une approche prosopographique visant à identifier au mieux les individus qui étaient en contact avec le pape. L’on y trouve les légats pontificaux et les juges délégués, les participants aux synodes pontificaux, les membres de la chancellerie, les clercs consacrés par le pape, les individus qui ont détenu un office lié à l’Église de Rome, les parents des prélats romains et, enfin, les personnes qui se sont rendues à Rome en leur nom propre ainsi que les messagers envoyés à Rome qui en sont revenus avec un mandat pontifical. N’ont été intégrés ni les empereurs et rois, ni les correspondants ou bénéficiaires d’actes qui ne se sont pas présentés personnellement à Rome, ni les messagers envoyés à Rome par des tiers dont il n’est pas connu s’ils ont été renvoyés par le pape.

L’ouvrage se divise en deux parties. La première consiste en une analyse prosopographique des fonctions et offices identifiés. Pour les légats pontificaux, V. Unger met en évidence la forte présence d’évêques des environs de Rome et de l’Italie centrale, surtout pour la seconde moitié du IXe siècle. Les synodes pontificaux font état d’une composition personnelle similaire: la participation d’évêques proches de Rome y est prédominante; la présence de prêtres ou de diacres romains est également bien attestée. Quant aux affaires juridictionnelles à Rome, l’autrice remarque qu’il ne semble pas avoir existé un office pontifical spécifique en charge de ces matières. Le même résultat s’impose à l’issue de l’analyse des différents offices romains attestés (arcarius, sacellarius, oblationarius, primicerius defensoris/defensorum, primiscrinius, regionarius, apocrisiarius, cubicularius, nomenculator/nomenclator, superista, vestararius, magister militum, scriniarius/notarius (regionarius), primicerius, secundicerius, cancellarius, bibliothecarius, consiliarius). Face à un corpus de sources peu descriptif, l’autrice doit souvent reconnaître l’impossibilité de définir les charges et responsabilités attenantes à ces titres: seule une petite partie parmi ceux-ci s’occupait d’un domaine d’activité particulier.

Dans cette étude, les membres de la chancellerie ne font pas défaut: leur identification se limite souvent à ce que dévoilent les formules de datation des privilèges; l’on remarque néanmoins que certains d’entre eux ont été actifs sous plusieurs pontificats. Quant aux rédacteurs des lettres, ils demeurent pour la plupart dans l’ombre. Enfin, l’autrice se penche sur la carrière des papes et celle de leurs collaborateurs.

La seconde partie de l’ouvrage présente sur presque 400 pages les notices biographiques des 837 personnes qui ont pu être identifiées. Chaque entrée reprend d’abord, sous forme de fiche signalétique, le nom de la personne, le numéro d’identifiant qui lui a été assigné, son statut (clerc ou laïc), les offices occupés, le pontificat et la période durant lesquels elle est attestée et ses fonctions exercées. Suivent une description des offices et fonctions, la liste des sources qui les attestent et, enfin, une bibliographie d’orientation. Dans les nombreux cas d’homonymie d’individus potentiellement identiques, l’autrice a préféré multiplier les notices.

En feuilletant ce recueil, ce ne sont pas les personnalités bien connues du IXe siècle pontifical qui ressortent, à commencer par les papes eux-mêmes ou des personnages illustres agissant à leur côté tels Anastase le Bibliothécaire (ID 3) ou Jean Hymmonide (ID 156). C’est une masse d’individus peu connus que l’on découvre: par exemple, le scribe Grégoire (ID 157), attesté sous Jean VIII, Étienne V, Formose et Romain, le prêtre Étienne (ID 840), légat envoyé en Marovie, Filiprand de Savona (ID 132), qui participe en 813 à un procès au sujet des biens de Farfa, l’abbé Adalric de Saint-Teudère (ID 853) qui se rend à Rome avec l’archevêque Bernoin de Vienne (ID 848) où il reçoit un privilège pour son abbaye, ou encore le Franc Madelgarius (ID 916), en pèlerinage à Rome dans l’espoir de la rémission de ses péchés.

L’ouvrage est couplé à une base de données en ligne et libre d’accès, qui permet d’interroger le corpus de plusieurs manières1. Outre une recherche rapide dans l’ensemble des données, on peut mener des recherches détaillées à partir de trois catégories: les personnes, les lieux et les événements. Chaque catégorie propose son propre moteur de recherche avancé. Il est également possible d’interroger les extraits des sources elles-mêmes.

Grâce à son excellente maîtrise des documents et une argumentation fondée et efficace, V. Unger dévoile une impressionnante série de personnalités. Que celles-ci soient établies à Rome ou s’y rendent ponctuellement, ils participent à la création d’un milieu dynamique au sein duquel l’évêque de Rome, occupant certes une place privilégiée, ne représente pas plus qu’un individu parmi d’autres.

Si une mise en réseau de ces personnes s’avère en effet souvent difficile, le lecteur trouvera néanmoins dans cet ouvrage des renseignements utiles qui ne se limitent pas à l’identification ponctuelle de personnes, mais qui permettent d’interroger la papauté du IXe siècle comme institution à travers les personnes qui l’ont constituée. L’accès facile à ce vaste trésor d’informations, garanti à la fois par l’analyse de la première partie de l’ouvrage et par une base de données performante en ligne, rend l’entreprise d’autant plus appréciable.

Ce volume est un précieux apport à la recherche sur l’histoire politique, institutionnelle et sociale de la papauté altomédiévale; sa grille d’analyse pourrait certainement être élargie à d’autres périodes, à commencer peut-être, comme le pressent l’autrice, par le Xe siècle pour lequel le corpus des sources a depuis longtemps été rassemblé.

1 Personelle Netzwerke im päpstlichen Umfeld: http://personspopes9c.regesta-imperii.de/personen/basic/ (25/04/2023).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Matthias Rozein, Rezension von/compte rendu de: Veronika Unger, Personen im päpstlichen Umfeld. Ein prosopographisches Handbuch zum 9. Jahrhundert, Wien, Köln (Böhlau Verlag) 2022, 480 S. (Forschungen zur Kaiser- und Papstgeschichte des Mittelalters. Beihefte zu J. F. Böhmer, Regesta Imperii, 48), ISBN 978-3-412-52730-3, EUR 75,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96768