L’auteur est connu pour ses travaux de vulgarisation sur des thématiques éclectiques de l’histoire militaire allemande. Cette fois, il a choisi d’aborder la Seconde Guerre mondiale et plus précisément la campagne de Normandie et ses suites.

La structure de l’ouvrage est globalement cohérente, hormis la position du chapitre 23 qui porte sur la France occupée entre 1940 et 1944 et qui aurait trouvé sa place aux côtés des chapitres de contextualisation en début d’ouvrage. Les 24 chapitres, organisés chronologiquement, traitent de la préparation du débarquement par les Alliés jusqu’à l’exploitation de leur succès qui aboutit au recul de la Wehrmacht sur le Westwall. Rien de bien nouveau, ni pour les spécialistes, ni pour les passionnés: des combats sur les plages à la percée américaine lors de l’offensive Cobra, on suit avec précision la succession des opérations, cependant déjà bien connue. Le propos cherche à montrer comment s’affrontent une armée alliée encore globalement inexpérimentée et une armée allemande dont l’art du commandement, la force exécutive et les capacités organisationnelles connaissent une »érosion« (p. 15). Klaus-Jürgen Bremm s’attaque ainsi au mythe forgé après la guerre et encore trop souvent rencontré d’une Wehrmacht en pleine capacité à l’été 1944, même si beaucoup à ce sujet à déjà été dit par Andreas Kunz qu’on est surpris de ne pas voir figurer dans la bibliographie.

Il est intéressant de constater que la dimension »décisive« de la bataille, qui s’inscrit dans une conception clausewitzienne de la guerre, a été pleinement intégrée par les belligérants: autant du côté des Alliés que du régime national-socialiste, le débarquement et ses suites sont perçus comme un tournant opérationnel. Cependant, la succession des évènements de l’été 1944, à savoir l’écrasement du Heeresgruppe Mitte, l’attentat manqué contre Hitler et l’échec de la Wehrmacht en Normandie, ont aussi eu d’importantes conséquences politiques et organisationnelles qui ne sont que très peu mises en avant. Ainsi, le chapitre 18 (»Der 20. Juli 1944 im Westen – Eine schwäbische Verschwörung«) dont le titre laisse penser qu’il porte sur l’écho de l’attentat manqué du 20 juillet 1944 contre Hitler à l’Ouest annonce une idée intéressante, mais qui n’a pas été menée plus loin que d’interroger l’implication du maréchal Erwin Rommel dans la conspiration. Il y aurait pourtant eu beaucoup à dire sur les effets structurels de l’attentat, sur la réorganisation de la chaîne de commandement, sur l’effort de politisation de la Wehrmacht qui s’en est suivi ou simplement sur la réception de la nouvelle par les soldats. Là encore, on est surpris de ne pas trouver Jürgen Förster ou Rolf-Dieter Müller dans les références mobilisées, deux auteurs pourtant incontournables pour traiter de la Wehrmacht et dont la connaissance des travaux aurait permis d’élargir les perspectives de ces paragraphes.

Malheureusement, l’auteur en reste à une »histoire bataille«, pour reprendre une terminologie issue de l’historiographie francophone, là où il aurait pu accorder davantage de place à des thématiques plus novatrices. On regrette ainsi que l’expérience combattante ne soit abordée qu’en une dizaine de pages à peine et que l’organisation du commandement ne fasse pas l’objet d’une analyse plus structurelle. En réalité, le principal point faible de l’ouvrage se situe dans la démarche de l’auteur qui n’a rien de très originale: la problématique est celle de savoir si le débarquement des Alliés le 6 juin 1944 a provoqué un tournant majeur dans le conflit et quelles en ont été les conséquences. L’approche choisie par l’auteur se limite d’emblée aux grandes décisions militaires ainsi qu’aux évolutions opérationnelles et tactiques. Les sources utilisées sont toutes issues du Bundesarchiv-Militärarchiv de Fribourg-en-Brisgau, mais les fonds cités en bibliographie sont très inégalement mobilisés. En l’occurrence, le travail aurait gagné à intégrer davantage de sources issues des unités de combat – qui existent – pour décentrer le regard des grandes instances de commandements. Enfin, si la démarche prétend faire dialoguer les points de vue des différents acteurs, on est déçu de ne voir qu’une poignée de titres en langue française alors que des travaux de grande qualité existent, par exemple ceux de Jean-Luc Leleu ou d’Alya Aglan pour n’en citer que deux.

Le lecteur trouvera tout de même son compte à redécouvrir l’une des campagnes les plus célèbres de la Seconde Guerre mondiale, bien qu’il ne doive pas s’attendre à trouver des éléments fondamentalement nouveaux ou même un état actualisé de la recherche. Le ton assumé est celui de la vulgarisation et s’adresse à un public en conséquence. Pour autant, cela ne justifie pas certaines simplifications notamment lorsque l’auteur évoque les »180 hommes« du commando Kieffer (p. 184) alors que le chiffre précis de 177 soldats n’aurait ni alourdi ni complexifié le texte. S’il ne s’agit assurément pas d’un travail qui renouvelle ce champ scientifique déjà bien étudié, cet ouvrage constitue malgré tout une synthèse correctement menée de la campagne de Normandie, qui plus est illustrée de nombreuses cartes. Mais en avait-on réellement besoin, là où de nombreuses publications du même genre existent déjà? L’intégration de problématiques plus actuelles aurait sans aucun doute pu en faire un ouvrage de référence, hélas une telle ambition est peut-être incompatible avec la production prolifique de cet auteur.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Geoffrey Koenig, Rezension von/compte rendu de: Klaus-Jürgen Bremm, Normandie 1944. Die Entscheidungsschlacht um Europa, Darmstadt (Wissenschaftliche Buchgesellschaft Theiss) 2022, 352 S., 40 s/w Abb., ISBN 978-3-8062-4488-5, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2023/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96947