Le présent ouvrage, comme le laisse entendre son titre, relève à la fois de l’actualité et de l’histoire. En effet, en France, le droit local des cultes qui a cours dans les départements alsaciens et en Moselle reste une curiosité – en regard de la loi de 1905 – qui ne manque pas d’être régulièrement discutée dans le jeu des oppositions politiques à l’échelle nationale, dans le prolongement lointain des débats qui eurent lieu au moment de la réintégration en France de l’Alsace et de la Moselle en 1918.

Avec le droit local des cultes, l’auteure s’intéresse ainsi à une part seulement de ce qui constitue le droit local dans cette partie de la République française, qui concerne par exemple le régime de sécurité sociale. Par ailleurs, ce que souligne bien A. Imhof, ce droit local n’a rien d’uniforme – il est composé d’environ 140 textes de différentes époques – et ne concerne que les cultes anciennement reconnus, soit ceux des confessions catholique, luthérienne, calviniste et judaïque. Les musulmans de cet espace restent donc exclus de ce droit qui concerne les relations entre les cultes et l’État, l’enseignement religieux dans l’école publique et la formation théologique des cadres, et qui repose sur le concordat de 1801, sur la législation allemande du Deuxième Reich ainsi que sur les accords trouvés à la fin de la Première Guerre mondiale. Le particularisme, vécu parfois comme un élément identitaire régional, relève bien à la fois d'une histoire commune et particulière: commune avec la France et aussi l’Allemagne, particulière en raison du contexte frontalier et du jeu des absorptions territoriales de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Par ailleurs, ce particularisme est à envisager, à présent, à l’échelle européenne. C’est bien la démarche d’Anna Imhof qui lui permet d’offrir de la nouveauté en regard de la production historico-juridique existante et sur laquelle elle s’appuie en partie.

Trois questions structurent l’ouvrage: quel rôle l’histoire de l’Alsace et de la Moselle joue-t-elle dans l’existence et le maintien de ce régime local particulier encore actif de nos jours? Que dire de ce droit local en regard du droit constitutionnel français et européen? Quelle est la spécificité de ce doit local envers les droits français et allemand? Ces questions charpentent la démonstration et ses trois parties qui relèvent bien des sciences juridiques, pour cet ouvrage issu d’une thèse en co-tutelle entre l’École doctorale des sciences juridiques de l’université de Strasbourg et la Rechtswissenschaftliche Fakultät de la Albert-Ludwigs-Universität àFribourg-en-Brisgau.

La première partie donne ainsi les éclairages historiques nécessaires à la compréhension de l’histoire du droit local des cultes. L’auteure fournit des éléments liés à l’Ancien Régime – car il y a des spécificités confessionnelles de cet espace par rapport au reste de la France – pour rapidement aller dans le XIXe siècle et atteindre 1870 et énoncer la question du droit local à l’aune des annexions et sous les républiques françaises jusqu’à nos jours. Les principes de fonctionnement du droit de culte, selon les confessions reconnues, sont ensuite énoncés. Toute cette partie s’appuie justement sur une littérature existante et permet de fonder la suite du propos.

De fait, la seconde partie frotte ce droit local à la constitution française et dans le contexte du droit européen. Là, c’est la juriste et historienne du droit qui s’exprime. En effet, le questionnement repose sur les rapports entretenus par le droit local des cultes au miroir des principes républicains de l’indivisibilité et de la laïcité, d’autant plus qu’il n’est nullement inclus dans la constitution française et que les textes de l’époque impériale qui le structurent ne sont pas traduits en français. A. Imhof nous montre là l’exercice d’équilibriste auquel se livrent sans cesse les représentants de l’État pour dépasser les apparentes contradictions entre les principes républicains et ce droit local, particulièrement avec la »question prioritaire de constitutionnalité«. Le droit européen, s’il offre lui-aussi des garanties en matière religieuse, ne vient pas bouleverser la donne en France sur cette question du droit local.

La dernière partie ouvre le prisme de comparaison aux droits des cultes à la fois en France et en Allemagne, à travers l’idée de »parallèles et différences« pour mieux situer le droit local d’Alsace-Moselle dans le contexte juridico-sociétal actuel. A. Imhof s’attache bien à montrer tous les rouages et spécificités du droit des cultes en France, notamment le financement et l’instruction religieuse, induits par la loi de 1905, comme aussi en Allemagne où prévaut le principe de non-immixtion prôné par la loi fondamentale pour mieux mesurer la spécificité en Alsace-Moselle dont le régime spécial reste un »système de droit religieux unique au monde«.

Cet ouvrage nous montre, si besoin en était, que la démarche comparatiste apporte souvent des fruits intéressants au chercheur. Surtout, A. Imhof, par sa démonstration, prouve que le droit local en Alsace-Moselle n’est en rien un droit figé et que, comme tout matériau juridique, il reste un objet vivant, ce que prouvent d’ailleurs les débats qui ont pu exister à nouveau dans les deux dernières décennies en France et les prises de position du Conseil constitutionnel. Si le substrat historique explique les lignes de force de ce droit local, il n’empêche qu’il y a eu des adaptations au gré des décennies et des régimes, sans pour autant pour autant que cela aboutisse à un processus de constitutionnalisation. Le lecteur trouvera ainsi nombre d’informations précises dans cet ouvrage qui permet une mise à jour sérieuse sur la question du droit local des cultes en Alsace et en Moselle.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Jalabert, Rezension von/compte rendu de: Anna Imhof, Das staatskirchenrechtliche Regime Elsass-Lothringens in rechtsvergleichender Perspektive. Le droit local des cultes en Alsace-Moselle, Berlin (Duncker & Humblot) 2022, 550 S. (Staatskirchenrechtliche Abhandlungen, 60), ISBN 978-3-428-18548-1, EUR 119,90., in: Francia-Recensio 2023/3, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2023.3.99987