Prolongement et aboutissement du programme de recherche conduit sous le même intitulé à Cambridge de 2015 à 2019 par Paul Russell, Fiona Edmonds et Caroline Brett, »Brittany and the Atlantic Archipelago, 450–1200. Contact, Myth and History« (abrégé en »BAA«) a été très majoritairement rédigé par C. Brett (p. VIII), dont on retrouve ici la puissance de travail, la finesse d’analyse et l’esprit critique; le tout accordé à un sens de la nuance, qui n’avait pas toujours trouvé à s’exprimer dans de précédents travaux.

Si la formule n’était pas éculée, on pourrait dire de »BAA« qu’il s’agit d’un »ouvrage fondamental«, appelé à rendre durablement de grands services: il apparaît en effet à bien des égards comme un véritable instrument de travail, d’autant plus précieux 1) qu’il offre une synthèse de centaines d’ouvrages et d’études dont les titres sont rapportés dans les sources (p. 349–361) et la bibliographie (p. 362‑446); 2) que sa consultation se trouve grandement facilitée par un index très détaillé (p. 447–479); et, enfin, 3) que son apparat critique abondant et circonstancié permet immédiatement le contrôle des citations, mentions ou indications (la table des matières, squelettique, aurait mérité en revanche d’être détaillée). Cependant, appréhender »BAA« à travers sa seule dimension »référentielle« serait par trop réducteur: nous avons affaire à un ambitieux »exposé« d’histoire culturelle, dont il faut évidemment renoncer à rendre compte en quelques lignes.

Les propositions contenues dans cet »exposé« devraient sans nul doute susciter bien des réactions, tant les problématiques abordées ont longtemps été, – et sont encore parfois, – au cœur de débats, voire de controverses. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’affirmation de positions tranchées qui pourrait éventuellement générer de telles réactions, mais bien au contraire la prudence dont les auteurs font preuve sur des questions aussi essentielles, à notre avis, que de savoir »pourquoi une langue brittonique n’a pas survécu ailleurs [qu’en Bretagne] sur la rive sud de la Manche« (»why a British language did not survive elsewhere [than in Brittany] on the Southern side of the Channel«, p. 27), alors que les insulaires s’étaient établis en plusieurs autres points du littoral nord-ouest de la Gaule; ou bien »pourquoi donc les Britons s’installant en Bretagne auraient emporté avec eux et perpétué leur langue et leur sens de l’identité, mais pas les traits culturels visibles qu’ils avaient développés en Grande-Bretagne même« (»why then would Britons moving to Brittany take with them and perpetuate their language and sense of identity, but not the visible cultural traits that they developped in Britain itself«, p. 64), soulignant ainsi le paradoxe de la situation bretonne.

Bien que son appartenance, au moins partielle, à la communauté culturelle de l’archipel atlantique ne soit pas plus douteuse que son rattachement précoce aux destinées continentales, principalement pour des raisons de nature politique et aussi géographique, on constate en effet que la Bretagne a connu très tôt l’existence de structures institutionnelles et sociales propres, comme c’est le cas, par exemple, de la plou [sic], – la forme plo(u)e nous paraît mieux appropriée, – à la fois entité territoriale et communauté humaine, si typique de l’ouest de la péninsule armoricaine et dont la toponymie régionale a gardé tant de traces: la plo(u)e appartient aux seuls Bretons du continent (p. 240), qui ne l’ont donc pas plus empruntée aux institutions de la Grande-Bretagne qu’à celles de la Francie (p. 90); et son examen de novo souligne la complexité de ses origines (p. 247–250).

Que l’anthropo-éponyme de telle ou telle plo(u)e soit un »saint« honoré par les communautés correspondantes reste l’hypothèse la plus probable; mais celle-ci doit encore être renforcée par une étude approfondie du culte des différents personnages concernés. Étude dont les résultats ont ici bénéficié de son élargissement à l’ensemble des régions du »Monde celtique« (»Brittany and the Celtic World: How Did Cults Spread?«, p. 250–276), plus particulièrement, en l’occurrence, le Cornwall qui, dans le domaine hagiographique, entretenait avec la Bretagne, surtout durant le Moyen Âge central et le bas Moyen Âge, »une relation spéciale« (»Brittany and Cornwall: A ›Special Relationship‹«, p. 276‑290).

Les auteurs (dé)montrent également, à plusieurs reprises, qu’il est possible de questionner le déficit documentaire relatif aux origines bretonnes de telle manière que ce constat puisse s’ouvrir sur des perspectives renouvelées. À cet égard, le recours constant aux sources hagiographiques, utilisées ici avec une expérience consommée, s’avère particulièrement instructif: les textes hagiographiques, non pas tant témoignages sur les périodes les plus anciennes, comme on l’imaginait jadis, mais bien plutôt conservatoires des représentations successives que s’en sont faites leurs auteurs aux différentes époques où ces textes ont été composés, continuent ainsi à jouer un rôle essentiel dans notre connaissance des contacts culturels au sein du »Monde Celtique« médiéval. Faut-il rappeler que ce »type de littérature« (comme la désigne André Vauchez) a connu une grande vogue en Bretagne depuis le VIIIe siècle au moins jusqu’à l’aube des Temps modernes, couvrant ainsi la majeure partie de la période à laquelle s’intéresse »BAA«, avec une efflorescence particulièrement remarquable au IXe siècle (p. 113–142)? Mais cette acmé précoce n’a pas pour autant épuisé la production régionale, comme elle se voit à nouveau au lendemain des incursions vikings (p. 207–230), et encore au XIIe siècle, avec des vitae qui, pour plusieurs d’entre elles, témoignent explicitement de contacts avec les scriptoria du pays de Galles (p. 295‑311).

Naturellement, ces aspects hagiographiques ne sont pas les seuls à être abordés dans »BAA«; mais ils sous-tendent, complètent, renforcent les autres approches de nature historiographique (p. 1‑17, 68‑99, 180‑207), linguistique (p. 17‑31), archéologique (p. 32‑67), codicologique (p. 143‑179), etc. Ainsi, par exemple, les sources hagiographiques viennent-elles, »en creux«, combler partiellement le déficit archéologique relatif aux relations maritimes entre la Bretagne et les autres entités de l’archipel atlantique: on peut en effet supposer, avec les auteurs de »BAA«, que les Bretons »voyageaient principalement à la recherche de biens archéologiquement invisibles, tels que la promotion sociale, l’éducation, les emplois et les bénéfices religieux« (»they travelled chiefly in pursuit of archeologically invisible goods, such as social advancement, education, employment and religious benefits«, p. 55); de surcroît, ne sont-ce pas là souvent les étapes constitutives d’une carrière d’hagiographe?

»BAA« constitue un important status quaestionis s’agissant des contacts de la Bretagne avec les proches îles de l’Atlantique durant le Moyen Âge: sa dimension »référentielle« est très importante; mais celle d’une vaste exposition d’histoire culturelle l’est sans doute plus encore. En tout état de cause l’ouvrage confirme, au point de vue historiographique, l’appétence des chercheurs anglo-saxons pour des problématiques longtemps confisquées par la recherche continentale: deux courants s’affrontaient alors sur la nature, historique ou mythique, de ces contacts. »BAA« en propose aujourd’hui une approche plus susceptible de nourrir efficacement le débat.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

André-Yves Bourgès, Rezension von/compte rendu de: Caroline Brett, Brittany and the Atlantic Archipelago, 450–1200. Contact, Myth and History, Cambridge (Cambridge University Press) 2021, 496 p., 5 b/w fig., ISBN 978-1-108-48651-4, GBP 90,00., in: Francia-Recensio 2023/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99786