Les archives de l’abbaye de Saint-Gall, exceptionnelles pour le haut Moyen Âge, fascinent depuis longtemps les historiens. Il manquait cependant encore une étude globale de la diplomatique des actes conservés dans ces archives; des actes privés, du moins, au sens allemand traditionnel, c’est-à-dire des actes qui n’ont pas été délivrés par l’autorité souveraine, roi ou empereur.
B. Zeller commence son livre par une utile synthèse sur l’histoire du monastère, depuis la fondation dans les années 720–730 jusqu’à la fin du Xe siècle, qui correspond à la fin de l’âge d’or de l’établissement des actes à Saint-Gall, une évolution que l’auteur attribue à un changement dans la politique monastique, et notamment à une montée en puissance des avoués.
Passée l’introduction, B. Zeller consacre un premier chapitre à une description synthétique des actions juridiques, au processus juridique lui-même, aux différents types de scribes intervenus, monastiques ou extérieurs au monastère (il constate notamment qu’aucun indice ne plaide en faveur de l’existence de scribes laïcs) et à la conservation des actes.
L’ouvrage se poursuit par l’examen des caractéristiques générales, externes et internes, des actes. Le matériau est du parchemin, souvent irrégulier. L’écriture évolue, d’une écriture alémanique (elle-même évolutive) à une caroline (vers 820); elle constitue souvent un mélange d’écriture diplomatique et d’écriture livresque, celle-ci davantage marquée chez les scribes monastiques. Les scribes non-monastiques ont une écriture plus diversifiée, sans qu’il soit certain qu’il y ait des caractéristiques régionales nettes. L’invocation symbolique et les signes de souscription ornent de nombreux actes. La langue est latine, sans beaucoup de mots germaniques, les dates de début de règne problématiques.
Jusqu’ici, l’auteur a surtout passé en revue des questions déjà bien connues, qu’il présente clairement tout en les soumettant à un nouvel examen. Avec le troisième chapitre, portant sur les formes et formules, on entre dans un examen davantage neuf. C’est surtout aux actes de donation (y compris les précaires) que B. Zeller s’intéresse; les autres catégories (prestaires, échanges, ventes, jugements, affranchissements) sont traitées beaucoup plus rapidement, et en bonne partie en comparaison avec les donations. Pour ces dernières, l’auteur constate d’abord que, comme à Wissembourg mais au contraire de Fulda ou Mondsee, elles adoptent des formes très diverses, ce qui lui permet de citer et commenter les différentes versions de l’invocation, de l’intitulation et de l’adresse, mais surtout celles de l’arenga, en particulier celles de ce qu’il appelle les »transitions de type arenga« (Arengenartige Überleitung), des petits morceaux de phrases comme pro remedio anime mee, cogitans divina clementia (sic), ou encore talis mihi decrevit voluntas, cette dernière formule étant plus éloignée d’une arenga classique. Suivent le dispositif, la clause comminatoire ou l’eschatocole.
Le quatrième chapitre est consacré à la diplomatique (Urkundenwesen) de Saint-Gall. En fait, il est organisée sur un plan chronologique, par décennie ou par abbatiat. B. Zeller détaille l’activité et les caractéristiques de chaque scribe ou de chaque responsable du scriptorium, voire parfois seulement d’un groupe d’actes. Cela permet de bien faire ressortir les évolutions, souvent subtiles, et montre l’importance des changements à la tête de l’abbaye, qui ont visiblement eu des répercussions sur l’ensemble des activités monastiques. Ainsi, le passage vers 760 de Saint-Gall sous le contrôle de l’évêque de Constance a entraîné l’arrivée de nouveaux moines, et l’adoption d’usages diplomatiques très influencés par la Reichenau.
Plus question, pour le chapitre suivant, de plan chronologique, puisqu’il s’agit de la diplomatique des scribes non-monastiques (que l’on voit principalement à l’œuvre jusqu’au milieu du IXe siècle). C’est donc un plan par région, par Gau en fait, qui est adopté, avec mise en valeur des caractéristiques de chacune d’elles. Pour les scribes les mieux identifiables, l’auteur peut proposer une sorte de formulaire type, déclinable en plusieurs versions.
Enfin, le dernier chapitre porte sur l’usage des formulaires. L’utilisation de plusieurs de ceux-ci est décelable dans les actes de Saint-Gall: formulaire de Marculf, »Formulae Augienses« (les deux versions), et évidemment les différents formulaires de Saint-Gall, comme les »Formulae Sangallenses«. B. Zeller montre surtout que les grandes collections étaient sans doute davantage utilisées dans les écoles que dans les chancelleries; dans celles-ci, les scribes connaissaient leur métier, et utilisaient plutôt des formulaires personnels (qu’éventuellement ils s’échangeaient ou faisaient circuler), établis sur feuilles volantes ou sur tablettes de cire. On retient surtout que si les formulaires issus de Saint-Gall contiennent des traces d’utilisation d’actes antérieurs, et si on trouve des traces de leur utilisation dans des actes postérieurs, on n’y trouve pas de copie d’actes de Saint-Gall connus: il ne s’agit donc pas de recueils de copies d’actes, mais de versions retravaillées de ces actes.
La conclusion permet surtout à l’auteur de distinguer le paysage diplomatique (Urkundenlandschaft) de la Rhétie, bien étudié grâce en bonne partie à des actes de Saint-Gall, et assez clairement identifiable, de celui de l’Alémanie, qui est finalement au cœur de son travail, mais est beaucoup moins clair parce que marqué par de fortes influences, venues de Rhétie, mais surtout du monde franc en passant par Constance et la Reichenau.
Ce livre contient de nombreuses listes (cens en nature, formules et signes de souscription, graphies précarolingiennes), de belles annexes (liste des actes, cartes des lieux d’émission des actes, index des actes cités), ainsi que des illustrations (types d’écriture, invocations symboliques et signes de souscription). Il y manque cependant, et ce manque est cruel, des tableaux statistiques clairs et complets (combien de donations, d’échanges; d’actes établis par des scribes non-monastiques …?). Et, même si c’est exigeant et prend de la place, un index rerum qui rendrait mieux compte de la richesse de ce travail.
Malgré cela, l’ouvrage de B. Zeller constitue une somme remarquable et remarquablement complète sur une des principales collections d’actes du haut Moyen Âge, et est donc désormais indispensable pour tout haut-médiéviste.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Bernhard Zeller, Diplomatische Studien zu den St. Galler Privaturkunden des frühen Mittelalters (ca. 720–980), Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2022, 631 S. (Mitteilungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung. Ergänzungsband, 66), ISBN 978-3-205-21487-8, EUR 95,00. , in: Francia-Recensio 2023/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99858