Cet ouvrage, luxueusement illustré, est consacré à l’une des plus célèbres pièces d’orfèvrerie de la seconde moitié du XVe siècle, que l’auteur définit d’emblée, avec raison, comme une »œuvre maîtresse du Trésor de la Cathédrale de Liège et du patrimoine international«. Cet objet, dû à l’orfèvre Gérard Loyet, est connu sous le nom de »reliquaire de Charles le Téméraire«, mais est désigné ici comme l’ymage d’or, appellation qui apparaît dans la comptabilité ducale en décembre 1467. Le champ d’étude n'est évidemment pas vierge, s’agissant d’une pièce exceptionnelle. Pour s’en tenir à l’historiographie récente, on peut rappeler que Philippe George a déjà publié plusieurs articles sur le sujet et que Hugo van der Velden est l’auteur d’un ouvrage fondamental dans lequel, d’une part, il a mis en lumière la carrière de Gérard Loyet et son activité au service de la maison de Bourgogne et, d’autre part, a remis en contexte les images votives que Charles le Téméraire commanda durant son principat. Toutefois, à l’occasion de la restauration et de la nouvelle présentation de l’objet, il a paru utile de donner une »synthèse critique« des découvertes que les travaux de ces vingt dernières années ont permises.
L’étude s’ouvre sur un exposé historique éclairant le moment où Charles le Téméraire, qui en tant que prince héritier portait le titre de comte de Charolais, succéda à son père, le duc de Bourgogne Philippe le Bon, mort le 15 juin 1467. C’est en effet à ce moment qu’il commanda l’ymage d’or destinée à être offerte à la cathédrale de Liège. La période charnière 1465–1468 est notamment marquée par les interventions bourguignonnes récurrentes en pays liégeois et s’achève par le sac et la destruction de la »cité ardente«. La tradition historiographique, née d’une vision partiale des événements, a voulu voir dans le don du »reliquaire de Charles le Téméraire« à la cathédrale Saint-Lambert une offrande expiatoire faite par le prince repentant après le sac de la ville. Cette interprétation ancienne des intentions du donateur, bien que contredite par les sources, a incontestablement la vie dure.
Après avoir présenté le contexte historique et le commanditaire, Philippe George ouvre la perspective sur les grands domaines de l’art au temps de Charles le Téméraire; il étudie d’abord l’architecture civile et religieuse, envisagée de façon typologique, puis centre son propos sur la peinture, montrant l’évolution des techniques picturales, de l’enluminure des manuscrits de luxe à la peinture de chevalet, et mentionnant, à côté des peintres de manuscrits comme Loyset Liédet et Simon Marmion, l’apparition de nouveaux artistes comme Petrus Christus, Hugo van der Goes, Hans Memling et Dirk Bouts. Consacrant un développement à la sculpture, il évoque des productions régionales (Bourgogne, Brabant, pays mosans) ainsi que des thèmes nouveaux, souvent trinitaires et plus encore christocentrés, comme les représentations du Christ aux liens ou les mises au tombeau monumentales, et montre l’essor des sculptures de métal, notamment de laiton – spécialité mosane –, vers lesquelles se portèrent souvent les commandes princières. Enfin, la tapisserie et l’orfèvrerie de luxe sont envisagées comme des expressions artistiques dans lesquelles s’expriment non seulement l’habileté des artisans mais aussi les goûts raffinés des commanditaires.
Le vaste paysage de la production artistique étant ainsi présenté, Philippe George place en son centre le »reliquaire de Charles le Téméraire« dont il fait une étude à la fois synthétique et précise: retraçant l’histoire et l’historiographie du sujet, il présente d’abord la conception d’ensemble de l’œuvre et ses différentes composantes: le décor emblématique et héraldique, l’iconographie du prince et du collier de la Toison d’or, la représentation de saint Georges. Le reliquaire fait ensuite l’objet d’un parallèle avec d’autres œuvres comme le »Goldenes Rössl« conservé à Altötting, réalisé au début du XVe siècle pour le roi de France Charles VI, et la »Vierge au chanoine van der Paele« de Jan van Eyck; il est mis aussi en perspective avec certaines pièces d’orfèvrerie comme la croix-monstrance commandée par le dauphin Louis, futur Louis XI, lors de son exil en pays bourguignon entre 1456 et 1461. Enfin, quelques thématiques suggérées par l’œuvre sont envisagées comme la dévotion à saint Lambert ou une affirmation de l’ego du Téméraire, à quoi on pourrait ajouter l’image d’un pouvoir incarné dans la personne d’un prince combattant, protégé par le saint patron des chevaliers, et agenouillé devant Dieu et la Vierge Marie – et non devant saint Lambert.
À la fin de son étude, l’auteur offre à ses lecteurs des pages très intéressantes consacrées à la restauration de l’objet: les traces de détériorations et de réparations sont autant d’indices de l’histoire de ce reliquaire dont certains éléments ont été démontés, arrachés ou perdus. La remise en état de l’ensemble a aussi donné lieu à un travail de restitution de certains éléments manquants, ainsi les armoiries du socle, l’épée du duc de Bourgogne ou la targe de saint Georges. En conclusion, ce livre, d’un abord attrayant, offre à un lectorat large mais averti, une approche synthétique et pourtant très solide d’une œuvre, certes connue, mais sur laquelle il restait encore à écrire.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Bertrand Schnerb, Rezension von/compte rendu de: Philippe George, Art et histoire au temps de Charles le Téméraire. »L’ymage d’or« du duc de Bourgogne à Liège (1467–1471), Turnhout (Brepols) 2022, 138 p., 3 ill. en n/b, 143 ill. en coul. (Art & Histoire du Pays de Liège, 3), ISBN 978-2-503-59542-9, EUR 75,00., in: Francia-Recensio 2023/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99801