J.-M. Cauneau et D. Philippe n’en sont pas à leur première collaboration autour des sources littéraires de l’histoire de Bretagne à l’époque de la guerre de Succession de Bretagne (1341‑1364). Ils ont en effet déjà édité le »Libvre du bon Jehan duc de Bretaigne« de Guillaume de Saint-André (»Chronique de l’État breton«, Rennes 2005). En 2008, ils présentaient l’un des trois textes du manuscrit 549 de la bibliothèque municipale d’Angers »Comment le roy de France fist faire pour le conestable« sous le titre »La Rembrance de Du Guesclin: mystères et enseignements d’un manuscrit angevin«1. Ils s’intéressent ici aux deux autres textes du manuscrit 549: »Le Roman de Monsieur Sylvestre«, déjà connu par des éditions faites par les bénédictins de Saint-Maur au XVIIIe siècle sous le titre »Gestes des Bretons en Italie«, et la »Membrance du pape Clément VII« restée inédite jusqu’à la présente édition.
Ces deux textes sont ici transcrits d’après le manuscrit 549 de la bibliothèque municipale d’Angers, complétés par une copie manuscrite conservée à la BnF. La transcription s’accompagne d’une traduction en français moderne en regard de chaque page et de notes de bas de page très précieuses, conçues comme »une invitation à la réflexion sur une œuvre méconnue«.
Ce corpus est précédé d’une importante introduction qui apporte une mise au point historiographique et un commentaire très approfondi et nuancé sur ces deux textes et leur auteur. Elle se divise en six chapitres qui étudient successivement: »Les avatars d’un texte«; »Guillaume de La Penne, Breton par adoption, poète par engagement«; »L’Italie livrée aux condottières du pape«; »Sylvestre Bude, Breton de l’Europe«; »La guerre de Sylvestre et des autres selon Guillaume«; »La ›Membrance‹ pour la création du pape Clément VII«, ainsi qu’une bibliographie et la présentation des règles d’édition.
L’un des mérites des éditeurs est de réévaluer les sources avec beaucoup de précaution afin de restituer le milieu familial, la formation et le parcours de l’auteur de la chanson de geste: le chevalier Guillaume de la Penne – et non La Pérenne comme on l’a longtemps cru en raison d’une erreur de lecture de dom Martenne reprise ensuite par dom Morice –, mort en 1381. Longtemps considéré comme originaire de Bretagne, il était en fait un authentique Angevin des confins du Maine, originaire de la paroisse d’Auvers-le-Hamon dans le diocèse du Mans.
Cette œuvre s’inscrit dans une tradition, le genre des biographies chevaleresques de la fin du Moyen Âge, afin d’exalter la mémoire du chef militaire aux côtés duquel il a combattu, le Breton Sylvestre Budes. Fidèle du duc de Bretagne Charles de Blois, allié de la couronne de France contre Jean de Montfort, Budes apparaît dans les sources à l’occasion de la bataille de Cocherel (mai 1364). Il poursuit sa carrière sous le commandement de Du Guesclin qu’il accompagne en Castille en 1367. Il se met ensuite au service de Louis Ier, duc d’Anjou, gendre de Charles de Blois, avant de participer à la reconquête des terres d’Italie par le pape d’Avignon Grégoire XI, du printemps 1376 à la fin de l’été 1377. Les pages de l’ouvrage retraçant le devenir de Sylvestre Budes »après le Roman« sont passionnantes et témoignent de la complexité à suivre un capitaine d’aventure breton en terre étrangère dans les mois qui suivent l’élection d’Urbain VI, durant lesquels se dessinent de nouveaux rapports de force. Sa capture lors de la défaite définitive des clémentistes semble un fait attesté. J. M. Cauneau et D. Philippe se livrent à une véritable enquête à travers les chroniques afin d’émettre des hypothèses sur les faits qui ont pu mener à son exécution. Ils retracent également le jugement de la postérité sur le personnage.
L’analyse du texte de La Penne qui relate l’expédition des Bretons de Budes en Italie permet de saisir le fonctionnement d’une compagnie d’aventure et de sonder »la mentalité d’un de ces routiers étrangers d’Italie, avec ses contradictions entre l’obsolète idéal chevaleresque et le réalisme intéressé du soudoyer, entre l’illusion de la juste guerre et l’instrument brutal et obligé de la violence« (p. 91). L’auteur s’attarde sur des combats singuliers, des tournois qui symbolisent selon lui l’éthique guerrière. Budes y apparaît comme l’archétype du chevalier accompli. En cela, le »Roman« de La Penne peut être considéré »comme un témoignage de la perception de son chef par un soudoyer du XIVe siècle, un peu poète« (p. 108), même si sa plume peut parfois apparaître comme »brute de fonderie«.
»La Membrance de la création du pape Clément VII« est la seconde pièce du recueil, copiée à la suite du »Roman de Monsieur Sylvestre«. Elle est restée jusqu’ici inédite car dom Martenne l’avait jugée d’un trop faible intérêt stylistique et historique. Le présent volume permet désormais d’accéder à l’ensemble de l’œuvre attribuée à Guillaume de La Penne et à une source originale d’un grand intérêt.
L’ouvrage comporte 76 illustrations: dessins, gravures, photos, cartes, reproductions de manuscrits. Les éditeurs y ont ajouté un lexique très utile (1700 entrées), un index onomastique (personnes, peuples, lieux), des photos sur les pas de l’expédition en Italie ainsi que des éléments chronologiques et généalogiques sur Guillaume La Penne.
Un ouvrage qui vient compléter très utilement la collection des »Sources médiévales de l’histoire de Bretagne«.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Laurence Moal, Rezension von/compte rendu de: Jean-Michel Cauneau, Dominique Philippe (éd.), »Le Roman de Monsieur Sylvestre« (1378). La Geste des Bretons en Italie, par Guillaume de La Penne, suivi de la Membrance du pape Clément VII, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2023, 376 p. (Sources médiévales d’histoire de Bretagne, 11), ISBN 978-2-7535-8780-9, EUR 39,00., in: Francia-Recensio 2023/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99791