À la base de cette publication se trouve un ambitieux programme de formation recherche (PFR) du CIERA (Centre interdisciplinaire d’études et de recherche sur l’Allemagne) initié par Claire Aslangul-Rallo et Bérénice Zunino. Plusieurs manifestations eurent lieu à partir de 2018, d’abord une journée d’études à Besançon intitulée »Images de presse en sciences sociales: de la fin du XIXe siècle à nos jours: usages, imaginaires, méthodes«. À Paris s’est déroulé un colloque à la Maison Heinrich Heine: »Les magazines illustrés de la première moitié du 20e siècle à l’ère des humanités numériques. Allemagne/France en regard – acteurs en dialogue«. À Berlin l’atelier »Digullu« fut consacré au traitement numérique de grands corpus de textes.

»La presse et ses images – Die Presse und ihre Bilder« propose un »bilan de recherche inédit« en France et en Allemagne avec »un panorama des sources, usages, méthodes et acteurs«. Sans être exhaustif, il offre de précieuses informations sur l’histoire et l’actualité de la presse illustrée sous ses différentes formes: presse reposant sur le photojournalisme, revues satiriques avec caricatures, suppléments illustrés, magazines … Une introduction de quarante-quatre pages (p. 15–59)1 présente les dix-huit communications, dont douze sont rédigées en français, six en allemand. Elle fournit de plus d’importantes informations complémentaires et références bibliographiques. On apprend que la recherche sur la presse »moderne« liée à l’évolution de la photographie connaît un »essor récent« (p. 26–30). Quant à la recherche sur la presse satirique et humoristique elle est considérée comme »dynamique et exemplaire de la collaboration entre chercheurs français et allemands« (p. 22–26). Deux chercheurs, Jean–Claude Gardes spécialiste en civilisation allemande et iconologie, et Ursula E. Koch, spécialiste de l’histoire de la presse allemande, ont œuvré en faveur d’une reconnaissance de la recherche sur les genres humoristiques et satiriques considérés comme mineurs au début des années 1990. En 1992 ils ont créé l’Équipe interdisciplinaire de recherche sur l’image satirique (EIRIS) avec, en 1994 sa revue annuelle »Ridiculosa« dirigée depuis par Jean-Claude Gardes et Alain Deligne, philosophe. Ces évolutions positives n’empêchent pas pour autant que la recherche sur la presse illustrée est confrontée aussi à plusieurs problèmes. La »terminologie est parfois délicate à manier, la périodisation incertaine et la généalogie sujette à diverses interprétations« (p. 27).

En ce qui concerne l’ouvrage »La presse et ses images« on peut ajouter que le choix de procéder de façon résolument interdisciplinaire – en combinant histoire et histoire de l’art, sciences de la communication et politique, etc. – n’a pas facilité le regroupement des contributions en sections. Mais il faut saluer le courage de l’avoir fait. Sont croisés les regards de chercheurs jeunes et confirmés, collectionneurs privés et spécialistes institutionnels de la conservation des sources. Le titre de l’ouvrage écrit dans les deux langues indique qu’il s’agit d’une réalisation franco-allemande: »La presse et ses images – Die Presse und ihre Bilder«. Le sous-titre précise l’intention de combiner plusieurs approches. Des enquêtes sur les sources et réseaux complètent l’analyse des imaginaires et méthodes: »Quellen, Netzwerke, Imaginäre, Methoden«.

La valeur du livre résulte non seulement de la haute qualité de chaque contribution mais aussi de la vaste palette des problématiques étudiées. Le pari de choisir plusieurs perspectives a été gagné, on apprécie la richesse des thématiques et la pluralité des démarches méthodiques. Résolument interdisciplinaire, l’ouvrage se propose »de décloisonner les objets et les disciplines« (p. 17). Il devra inspirer en ce sens des recherches futures. Nous saluons également le caractère international. Bien ancré dans le champ franco-allemand, »La presse et ses images« va aussi au-delà en intégrant des chercheurs d’autres pays (Brésil, Canada, Royaume-Uni, Suisse, Espagne) et en commentant un périodique grec et une revue tchécoslovaque. On regrette cependant que les résumés et notices biographiques (p. 531–540) soient rédigés uniquement en anglais.

