L’ouvrage collectif, dirigé par Pierre-Philippe Fraiture, aborde le sujet des espaces de résonance coloniaux et postcoloniaux dans le contexte des relations belgo-africaines. L’accent est mis sur les anciennes colonies belges en Afrique subsaharienne, dont l’actuelle République démocratique du Congo (RDC) ainsi que le Rwanda et le Burundi. La publication, comprenant au total 17 contributions issues de différentes disciplines des sciences culturelles, est introduite par l’éditeur et est ensuite divisée en cinq unités thématiques. L’introduction offre d’abord un aperçu kaléidoscopique du contexte historique, économique et géopolitique des contacts culturels belgo-africains, avant de mettre en lumière les discours coloniaux et postcoloniaux qui y sont liés dans la littérature, la science et les médias.
La première partie »Regimes of Knowledge and Decolonisation« se concentre sur les formations de savoir postcoloniales et les formes possibles d’infraposition décoloniale des structures eurocentriques en Belgique: Dónal Hassett se penche sur le réaménagement de l’AfricaMuseum de Tervuren, autrefois colonial, dans une perspective critique et demande une plus grande représentation des acteurs africains et/ou diasporiques dans la transition postcoloniale du musée. Nicki Hitchcott examine la représentation du Rwanda dans la période qui a suivi le génocide de 1994 à l’aide de trois romans belges et conclut dans son analyse littéraire que la domination coloniale belge au Rwanda est aujourd’hui transfigurée, niée et dissimulée en Belgique. La contribution de Catherine Gilbert analyse différents matériels d’enseignement en rapport avec le génocide au Rwanda et plaide pour un ancrage officiel de l’histoire coloniale belgo-rwandaise dans les programmes scolaires belges.
Dans la deuxième partie intitulée »International Resonances«, Robert Burroughs s’intéresse de plus près à l’implication impériale du Congo au Pays de Galles et considère le rôle de la Grande-Bretagne comme bénéficiaire »passif« de la colonisation belge dans le bassin du Congo. Yvette Hutchison se concentre sur les formes de protestation performatives en tant que résistance à l’amnésie coloniale en Belgique et se penche sur le potentiel d’impact des représentations physiques à l’aide d’exemples choisis de performances postcoloniales. Albert Kasanda évalue les potentiels de la critique postcoloniale en se concentrant sur les publications littéraires en tchiluba, l’une des quatre langues nationales africaines de la RDC: l’auteur arrive à la conclusion que la politique linguistique coloniale a contribué à la standardisation de la langue africaine, mais que la simple existence de la littérature en tchiluba comme contrepoint aux langues européennes contient déjà une critique coloniale.
La troisième partie »Imperial Practices and Their After« est introduite par une analyse de la couverture médiatique des élections présidentielles au Burundi en 2020: Caroline Williamson Sinalo compare les récits et les discours dans les médias belges et burundais dans une perspective postcoloniale, avec pour résultat que les stéréotypes (néo)coloniaux dominent toujours, en particulier dans l’approche belge. Reuben A. Loffman étudie le maintien et la réinterprétation de l’architecture coloniale dans les zones rurales de la RDC à l’exemple de la ville de Kongolo, dans l’est de la RDC, en se basant sur l’approche d’Ann Laura Stoler d’une »ruination impériale«. Dans la contribution de Sarah Aren, l’accent est mis sur les effets des structures et de la politique agricoles coloniales: l’autrice utilise des planifications relatives à l’agriculture en RDC, qui datent de l’époque coloniale belge, pour rendre visibles les clichés coloniaux et les déconstruire par des lectures alternatives. Dans son article, Chantal Gishoma se concentre sur le prêtre, philosophe et écrivain rwandais Alexis Kagame et élabore sa contribution complexe à la domination coloniale belge et à la production de savoir indigène.
Dans la quatrième partie »Trans-African Entanglements«, l’accent est mis sur les échanges transafricains: Sky Herington examine la représentation continue des structures spatiales et racistes coloniales dans une nouvelle et deux drames inédits de Sony Labou Tansi, un écrivain qui a vécu et travaillé temporairement à la fois à Kinshasa et dans la ville voisine de Brazzaville. Maëline Le Lay compare les espaces littéraires et les possibilités postcoloniales d’échapper à ces topoï spatiaux dans des romans choisis de Valentin Yves Mudimbe (RDC), Antoine Ruti et Saverio Naygiziki (Rwanda). La quatrième partie se termine par l’analyse littéraire de Hannah Grayson du best-seller »Petit Pays«, publié par l’écrivain franco-burundais Gaël Faye, qu’elle étudie en accordant une attention particulière aux résonances transafricaines du personnage principal, Gabriel, traumatisé et déstabilisé par le génocide.
Dans la cinquième partie, »The Emergence of Diasporic Agents«, Bambi Ceuppens confronte les réalités artistiques du Congo dans le domaine des arts visuels et de la musique avec les stéréotypes qualifiés de »congoïsme« d’un Congo »sombre« et »sous-développé«. Matthias De Groof compare le film colonial belge »Les seigneurs de la forêt« avec la production congolaise postcoloniale »Mother Nature«, avec pour résultat l’observation d’un renversement de motif qui transforme la nature, autrefois colonisée par l’Europe, en acteur désormais colonisateur. Le volume se termine par la contribution de Pierre-Philippe Fraiture, qui considère »Tram 83« de Fiston Mwanza Mujila et »Généalogie d’une banalité« de Sinzo Aanza comme des textes ayant le potentiel d’actualiser de manière critique les figures, toponymes et objets coloniaux et de mettre en évidence leurs ruptures avec les conventions romanesques.
Le recueil apporte une contribution importante et nuancée à la localisation académique du contact culturel entre la Belgique et »ses« anciennes colonies en Afrique. Le thème général du livre a gagné en importance et en attention, notamment grâce au mouvement mondial Black Lives Matter et à ses répercussions en Belgique, ce qui explique la grande pertinence sociale des questions traitées dans le recueil. L’approche adoptée par presque toutes les contributions, qui consiste à considérer les espaces de résonance idéels et matériels des relations belgo-africaines comme des zones de contact interculturelles et à explorer leur potentiel pour une compréhension plus inclusive, est particulièrement convaincante. Ainsi, le recueil ne contribue pas seulement à la déconstruction des stéréotypes coloniaux, mais offre également des points de départ pour l’établissement durable de relations interculturelles. Les critiques de ce volume pourraient faire remarquer qu’il aurait été judicieux, à certains endroits, de fixer des priorités thématiques plus consistantes – et donc plus cohérentes – entre les différentes contributions. Toutefois, l’étendue disciplinaire et thématique de ce recueil et sa structure presque comparatiste contribuent à sa grande qualité et au gain de savoir qui en découle. D’un point de vue formel, l’absence de numérotation des sous-chapitres dans les différentes contributions a par endroits des effets négatifs sur l’orientation du lecteur, tandis que les conclusions récapitulatives font défaut dans deux contributions. Ces critiques formelles n’affectent cependant pas la qualité exceptionnelle et la minutie des travaux scientifiques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Julien Bobineau, Rezension von/compte rendu de: Pierre-Philippe Fraiture (ed.), Unfinished Histories. Empire and Postcolonial Resonance in Central Africa and Belgium, Leuven (Leuven University Press) 2022, 426 p., ISBN 978-94-6270-357-5, EUR 35,00., in: Francia-Recensio 2023/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.96958