Quoi de neuf à propos du droit coutumier septentrional du royaume de France au XIIIe siècle? Avec l’idée formulée d’une »réinvention«, l’ouvrage d’Ada Maria Kuskowski porte la promesse d’interroger à nouveaux frais la place et l’évolution du ius non scriptum, de la formation d’un droit coutumier et du travail mené par les rédacteurs de coutumiers. Pour mener à bien son enquête, l'autrice s’intéresse à un corpus des »premiers« coutumiers formé de onze textes couvrant un espace géographique large (p. 67–88)1. L’autrice propose alors de mettre en perspective le moment particulier de mise par écrit, que l’on peut qualifier de savante, du droit coutumier. La dynamique du droit écrit coutumier est ainsi analysée à travers ses acteurs et par l’étude de différents manuscrits mis en dialogue.
Davantage qu’une simple rédaction ou transcription de la coutume, les coutumiers sont saisis comme processus d’écriture. Ils correspondent à un nouveau genre de la littérature juridique par la mise en exposition raisonnée du droit issu des cours séculières. Kuskowski défend l’idée que les coutumiers sont une forme de learned law. Elle considère tant le support matériel de ces manuscrits que la méthode de rédaction, le fond du droit et l’action sur le droit vernaculaire des rédacteurs de coutumiers. Au fil des pages d’une étude nouvelle et originale, un double questionnement plus général se fait jour: »what is the place of text in a customary legal culture that had just begun to use it, and how does law work in a culture that does not think in terms of fixed legal text?« (p. 21). L’approche constitue alors »an excellent starting point for understanding the legal culture of law in medieval France« (p. 4). Il permet de faire un pas de côté dans la dispute académique rappelée entre historiens du droit au cours des années 1990–2000 (p. 330–335)2 tout en étayant certaines positions et en apportant du neuf.
L’ouvrage est divisé en trois parties. Tout d’abord, l’attention est portée au corpus de sources et au contexte de la culture juridique de la France du Nord au XIIIe siècle (p. 27–152). Puis, l’étude s’intéresse à la mise en tension du droit vernaculaire avec les juridictions ecclésiastiques et le droit romain (p. 153–229). Enfin, la dernière partie expose la nouveauté formée par le droit coutumier sous l’effet du travail des auteurs coutumiers (p. 231–347). De cet ensemble intéressant et riche, plusieurs lignes de force retiennent plus particulièrement l’attention.
Le lecteur pourra tout d’abord porter son attention à la définition de la coutume (chapitre 1), à la langue et à la méthode d’étude du droit (chapitre 2). Le travail entrepris par les auteurs de coutumiers mériterait d’être davantage mis en regard avec, au même moment, la réflexion et la pratique pédagogique des juristes de l’école d’Orléans3. Le livre de Kuskowski s’intéresse au mouvement de rédaction de ce droit non écrit (chapitre 3) et exprimé dans la langue locale. Ce travail des auteurs coutumiers est aussi à rapprocher des traductions françaises du Code de Justinien à la même époque et dans le même espace. Ce sont là deux expressions d’écrits juridiques vernaculaires dont les liens sont à explorer davantage4.
Dans ce livre, l’analyse du processus de formation du droit coutumier est présentée en relation avec la place du droit canon et de la pratique des cours ecclésiastiques dans le droit coutumier ainsi que les conflits entre juridictions relatifs aux »frontières du pouvoir dans la pratique de la justice laïque« (chapitre 4) ou bien encore de l’influence du pouvoir royal (p. 176–182). L’analyse revient également sur la relation entre coutume et droit romain (chapitre 5) pour conclure que »the coutumiers used sources in a conscious and self-confident juristic project devoted to theorizing, describing, and creating the dispute resolution customs of the secular courts« (p. 229).
Le droit romain et le droit canonique sont ainsi deux sources d’inspiration où venir puiser et à partir desquelles la »customary law is a space in which to explore ideas of newness in the medieval period« (p. 23 note 61). Cette mise en perspective avec les autres droits permet d’identifier l’action des auteurs d’un nouveau genre littéraire de la pratique juridique (chapitre 6 et 7). L’analyse est fine et pertinente pour démontrer que si les coutumiers »ne reflètent pas parfaitement la pratique, ils ont créé une cohérence et théorisé la coutume« (p. 264). Ils ont ainsi pensé un droit non figé issu de l’activité des cours de justice.
Le chapitre 8, que l’on aurait souhaité davantage développé, prolonge la réflexion. Il discute de la genèse d’une common law française au XIIIe siècle. Mais de quelle common law est-il question? Il ne s’agit pas de l’équivalent de la commune ley ou du commune regni ius, expressions usitées aux XIIe et XIIIe siècles en Angleterre à partir des writs du roi. Ce n’est pas non plus un droit créé par le peuple. Il s’agit »d’une sorte de ius commune des justices laïques« (p. 317). L’idée renvoie davantage à la part contentieuse du droit dont des juristes coutumiers ont connaissance. Ils sont présentés comme formant une communauté bien qu’ils aient »elaborated their text uniquely and distinctively« (p. 66). Kuskowski brosse le portrait de juristes, tels Pierre de Fontaines, Guillaume Alexandre, Guillaume du Châtelet et Philippe de Beaumanoir, qui constituent avec d’autres un groupe d’hommes, connus ou anonymes, envisagé comme un collectif uni par une même démarche.
L’autrice dégage une unité en ce qu’ils ont en commun d’avoir rédigé des coutumiers. Il y a plus. Cette communauté est »based on common textual practices and methods of thinking, and in so doing they were developing a common pool of customary legal knowledge« (p. 347). Ces juristes ont alors fait œuvre créative en exposant et en réfléchissant à un droit coutumier à partir de diverses dispositions dans leur contexte économique et social. Un nouveau champ de la connaissance et du savoir juridique est ainsi en formation. En outre, la rédaction des coutumiers favorise la circulation du droit permettant des »dialogues between Lay Jurists« (p. 324–325) et renforce la création d’une unité.
En définitive, Ada Maria Kuskowski propose une réflexion stimulante qui ne manquera pas de susciter l’intérêt pour en discuter les propositions. Son ouvrage est une invitation pour les historiens et les juristes, héritiers du droit continental ou de common law formant »partie de la même famille« (Tamar Herzog), à croiser plus encore les regards sur le passé de la formation et de l’évolution des systèmes juridiques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Florent Garnier, Rezension von/compte rendu de: Ada Maria Kuskowski, Vernacular Law. Writing and the Reinvention of Customary Law in Medieval France, Cambridge (Cambridge University Press) 2022, 429 p. (Studies in Legal History), ISBN 978-1-00-921789-7, EUR 118,03., in: Francia-Recensio 2023/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99811