Le collage figurant sur la couverture visualise les intentions majeures de l’ouvrage: rapprocher les sources et méthodes, mettre en contact différents types de périodiques, en l’occurrence la presse moderne reposant sur le photojournalisme et la presse satirique. Ainsi la page de titre du »Berliner Illustrierte Zeitung«2, le plus ancien illustré allemand, du 17 décembre 1892 se trouve à côté de la une du »Jugend«, premier hebdomadaire satirique et artistique d importance édité à partir de 1896 à Munich, dont le style et le nom sont en rapport avec le Jugendstil comme forme spécifique de l’Art nouveau. Les deux couvertures sont en interaction. Le reporter-photographe représenté sur le »BIZ« dirige son objectif sur une jeune femme élégante qui regarde son propre portrait sur la une du »Jugend«. Le message est clair: »La presse et ses images« veut combiner des perspectives, faire dialoguer les acteurs et croiser les regards. Il le fait en trois parties intitulées respectivement »Émergences et essor de nouveaux objets de presse illustrée« (p. 61–264), »Imaginaires en construction et circulation des images – des acteurs aux réseaux« (p. 265–382), »La presse illustrée à l’ère du numérique: la valorisation d’un patrimoine culturel« (p. 383–530).

La première partie réunit sept articles et débute par deux analyses historiques de longue durée. Jean-François Tétu décrypte l’évolution des rapports entre »L’illustration de presse et le récit médiatique« depuis le XVIIIe siècle. Ursula E. Koch met des »coups de projecteurs« sur Munich et Berlin, »hauts lieux de la presse satirique illustrée allemande« entre 1844 à 1933. Elle analyse les évolutions devant l’arrière-plan de la France. Révélant des convergences et divergences entre la France et l’Allemagne Thierry Gervais sonde »le magazine comme un objet de presse et d’histoire«. Dans une perspective similaire Patrick Rössler étudie la presse illustrée allemande de l’entre-deux-guerres en comparaison avec des échantillons français: »Neue Welten, neues Sehen, neue Typografien. Die deutsche Illustriertenpresse der Zwischenkriegszeit und eine Auswahl französischer Pendants«. Les trois articles suivants concernant les deux guerres mondiales interprètent les liens entre »images de presse en guerre et mobilisation des publics«. Ils considèrent »les conflits comme terrains d’expérimentation«. Anne Deffarges rappelle ceci: en août 1914 »Der wahre Jacob«, périodique proche du parti socio-démocrate et qui s’est d’abord montré réservé face à la guerre, publie »des nouvelles illustrations pour accompagner et soutenir une réorientation politique«. Maria Xypolopoulou compare la représentation de »La Première Guerre mondiale sur le front balkanique dans la revue grecque ›Ikonografimeni‹ et dans la presse française«. João Arthur Ciciliato Franzolin analyse le fonctionnement de la revue »Die Wehrmacht« et sa représentation de l’Angleterre et des États-Unis: »Die Zeitschrift ›Die Wehrmacht‹ im Zweiten Weltkrieg und ihre propagandistische Darstellung von England und den USA (1939–1944)«.

