Le présent volume collectif, dirigé par Huguette Krief, réunit douze contributions encadrées de réflexions préliminaires d’Huguette Krief et d’une postface de Marc André Bernier, qui posent la question de la vertu »féminine« comme un des socles de l’imaginaire des Lumières. En s’interrogeant entre autres sur l’héritage du discours de la vertu féminine, il reconsidère les Lumières dans leur dimension polygénétique.

Dans ses réflexions préliminaires, Huguette Krief rappelle ainsi les nombreuses interrogations qu’a suscité la question de la vertu au XVIIIe siècle, un concept cependant genré qui, pour la femme, peut être avant tout résumé en termes de chasteté, de soumission, de sensibilité, de bienveillance, de magistère des mœurs et de maternité (p. 14) et qui se nourrit aussi bien de la tradition antique que des Pères de l’Église.

Les douze articles qui suivent sont répartis en quatre sections dont la première traite des »Vertus exemplaires« en commençant par les réflexions de Jeanne Chiron sur la »galeries des femmes illustres« que Marie Leprince de Beaumont se propose de renouveler dans son entreprise journalistique du »Nouveau Magasin français«. Elle y entreprend de développer une définition d’un héroïsme au féminin »dans lequel le courage et la force des femmes choisies permettent de croiser morale et politique« (p. 40). Bénédicte Prot s’interroge par la suite sur l’intérêt pour le modèle spartiate dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et plus particulièrement sur les réflexions soulevées par la nudité des Lacédémoniennes qui renvoie cependant aux vertus républicaines. Une piste semblable est ensuite explorée par Marc André Bernier qui analyse l’imaginaire des Spartiates dans le »Traité de l’éducation des femmes« de Mme de Miremont et les »Entretiens de Phocion« de Mably.

La section suivante »Vertu et énergie« s’ouvre sur le débat autour de la vertu féminine dans le protestantisme qui doit être considéré dans le contexte de la catholisation forcée imposée par l’édit de Fontainebleau. La question de la vertu comme acte de résistance est également traitée dans les deux articles suivants qui concernent notamment la période révolutionnaire. Marie-Laure Girou Swidersky analyse l'héroïsme vertueux de Manon Rolland, et Eliane Viennot interroge 51 textes féminins non fictifs par rapport à l’évocation de la vertu féminine.

Sous le titre »Vertus et désirs« sont réunies trois contributions qui étudient la compatibilité du désir féminin avec la vertu. Huguette Krief ouvre le débat avec l’»Histoire de la Comtesse de Savoie« (1726) de Marie-Louise de Fontaine qui met en scène la constance féminine qui conjugue la rationalité et la sensibilité. Kim Gladu analyse un texte de Charlotte Bourette, la »Muse limonadière«, et le rapport entre la galanterie libertine et la morale. Fanny Lacôte examine l’époque postrévolutionnaire, et plus particulièrement le roman gothique au féminin qui comporte une critique des institutions patriarcales et ainsi une révision du concept de la vertu féminine.

La dernière et quatrième partie du volume »vices et vertus« pose en partie la question de l’éducation des femmes à la vertu. Ainsi, Geneviève Goubier fournit une relecture de l’»Émile« de Rousseau qui conçoit la vertu féminine comme »appropriation réfléchie et consentie« et obéit à une double nécessité: sociale et morale. Marco Menin, à son tour, interroge le »Discours sur l’Éducation des femmes« (1777) de Bernardin de Saint-Pierre par rapport à l’exemplarité de la vertu féminine comme orthopraxie. Finalement, Thomas Wynn nous mène hors du cadre purement littéraire avec Marie Catherine Taperet et l’affaire Lescombat, une des criminelles les plus célèbres du XVIIIe siècle, ce qui démontre de manière particulièrement frappante le caractère genré de concepts tels que le vice et la vertu.

En guise de conclusion, Marc André Bernier donne, dans sa postface, le résumé des idées principales des précédents articles et démontre ainsi que la réflexion sur la vertu féminine est au cœur des Lumières et contribue ainsi à répondre à la fameuse interrogation kantienne sur la nature des celles-ci qu’il faut envisager dans sa pluralité et à partir de sa polygenèse.

Avec ce volume nous avons une autre contribution essentielle à l’historiographie des Lumières qui rend parfaitement justice à sa complexité et ses ambiguïtés.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Rotraud von Kulessa, Rezension von/compte rendu de: Kim Gladu, Huguette Krief, Marc André Bernier (dir.), La vertu féminine, de la cour de Sceaux à la guillotine, Paris (Classiques Garnier) 2022, 273 p. (Masculin/féminin dans l’Europe moderne, 34), ISBN 978-2-406-12582-2, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2023/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.2.97342