En 1993 la ville de Münster en Westphalie fêtait les 1200 années depuis sa fondation par la publication (en trois tomes) d’une histoire de la ville. Presqu’au même moment a paru le tome consacré à la ville de Münster dans la série des atlas des villes (Städteatlas) de la Westphalie par les soins de Wilfried Ehbrecht. Alors pourquoi publier à peine trente ans après à nouveau une synthèse de l’histoire de la ville? L’auteur Franz-Josef Jakobi (depuis 1986 jusqu’à sa retraite en 2005 à la tête des archives de la ville de Münster) avance deux motivations. D’abord le constat que l’ouvrage paru en 1993 se présentait comme une somme exhaustive des connaissances à ce moment, et qu’avec 53 auteurs la lisibilité souffrait par moments d’un manque de cohésion. Ensuite, si en 1993 on ciblait ce qui manquait dans les connaissances concernant l’histoire de la ville, force est de constater que la recherche a depuis lors pu combler certains déficits. Cela se manifeste notamment par trois sujets de recherche pour lesquels la coordination a été confiée aux archives de la ville. Il s’agit d’abord de l’étude des institutions et des activités concernant l’assistance aux pauvres et la politique sociale de la ville en général (les archives des institutions caritatives forment une des séries les plus riches et des plus consistantes parmi les archives de la ville), ensuite de l’étude des membres de la communauté juive de Münster (1500 environ) qui ont subi pendant les années 30 et 40 les vagues successives de discriminations et de persécutions de la part du pouvoir nazi, et finalement de l’étude systématique du bâti et des maisons de la ville de Münster lancée par l’historien Karl-Heinz Kirchoff et reprise depuis 1998 par les archives de la ville.
Si l’action des archives de la ville a pu prendre un tel envol, l’existence même à Münster depuis 1970 d’un institut consacré à l’histoire urbaine comparée (Institut für vergleichende Städtegeschichte) a constitué un terroir fertile pour tout historien des villes. L’institut fait partie de l’université de Münster dont le département d’histoire très actif a toujours stimulé l’histoire de la ville et a contribué aux multiples commémorations des épisodes marquants de cette histoire. Par exemple, en 2005 la célébration de l’anniversaire de la fondation de l’évêché de Münster par le missionnaire des Frisons et Saxons Liudger à partir du cloître de Mimigernaford, élevé en évêché en 805. La présence d’un siège épiscopal a grandement influencé le développement et le rayonnement intellectuel de la ville comme en témoignent plusieurs chapitres du livre de Jakobi. L’histoire religieuse a fortement marqué l’histoire d’une ville entre autres par la présence et la prise de pouvoir par une communauté très radicale de réformateurs anabaptistes et par la répression qui a suivi. La paix de Westphalie de 1648 signée à Münster et à Osnabrück a attiré vers la ville des représentants des pouvoirs en lice dans cette Europe fragilisée par les effets de la guerre de Trente Ans très dévastatrice. Dans les siècles suivants, Münster s’aligne en tant que ville de résidence d’un prince-évêque, sur l’histoire presque familière de beaucoup de villes allemandes. Ici comme ailleurs, la Révolution française a toutefois changé la donne. Les années d’occupation française à partir de 1806 – Münster devenait le chef-lieu du département de l’Ems – jusqu’en 1813, année de la défaite de Napoléon devant Leipzig, ont marqué la rupture avec le monde de l’Ancien Régime. L’introduction de nouvelles institutions juridiques, le remaniement du rôle et des possessions de l’Église et de la religion, l’abolition des corps de métiers, l’imposition du service militaire: un grand nombre de pratiques sociales et politiques changeaient fondamentalement et ces changements allaient persister alors que la ville et la campagne environnante étaient de nouveau intégrées dans le royaume de Prusse (dont elles avaient déjà fait partie brièvement à partir de 1802). Pour Münster commençait alors une existence comme chef-lieu provincial prussien. C’est finalement l’histoire de cette période englobant les deuxième et troisième empires allemands, les perturbations caractéristiques de la république de Weimar, la descente vers les atrocités de l’époque du national-socialisme et le lent processus de la reconstruction, qui apporte un nombre impressionnant de nouveautés historiographiques. La chronologie qui domine et ordonne le récit se poursuit jusqu’en 1975, moment où la ville intègre une partie importante des campagnes environnantes et (re)devient un centre régional. L’histoire de la ville de Münster, mises à part quelques situations spécifiques, se présente comme un reflet de l’histoire allemande en général. Parmi ces spécificités il faut souligner l’impact durable de la vie religieuse et des églises et de la vie culturelle en général qui ont fait que la ville épiscopale allant de Liudger à Clemens August von Galen se démarque par la continuation d’un catholicisme politique, malgré la violence étatique à laquelle la société urbaine s’est heurtée à plusieurs reprises.
Il est de nos jours relativement exceptionnel que l’histoire d’une ville sorte de la plume d’un seul historien. Dans le cas de Franz-Josef Jakobi il faut souligner que cette concentration unique de savoir historique dans le chef de quelqu’un qui a vécu la vie urbaine de Münster comme archiviste et comme bourgeois de la ville aboutit à une histoire urbaine d’une cohérence rare. Ajoutons que le récit s’accompagne dans le deuxième tome d’un dossier d’illustrations (reproductions d’œuvres d’art, cartes anciennes et modernes, photos) exceptionnellement riche, ainsi que d’une bibliographie et d’un index des personnes qui augmentent l’intérêt que l’on doit porter à cette publication qui dépasse de loin les frontières de la ville et du pays de Münster.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Marc Boone, Rezension von/compte rendu de: Franz-Josef Jakobi, Münster. Entstehung und Geschichte der Stadt vom 8. bis 20. Jahrhundert, Münster (Aschendorff) 2022, 704 S. Textband/545 S. Begleitband, ISBN 978-3-402-13093-3, EUR 98,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96892