La deuxième partie du livre, composée de cinq articles, est consacrée à l’évolution des »imaginaires en construction«. Y sont étudiés les rôles des acteurs et réseaux dans la circulation des images. Mélodie Simard-Houde montre que dans le spectacle de l’information le photoreporter est à la fois témoin et opérateur d’un récit et s’entoure souvent d’une aura héroïque. Elle fait »voir des photoreporters des hebdomadaires des années 1930, des images en série à l’imaginaire social«. Helen Barr étudie la publicité en tant que source historique considérée parfois comme sujet en marge. Très importante dans la quasi-totalité des périodiques illustrés de la république de Weimar, et notamment vers 1929 elle présente »la femme dans le monde de travail« et offre de nouvelles »perspectives féminines et masculines«: »Der Pixavon-Komplex oder: Krisenbewältigung durch die richtige Haarpflege«. Hélène Leclerc analyse les rapprochements entre »Femmes et socialisme« dans la revue tchécoslovaque de langue allemande »Im Herzen Europas« entre 1958 et 1971. Trois articles consacrés aux »figures, codes et systèmes narratifs« traitent des »réseaux et processus d’internationalisation«. Annette Vowinckel s’intéresse au métier souvent sous-estimé du rédacteur de l’image qui décide quelles photos sont imprimées et construit ainsi l’actualité médiatique: »Bildredakteure. Die ›Gatekeeper‹ visueller Öffentlichkeit und ihre transnationalen Netzwerke«. La section se termine avec l’étude de Karine Taveaux-Grandpierre sur l’»Internationalisation de la presse magazine féminine. Deux siècles d’histoire et de circulation des modèles, 1749–1945«.

La troisième partie de »La presse et ses images/Die Presse und ihre Bilder« traite en six articles de la presse illustrée à l’ère du numérique. Le focus est mis sur plusieurs aspects d’une évolution en cours. Comment les nouveaux instruments numériques permettent-ils la valorisation et la conservation du patrimoine culturel que constituent les périodiques illustrés? Aurélien Brossé présente les collections de presse de la Bibliothèque nationale de France avec près de 250 000 titres provenant du dépôt légal, de dons et d’échanges internationaux. Quant à La Contemporaine, l’ancienne Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) à Nanterre, Dominique Bouchery montre les conséquences positives de la numérisation au niveau de la conservation et de l’aide à la recherche. À l’exemple des archives, Claire Aslangul-Rallo, Enrique Fernández-Xesta et Pasqualino Schifano soulignent le rôle important des collections privées pour la recherche sur la Seconde Guerre mondiale. Par la suite Achim Bonte, en coopération avec Robert Sachunsky et Kay-Michael Würzner, rappelle les bons résultats obtenus par le programme de digitalisation du pays de la Saxe. Le traitement du »Börsenblatt für den deutschen Buchhandel«, la plus ancienne revue spécialisée de langue allemande, en témoigne. Se concentrant sur »Les dessins dans les journaux de tranchées de la Première Guerre mondiale« Cyrielle Montrichard propose une approche avec des outils textométriques. Une analyse quantitative et qualitative des publicités de la revue »Signal« (1940–1945), réalisée par Claire Aslangul-Rallo, clôt l’ouvrage collectif.

Ajoutons encore ceci : »La presse et ses images/Die Presse und ihre Bilder« montre notamment dans sa troisième partie que les humanités numériques ont déjà des impacts positifs pour la recherche. Cela devra se confirmer par des projets transnationaux et interculturels de grande envergure. Mais une question se pose néanmoins. Restera-t-il encore de la place pour les périodiques illustrés, allemands et français, face à la concurrence du flot d’images interminable qui défile sans cesse sur le net?

1 À sa rédaction ont participé, outre les directrices, plusieurs membres du comité scientifique: Clémence Andréys, Julien Auboussier, Adrien Barbaresi, Anne Deffarges, Maud Ehrmann, Sofiane Taouchichet.
2 Notons que »Berliner Illustrierte Zeitung« est écrit sur cette page de titre avec un »e«, tandis qu’en général on trouve »Berliner Illustrirte Zeitung« sans »e«, par exemple p. 405, note 23.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Angelika Schober, Rezension von/compte rendu de: Claire Aslangul-Rallo, Bérénice Zunino (dir.), La presse et ses images. Die Presse und ihre Bilder/Sources – réseaux – imaginaires – méthodes. Quellen – Netzwerke – Imaginäre – Methoden, Frankfurt a. M. (Peter Lang Edition) 2022, 546 p., 160 ill. (Zivilisationen und Geschichte/Civilizations and History/Civilisations et Histoire, 73), ISBN 978-3-631-84291-1, EUR 89,99., in: Francia-Recensio 2023/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96937