Cet ouvrage traduit la volonté affirmée des dirigeants des Monumenta Germaniae Historica de clarifier sans aucune réserve l’histoire de l’institution entre 1933 et 1945. Neuf communications sont consacrées à cette clarification. A. Mentzel-Reuters donne d’abord, en détails, la trame chronologique et retrace, avec toute la précision que permettent les documents disponibles, les aléas des luttes de pouvoir et des conflits de personnes qui se succédèrent sans interruption durant cette période agitée. Trois communications sont consacrées à des institutions parentes ou rattachées (»les archives d’État de Prusse« [Sven Kriese], »les activités en Italie« [Franziska Rohloff et Christian Fuhrmeister], »la fondation ›Reinhard Heydrich‹ à Prague« [Jiri Némec et Karel Hruza]). Des analyses de type biographique documentent Theodor Mayer (Anne Christine Nagel), Carl Erdmann (Folker Reichert) et Paul Fridolin Kehr (Hedwig Munscheck-von Pölnitz).

La lecture de ce volume a un côté amusant, on lit les articles un peu comme de petits romans policiers. Comme cela a été dit maintes fois, le régime nazi avait un caractère »polycratique« un peu étrange; l’apparence »germanique« des MGH rendait tous les hauts responsables, plus ou moins germanomanes, très intéressés à ce qui s’y passait à l’intérieur de l’institution et ils tentèrent à de nombreuses reprises, et de manière contradictoire, d’intervenir dans son fonctionnement. D’où les aléas, les coups bas, les retournements de situation imprévus. Globalement, il reste que le contrôle idéologique tendit presque uniformément à se renforcer, les directeurs successifs manifestant de plus en plus nettement leur volonté de faire apparaître leur institution comme un outil au service des idéaux du régime.

Les trois directeurs les plus marquants présentaient des profils tranchés. P. F. Kehr, né en 1860, était un diplomatiste formé à la grande école de la seconde moitié du 19e siècle; c’était en même temps un membre du Bildungsbürgertum qui avait connu alors son apogée; il est significatif qu’il n’éprouva pas la moindre réticence à appliquer aux MGH le »Führerprinzip«, qui instaurait une hiérarchie stricte et une autorité hors de discussion. Après l’intermède de W. Engel (1936–1937), arriva E. E. Stengel, né en 1879, un autre membre du Bildungsbürgertum, nettement plus engagé dans le soutien au régime que ne l’avait été Kehr; mais il était médiéviste et n’avait guère de compétence comme éditeur de texte. Jugé trop tiède, il fut remplacé en 1942 par Theodor Mayer, né lui en 1883 et plus marqué par l’hystérie nationaliste de la fin du 19e siècle et des alentours de la Première Guerre mondiale, que recommandait son nationalisme borné et brutal. Il était encore moins philologue que son prédécesseur, le rythme des éditions se ralentit. Au total, il apparaît donc que les autorités nazies s’employèrent comme elles purent à réorienter l’activité de l’institution dans le sens de leur programme, et elles trouvèrent des médiévistes tout à fait disposés à se conformer à leurs vues.

Divers aspects du volume sont consacrés aux activités extérieures auxquelles l’institution fut plus ou moins mêlée, à Paris, à Rome et à Prague en particulier. La volonté nazie de transformer et de germaniser la plus grande partie de l’Europe donna lieu à diverses opérations préparatoires à des transferts d’archives et de manuscrits mais les événements se précipitèrent et rien, ou presque, ne fut exécuté. On doit souligner l’intérêt spécifique de la contribution de Folker Reichert consacrée pour l’essentiel à Carl Erdmann. Celui-ci, collaborateur des MGH de 1934 à 1943, était un opposant déclaré au régime nazi; n’ayant ni d’ancêtre juif ni aucune activité politique, il fut toléré; mais, malgré ses très grandes compétences de philologue et de diplomatiste, il fut confiné dans un emploi subalterne, et interdit d’enseignement; incorporé à quarante-cinq ans alors qu’il était d’une constitution fragile, il décéda, sans doute de maladie, à Zagreb en mars 1945.

La quantité d’informations et de références fournies est impressionnante et mérite d’être saluée, c’est un beau travail d’érudition solide. Mais une question reste en suspens: l’idéologie nazie a-t-elle eu un impact sur les éditions de texte?

La passion, la violence, la bêtise inepte du nationalisme se sont largement développées en Allemagne au plus tard à partir des années 1890. L’hystérie du Bildungsbürgertum au moment de la déclaration de guerre d’août 1914 a été copieusement documentée par Kurt Flasch1. Il n’y a guère lieu d’être surpris de l’adhésion de la grande majorité des médiévistes allemands à une idéologie prônant l’irrationalisme et la violence. D’autant plus que les nazis se montrèrent particulièrement habiles à manipuler l’opinion2. Il est indéniable que cette orientation idéologique s’est trouvée massivement transcrite dans les travaux de ces médiévistes, non seulement dans l’entre-deux-guerres, mais encore très largement dans la République fédérale de l’après-guerre et jusque dans les années 1980 (au moins). En particulier sous la forme retorse de la »Neue Verfassungsgeschichte«3.

Il est non moins vrai que, durant ces années, sous l’étendard de l’anticommunisme, fut largement développée une entreprise de relativisation de ce que l’on prit l’habitude de définir comme la prétendue »parenthèse« du nazisme. La soi-disant Zeitgebundenheit plonge tous les événements et tous les acteurs dans cette nuit obscure où tous les chats sont gris4. Mais pour les éditions de texte? On repère sans peine quelques considérations dans les introductions, bien plus rarement dans les notes. Mais dans les textes édités eux-mêmes? Je n’ai pas l’impression qu’une enquête approfondie ait été menée. Il n’aurait pas été inutile d’ajouter en annexe la liste précise des volumes publiés entre 1933 et 1945. Il est probable qu’un examen de cette liste pourrait déjà donner des indications. A-t-on renoncé à des éditions en raison de leur auteur? A-t-on privilégié certains types de textes? C’est un volume qui apporte une information copieuse, en grande partie ignorée, qui demeurera une référence.

1 Kurt Flasch, Die geistige Mobilmachung. Die deutschen Intellektuellen und der Erste Weltkrieg, Berlin 2000.
2 Victor Klemperer, LTI – Lingua Tertii Imperii, Notizbuch eines Philologen, Berlin 1947.
3 František Graus, Verfassungsgeschichte des Mittelalters, dans: Historische Zeitschrift 243 (1986), p. 529–589.
4 Il est notable que cette relativisation n’a pas cessé; il suffit de parcourir la page »Diskussion« des articles de wikipedia.de consacrés à ces personnages pour s’en rendre compte.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Alain Guerreau, Rezension von/compte rendu de: Arno Mentzel-Reuters, Martina Hartmann, Martin Baumeister (Hg.), Das Reichsinstitut für ältere deutsche Geschichtskunde 1935 bis 1945 – ein »Kriegsbeitrag der Geisteswissenschaften?« Beiträge des Symposiums am 28. und 29. November 2019 in Rom, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 2021, XII–250 S., 36 Abb. (Monumenta Germaniae Historica. Studien zur Geschichte der Mittelalterforschung, 1), ISBN 978-3-447-11631-2, EUR 58,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96776